Par Gergely Fejérdy (PhD), Chercheur de l’Institut des affaires étrangères de Hongrie, Directeur adjoint de la Fondation Otto de Habsbourg, Enseignant chercheur de l’Université catholique Péter Pázmány à Budapest
Chaque élection apporte de nouvelles opportunités. Les élections du Parlement européen de 2024 en font partie. Dans cette optique, il est souhaitable d’établir une hiérarchie entre les nombreux défis auxquels l’Union européenne est actuellement confrontée et de se concentrer, au niveau communautaire, sur les domaines qui pourraient être déterminants. La responsabilité des représentants élus au Parlement européen sera, sur les questions qui servent les intérêts communs des citoyens de l’Union de manière réelle et tangible, d’apporter des réponses concrètes et appropriées aux problèmes qui se posent. Cela contribuera d’ailleurs également à ré duire la désillusion à l’égard de l’intégration européenne, alors qu’au cours des dernières législatures les députés européens ont sou vent accordé plus d’importance aux questions idéologiques et sociétales qu’aux problèmes relevant de la compétence commune, tels que la compétitivité. Or, des progrès dans ce der nier domaine sont nécessaires si l’Union eu ropéenne veut relever les défis auxquels elle est confrontée.
2024 pourrait être synonyme de changements pour le Vieux Continent, non seulement en raison des élections au Parlement européen, mais aussi en raison d’un certain nombre d’autres événements politiques mondiaux qui pourraient influencer le nouveau cycle qui s’ouvrira après les élections. Avant tout, l’élection présidentielle américaine de novembre pourrait revêtir une importance inhabituelle pour l’avenir de l’Europe. La personne du 47e Président des États-Unis et sa politique face aux conflits dans le monde pourraient constituer un défi majeur pour l’UE en matière de politique de défense et de sécurité, mais les conséquences toucheront bien d’autres domaines. Pour l’Europe, la politique de Washington sur le conflit russo-ukrainien, mais aussi sur le conflit israélo-palestinien et la rivalité avec la Chine, est d’une importance vitale. La dépendance de l’Union européenne à l’égard des États-Unis est en partie un héritage historique, mais il s’agit également d’un choix conscient. La première puissance mondiale, au passé civilisationnel similaire, et le Vieux Continent sont liés par mille fils tissant
“Dans un contexte international très tendu, à l’ombre d’une guerre dans son voisinage, L’Europe a besoin de mesures décisives pour renforcer l’unité de l’Union et s’assurer une plus grande autonomie.”
un système d’alliances, mais cela ne signifie pas que leurs intérêts soient nécessairement toujours alignés.
Les vingt dernières années ont montré que l’Union européenne est de plus en plus dépendante, que sa compétitivité à moyen et long termes se dégrade, notamment vis-à-vis des États-Unis et de la Chine, tandis que ses capacités de défense ne sont même pas suffisantes pour se défendre. Longtemps après la fin de la guerre froide, il a semblé que la nouvelle ère qui s’ouvrait offrirait une opportunité de développement pacifique. Il y a vingt ans, en 2004, l’adhésion de la plupart des pays de l’ancien bloc de l’Est à l’UE, et leur admis sion à l’OTAN il y a vingt-cinq ans, soulignaient le triomphe de l’alliance euro-atlantique et dissipaient toute prudence, y compris à l’égard de la Russie. C’est précisément à ce moment-là que Vladimir Poutine, ancien agent du KGB, est arrivé au pouvoir en 1999 et n’a cessé depuis d’exercer celui-ci sous diverses formes, dénonçant le statu quo et tissant des rêves impériaux. Entre-temps, l’Union européenne a été contrainte de faire face à des crises qui se sont succédé à une fréquence inhabituelle, ce qui a encore affaibli sa position sur la scène mondiale : en 2008, la crise économique; le sauvetage de la monnaie unique, l’euro, le 31 janvier 2020; le Brexit, suivi de la pandémie de Covid-19 au printemps 2020; et enfin, la guerre russo-ukrainienne à partir de février 2022. Pour couronner le tout, le changement climatique constitue, année après année, un problème majeur, avec des sécheresses et des inondations à répétition. Une économie forte et compétitive est l’un des outils essentiels pour relever ces défis, car c’est le seul moyen de générer les ressources financières sans lesquelles il sera impossible d’y répondre.
Le rapport 2024 de la Commission, publié en février, dresse un tableau mitigé de la compétitivité de l’UE : alors qu’elle est le premier exportateur mondial, elle est loin derrière les États-Unis et la Chine en matière de R&D et d’innovation, en particulier dans les technologies de pointe. Elle est également très désavantagée en ce qui concerne les investissements sur le marché des capitaux. Il suffit de se rappeler qu’il y a 30 ans, l’Union européenne déposait sept fois plus de brevets que la Chine. Aujourd’hui, le taux de dépôt de brevets de la Chine est quatorze fois supérieur à celui de l’Europe! On peut également citer le fait que vingt entreprises d’une valeur supérieure à 100 milliards de dollars ont été créées dans le monde au cours des vingt-cinq dernières années, mais parmi elles, neuf sont américaines, huit sont chinoises et aucune n’est liée à un État membre de l’Union européenne. Ce phénomène n’est pas nouveau et de nombreux rapports et tentatives ont été faits au cours des dernières décennies pour améliorer la situation dans l’UE.
Pour le cycle commençant en 2019, deux directions principales ont été identifiées pour améliorer la position de l’Europe : la transition numérique et la transition verte. Cette dernière est extrêmement coûteuse et nécessite un effort considérable, même en l’absence de circonstances spécifiques auxquelles l’UE est confrontée. Une approche beaucoup plus équilibrée devrait être adoptée dans ce domaine, car si les populations des États membres étaient contraintes à des réformes forcées, souvent mal réfléchies et imprégnées d’idéologie, il s’agirait d’une victoire à la Pyrrhus et non d’un changement de mentalité fondamental et durable. Il est également important que des mesures radicales soient prises dans ce domaine, non seulement en Europe mais aussi dans le reste du monde. L’UE devrait utiliser tous les moyens à sa disposition pour tenter de faciliter cette évolution au niveau mondial. La transition verte est également liée à la question de l’énergie, qui a notamment été mise à mal par les sanctions choisies par l’UE contre la Russie, plaçant l’Europe dans une situation de désavantage compétitif grave, alors que, par exemple, des centrales à charbon très polluantes ont dû être remises en service.
Dans le nouveau cycle qui débute à partir de 2024, il serait important de rechercher un meilleur équilibre entre la réduction de la consommation d’énergie et une plus grande autonomie, en prenant en compte les réalités de chaque État membre. Un certain nombre de mesures supplémentaires seraient nécessaires pour améliorer la compétitivité. La transition digitale devrait rester une priorité, mais l’accent devrait être mis sur l’industrialisation, la conclu sion d’accords commerciaux dans l’intérêt européen, la réduction des charges administratives excessives, le développement des réseaux d’infrastructures, l’attraction d’une main-d’œuvre qualifiée, le renforcement du système éducatif, etc. Ce dernier point est particulièrement important, car il s’agit d’un investissement à long terme, mais qui rapporte beaucoup, s’il est apprécié à sa juste valeur.
Dans un contexte international très tendu, à l’ombre d’une guerre dans son voisinage, l’Europe a besoin de mesures décisives pour renforcer l’unité de l’Union et s’assurer une plus grande autonomie. Au lieu de batailles idéologiques, il serait important de se concentrer sur la compétitivité, qui est un facteur clé, car les résultats obtenus dans ce domaine peuvent avoir un impact sur toutes les questions qui nous interpellent actuellement, qu’il s’agisse de la politique de défense, de la protection de l’environnement, de la promotion de la cohésion économique, etc. Car c’est une vieille vérité, comme le soulignait le Député européen sortant il y a 25 ans, Otto de Habsbourg : « Seule une nation économiquement forte, seul un continent économiquement fort a une chance de survivre, celui qui sacrifie le confort du moment aux grandes nécessités nationales, européennes, de la défense. L’économie européenne est nécessaire si nous voulons vivre dans un monde où se développent des économies de la taille des États-Unis. L’Europe ne peut y survivre que par l’action unie de tous ses fils et de toutes ses filles, par l’utilisation rationnelle de toutes ses ressources. Ce n’est qu’ainsi que nous pourrons réaliser l’indépendance économique et financière de l’Europe, condition sine qua non pour que notre continent re trouve véritablement son statut de puissance mondiale. »
Osons nous fixer cet objectif également aujourd’hui.
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