Quel bilan pour la PFUE ?

Laurence Boone

Secrétaire d’État auprès de la ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée de l’Europe

La Présidence française de l’Union européenne (PFUE) a été unanimement saluée dans les sphères européennes. Malgré le bouleversement provoqué par la guerre en Ukraine, la France est parvenue à remplir l’ambitieux programme de travail qu’elle s’était fixée. Face à un conflit inédit, les Européens ont d’abord réussi à apporter une réponse unie, ferme et solidaire.ie, ferme et solidaire. Nous avons fourni des mesures de soutien à l’Ukraine sur le plan budgétaire, humanitaire, militaire. Nous avons également infligé des sanctions massives à la Russie, avec huit paquets de sanctions inédits. Nous avons aussi fait preuve de solidarité en accueillant des centaines de milliers de réfugiés et en activant notamment la protection temporaire pour leur permettre un accès rapide et protecteur au sein de l’Union européenne (UE).

En parallèle, l’agenda de souveraineté que nous portons depuis le Discours de la Sorbonne du Président de la République a connu des progrès significatifs dans de nombreux domaines majeurs. Nous avons su avancer de façon décisive, en débloquant des accords qui étaient encore parfois inenvisageables il y a quelques mois. Prenons quelques exemples: sur le volet climatique, avec la taxe carbone aux frontières ; sur le volet numérique, avec en particulier les textes fondamentaux du «Digital Services Act » (DSA) et du «Digital Markets Act» (DMA); sur le volet social, avec la réforme sur le salaire minimum en Europe, ou encore sur la question de l’égalité femmes-hommes dans le monde des entreprises.

Pourtant, je dirais que la force de la Présidence française est plus fondamentalement d’avoir cristallisé une rupture durable dans la manière dont l’Union européenne se rapporte au monde. Historiquement, l’Union s’est construite en concentrant son action sur le développement du marché intérieur. Le nouveau contexte géopolitique, marqué par la guerre en Ukraine, la compétition systémique avec la Chine ou les velléités agressives de multiples puissances régionales, la force à définitivement rompre avec cette représentation du monde. Le constat s’impose désormais d’une continuité et même d’un entrelacement entre, d’une part, les lignes politiques décidées au sein de l’Union et, d’autre part, le monde qui l’entoure. De nombreuses avancées, obtenues sous la PFUE, en témoignent : le paquet climat, la législation dans le domaine du numérique, les instruments commerciaux ou les mesures prises dans le domaine de la défense et de l’énergie suite à l’agression russe en Ukraine.

Ainsi, l’agenda de souveraineté, qui fut au cœur de la Présidence française, a pour conséquence de rebattre les cartes de l’interaction de l’Europe avec le reste du monde. Cela se traduit de quatre manières au moins, toutes pouvant être illustrées par de grands acquis structurants de la PFUE.

  • Premièrement, l’affirmation de l’Europe comme une puissance régionale solide, en interaction avec les autres régions du monde. Notre souveraineté européenne, loin d’être un isolationnisme, inclut dans son principe une vision globale des enjeux et une lecture de l’insertion de l’Union dans le monde. La stratégie indopacifique en est une illustration directe, la boussole stratégique aussi.

 

  • Deuxièmement, la définition de politiques européennes désormais pleinement intégrées aux enjeux mondiaux, par rapport auxquels il importe plus que jamais de réagir en tant qu’Union. L’accord au Conseil sur l’instrument de lutte contre la déforestation importée, l’adoption de l’instrument de réciprocité dans les marchés publics, l’engagement sur les clauses miroirs, ou bien sûr la taxe carbone aux frontières constituent ainsi la réponse de l’Europe aux politiques de pays tiers incompatibles avec ses objectifs sociaux, environnementaux ou d’égalité des conditions de concurrence.

 

  • Troisièmement, l’ambition de définir des normes européennes qui pourront servir d’étalon sur la scène internationale. L’agenda numérique, la taxonomie, les normes de durabilité des entreprises, ou encore le paquet climat: ce que décide l’Union a des effets externes vis-à-vis des pays tiers, cela crée des entraînements et des dynamiques ou des frictions, souvent les deux selon les catégories de pays.

 

  • Quatrièmement, garantir une autonomie stratégique de l’Union et, partant, une interaction cohérente et apaisée avec nos partenaires extérieurs. Cette nouvelle donne européenne, entre puissance et souveraineté d’un côté, projection globale de l’autre, n’est pas un phénomène transitoire. C’est une tendance de fond que la PFUE a permis d’ancrer et qui remodèle le rapport de l’Europe avec les pays tiers. Au fur et à mesure que l’Union européenne s’affirme, les relations bilatérales que la France entretient s’inscrivent de plus en plus dans un horizon européen. Désormais, lorsque l’on évoque les enjeux numériques à titre bilatéral avec l’administration américaine, on ne peut le faire que dans un environnement puissamment remodelé par le DMA et le DSA. Lorsqu’on échange sur la préservation de la biodiversité et sur le climat avec le Brésil, la déforestation et le bien-être animal ne sont jamais loin. Lorsqu’on parle présence coordonnée à la mer dans le Golfe de Guinée avec le Nigéria, ou encore développement des infrastructures de connectivité, coopération sanitaire, on le fait encore et toujours avec en toile de fond une action européenne.

En parallèle, le rapport de l’opinion française à l’Union semble s’être durablement transformé. Plus exactement, la nature des reproches faits à l’Europe a changé. Prenons la crise de la Covid-19 : l’Union n’a pas été critiquée pour en avoir trop fait. Au contraire, on lui en veut de ne pas en avoir fait assez. C’est le manque de masques, de vaccins, de coordination entre les politiques sanitaires ou de transports qui ont fait la une des médias. De même ces derniers mois, dans le cadre de la guerre en Ukraine, les opinions française et européenne ont presque unanimement soutenu les sanctions de l’Union européenne à l’égard de la Russie. Le «pas assez d’Europe» a remplacé le «trop d’Europe».

Le contexte géopolitique actuel autant que la crise énergétique et la montée du populisme partout en Europe impliquent plus que jamais de poursuivre résolument nos engagements. Des zones de vulnérabilités demeurent, sur lesquelles nous devons agir vigoureusement.

  • Premièrement, il nous faut défendre l’État de droit. La guerre lancée par la Russie en Ukraine est une guerre contre nos valeurs démocratiques et contre l’État de droit qui sous-tend notre liberté et nos droits humains fondamentaux. L’Union européenne doit s’affirmer comme une garante de ces droits. Elle doit se servir de tous les outils à sa disposition pour protéger nos valeurs de ceux qui, à l’intérieur ou à l’extérieur, cherchent à les saper.

 

  • Deuxièmement, nous devons construire une Europe de la défense. Dans le prolongement du sommet de Versailles, l’Union doit renforcer, améliorer et coordonner les investissements nationaux et européens dans ses capacités de défense. Il est essentiel qu’au cours des prochains mois, nous tenions les engagements pris et continuions à avancer en ce sens.

 

  • Troisièmement, il nous faut développer notre «souveraineté industrielle». Si l’Union européenne veut être une puissance géopolitique, il lui faut affirmer sa souveraineté industrielle sur l’ensemble des secteurs stratégiques, que ce soit l’énergie, le numérique, l’alimentation et l’agriculture, ou les chaînes d’approvisionnement industrielles. Mais l’enjeu le plus urgent et le plus immédiat, c’est évidemment de développer l’indépendance énergétique de l’Union. Nous nous éloignons d’ores et déjà de notre dépendance collective à l’égard du pétrole et du gaz russes. Nous devons poursuivre cet effort et sortir au plus vite de notre dépendance aux hydrocarbures ; c’est un impératif climatique et de souveraineté.

 

  • Quatrièmement, nous devons affirmer l’Europe comme «puissance géopolitique». Pour que la paix et la démocratie soient durables sur notre continent, l’Union doit défendre ses valeurs, sa sécurité et sa puissance économique à une échelle beaucoup plus large. Elle a pris une décision historique en accordant le statut de candidat à l’Ukraine et à la Moldavie et en lançant des négociations d’adhésion avec la Macédoine du Nord et l’Albanie. Il nous faut maintenant aller plus loin. Il est dans notre intérêt stratégique d’ancrer les Balkans aussi fermement que possible à l’Union européenne. C’est le rôle que devra jouer la Communauté politique européenne, proposée par la France sous la PFUE et qui s’est réunie pour la première fois à Prague: rassembler les États du continent européen par le biais d’initiatives de coopération concrètes dans les domaines de la sécurité, de la connectivité et de l’énergie.

Enfin, il importe de remettre en perspective les succès obtenus. Disons-le, l’action menée par la France durant ces six mois demeurera méconnue de l’opinion française. Un sondage réalisé par Harris Interactive, début juillet, souligne que 41% des Français ne savent pas mentionner des mesures ou événements propres à la PFUE. De même, plus de la moitié se dit mal « informée ». Plus généralement, si l’attachement à l’Union européenne reste stable chez les Français et a même connu une certaine affirmation dans le contexte de la guerre en Ukraine, il reste parmi les plus faibles d’Europe. Nous avons, en France, un problème de communication sur l’action de l’Union européenne.

Ainsi, pour une part importante de Français, l’Union demeure un sujet lointain, complexe. Ce constat, banal et vrai, nous oblige. Il nous faut plus parler d’Europe. Sinon, l’attrait du populisme ne faiblira pas. Plus parler d’Europe, voilà un objectif qui doit structurer notre engagement à tous, durant l’année et demie qui nous sépare des prochaines élections européennes.

Derniers articles

Articles liés

Leave a reply

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici