Edito – Michel Derdevet

Michel Derdevet

Président de Confrontations Europe

Alors que l’Union européenne renoue avec le tragique, à travers une guerre historique à ses portes, nous avons souhaité avec ce numéro 135 de la revue trimestrielle de Confrontations Europe interroger la place de notre Union dans sa relation au monde, en apportant ainsi notre pierre au débat doctrinal sur l’autonomie stratégique européenne. 

À l’instar de la pandémie de Covid-19, la guerre en Ukraine est à l’évidence un accélérateur des tendances de fond qui structurent l’intégration européenne depuis des décennies. Elle accentue ses trajectoires positives, notamment dans la cristallisation des solidarités. Avec l’Ukraine d’abord, une solidarité sans ambiguïté à 27 dans tous les domaines, militaire comme humanitaire. Mais aussi dans la sécurisation de nos approvisionnements énergétiques via le programme d’achat commun de gaz, ou encore en matière de défense avec l’achat commun de matériel militaire. 

Sans naïveté, cette guerre accentue aussi, malheureusement, les passions tristes de l’Europe, qui lui préexistaient toutefois : la tentation du retour aux souverainetés nationales, les inégalités sociales qui se creusent, les divergences économiques entre les États membres, la révélation brutale de nos dépendances et de nos vulnérabilités, notamment dans le domaine énergétique. 

Afin d’alimenter nos travaux et, fidèles à notre méthode, nous sommes allés recueillir les opinions de tous les acteurs de l’Europe, dans leur diversité, qu’ils soient commissaires, ministres, anciens Présidents de la République, députés européens, chefs d’entreprise, décideurs économiques, représentants de la société civile ou chercheurs… 

À commencer par Thierry Breton, Commissaire européen en charge du marché intérieur, qui nous a fait l’honneur de nous ouvrir les portes du Berlaymont et a accepté le principe d’un échange ouvert de plus d’une heure trente, dans lequel il trace le chemin d’une Commission politique, à la fois ciment et levier d’une Europe solidaire dans la tempête. Vous en trouverez la synthèse au fil des pages qui suivent, et l’intégralité de l’entretien en vidéo sur notre site Internet. 

Nous avons également sollicité Laurence Boone, nouvelle Secrétaire d’État en charge de l’Europe, qui revient spécifiquement sur le bilan de la Présidence française de l’Union européenne, et sur les conséquences de la guerre en Ukraine, sur son action politique, notamment concernant les transitions environnementales et numériques au cœur de son agenda. 

Afin de contribuer au mieux à cette réflexion, nous avons construit ce numéro en quatre grands chapitres.

Le premier est consacré au marché intérieur et à la quatrième révolution industrielle qui interroge les réformes nécessaires à mener dans le champ du droit européen de la concurrence, afin de passer d’un droit de la seule protection des consommateurs, à celui d’un levier de compétitivité économique pour l’Europe au-delà de ses frontières.

 Le deuxième est dédié à la convergence économique, alors que l’Europe fait face à une explosion de l’inflation qui atteint 10 % dans la zone euro, 18 % en Hongrie ou en République tchèque et jusqu’à plus de 20 % dans les pays baltes. Ces taux, jamais atteints dans l’histoire de la monnaie unique, menacent la convergence des économies européennes et constituent un danger pour des millions de nos concitoyens européens qui font face à un risque de précarité énergétique ou de pauvreté.

 Le troisième est consacré à l’objectif de neutralité carbone de l’économie européenne qui doit rester, face aux défi s du moment, un objectif fondamental de la politique de l’UE. Alors que certains États membres rallument les centrales au charbon pour faire face à la pénurie d’électricité entraînant une augmentation drastique de son prix partout sur le continent, nous formulons dans ce numéro une série de propositions pour assurer à la fois une réforme efficace du marché européen de l’énergie et la sécurisation des financements nécessaires à l’élaboration d’un mix équilibré. 

Enfin, le quatrième et dernier chapitre est dédié à la nécessaire réforme de la démocratie européenne, dans le sens d’une Union plus délibérative, plus ambitieuse aussi, à la lumière des conclusions de la Conférence sur l’Avenir de l’Europe. L’autonomie stratégique de l’UE constitue un socle de promotion du sentiment d’appartenance des citoyens à leur Union et il reste toujours impérieux de s’interroger sur la dimension politique de l’intégration européenne. 

La guerre en Ukraine interroge l’Europe sur les fondamentaux qui ont sous-tendu sa construction. La clef de la sortie de cette crise réside dans notre unité européenne et particulièrement dans celle du moteur franco-allemand, mise en difficulté ces dernières semaines et pourtant fondamentale au tournant de l’histoire. Elle nous amène aussi sans doute, à réfléchir à l’affirmation finale, majeure, soulevée par Bruno Latour dans le grand entretien qu’il accorda le 23 mai dernier à nos amis du « Grand Continent » : « L’Europe peut se donner enfin le projet, au milieu des périls et à cause d’eux, de former volontairement une nation ».

 Retrouvez cet entretien en ligne sur : https://legrandcontinent.eu/fr/2022/05/23/le-sol-europeenest-il-en-train-de-changer-sous-nos-pied

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