Par MARTIN SCHULZ Ancien Président du Parlement Européen
À à la une des prochaines élection européennes, Confrontations Europe a souhaité recueillir le témoignage et l’analyse d’un acteur essentiel de la vie européenne de ces dernières décennies en la personne de Martin Schulz, ancien Président du Parlement européen. Les élections de 2024 sont un moment démocratique fort dans une période de transformations profondes : économiques, sociales, environnementales, géopolitiques…Martin Schulz détaille pour nous les grands enjeux et défis de la prochaine mandature.
Confrontations Europe « L’Europe se fera dans les crises et elle sera la somme des solutions apportées à ces crises », a dit Jean Monnet. Cette mandature aura été marquée par la crise mondiale de la Covid-19 et le conflit en Ukraine. L’Europe s’est-elle montrée à la hauteur des problématiques posées ? Ou bien la succession de crises a-t-elle montré nos limites et ne risque-t-elle pas à plus long terme de gripper la machine européenne?
Martin Schulz : Jean Monnet avait raison de souligner que l’Europe se forge dans l’adversité. Effectivement, cette mandature a été confrontée à des défis majeurs, notamment la pandémie mondiale de Covid-19, ainsi que l’agression russe en Ukraine. Ces événements ont mis à l’épreuve la capacité de l’Union européenne à agir de manière coordonnée et efficace. Dans une certaine mesure, nous des ressources et en adoptant des mesures d’urgence. Nous avons vu des exemples de solidarité et de coopération, notamment à travers le mécanisme de relance post-Covid, mais il est indéniable que des lacunes persistent dans notre capacité à réagir rapidement et de manière cohérente. Nous devons reconnaître que notre réponse n’a pas été parfaite et qu’il reste des domaines où nous devons améliorer notre coopération et notre préparation pour l’avenir. Il est crucial que nous tirions des leçons de ces expériences afin de renforcer notre Union et de mieux nous préparer aux défis à venir. Les crises révèlent nos faiblesses et nous obligent à les surmonter pour construire une Europe plus résiliente et plus solidaire.
C. E. : Quels ont été, selon vous, les votes phares du Parlement européen lors de cette mandature? En quoi ont-ils un impact sur la vie des Européens ? Leurs conséquences
seront-elles suffisantes et assez visibles pour motiver et inciter les Européens à se déplacer d’Europe à ceux qui doutent ou s’en détournent? dans les urnes? Comment redonner l’envie
M. S. : Au cours de cette mandature, le Parlement européen a adopté plusieurs mesures significatives pour répondre aux préoccupations des citoyens européens et qui ont un impact direct sur leur vie. Parmi celles-ci, je soulignerais particulièrement l’adoption du plan de relance post-Covid « Next Generation EU », ainsi que le « Green Deal », ou Pacte vert, qui vise à conduire l’UE à la neutralité carbone à l’horizon 2050.
Ces décisions ont eu pour objectif à la fois de stimuler la reprise économique après une période de récession liée à la pandémie, et d’engager l’Union européenne sur la voie de la transition écologique. Des politiques environnementales ambitieuses ont été adoptées lors de cette mandature pour lutter contre le changement climatique.
Leur impact sur la vie quotidienne des citoyens européens sera tangible, mais il est essentiel que nous communiquions de manière efficace sur les résultats concrets de ces actions et que nous fassions davantage pour les rendre acceptables sur le plan social.
Pour redonner l’envie d’Europe à ceux qui doutent ou s’en détournent, nous devons montrer que l’Union européenne est capable de relever les défis auxquels nous sommes confrontés et d’apporter des solutions concrètes qui améliorent la vie des citoyens. Cela passe par une communication claire et transparente sur nos réalisations et nos ambitions, ainsi que par un engagement renforcé en faveur de la démocratie, de la solidarité et de la coopération au sein de notre Union.
C. E. : La participation aux élections européennes a été en hausse pour la première fois en 2019. Sera-t-elle également en hausse en 2024 ou reviendra-t-on à une participation à la baisse, comme c’était le cas depuis le pre
mier vote au suffrage universel direct de 1979? Quels sont les risques et les enjeux pour notre démocratie à court et moyen termes?
M. S. : La participation aux élections euro péennes est un indicateur crucial de la vitalité démocratique de notre Union européenne. En 2019, nous avons en effet observé une hausse significative de la participation, ce qui est un signal positif pour notre démocratie. Cependant, il est difficile de prédire avec certitude si cette tendance se maintiendra pour l’année 2024. Nous devons continuer à encourager l’engagement des citoyens dans le processus démocratique. Plusieurs facteurs peuvent influencer la participation électorale. D’une part, les citoyens européens sont de plus en plus conscients de l’importance des élections européennes et de leur impact sur leur vie quotidienne. Les enjeux tels que la relance économique post-Covid, la lutte contre le changement climatique et la défense des droits fondamentaux suscitent un intérêt croissant parmi les électeurs.
D’autre part, il existe également des défis qui pourraient freiner la participation. Les tendances à la désinformation, à la polarisation politique et à la montée du populisme pour raient dissuader certains citoyens de se rendre aux urnes. De plus, la perception de l’efficacité et de la légitimité des institutions européennes peut également influencer le niveau de participation. Pour contrer ces risques, il est essentiel que nous continuions à sensibiliser les citoyens à l’importance de leur vote et à renforcer la confiance dans nos institutions démocratiques.
“l’Union européenne doit continuer à jouer un r le actif sur la scène internationale, en promouvant le multilatéralisme, le respect du droit international et la solidarité mondiale.”
Cela passe par une communication claire sur les enjeux des élections européennes, mais aussi par des mesures concrètes visant à pro mouvoir la participation, telles que des cam pagnes d’information, des débats publics et des initiatives pour encourager l’inscription sur les listes électorales. Les prochaines élections seront déterminantes pour l’avenir de l’Europe, et il est primordial que chaque voix compte dans la construction de notre avenir commun.
C. E. : Comment sont abordées les élec tions européennes en Allemagne ? Quelle importance est accordée à ce scrutin par les partis politiques, les médias, les citoyens?
M. S. : En Allemagne, les élections européennes sont devenues un sujet de préoccupation croissante pour les partis politiques, les médias et les citoyens. Les enjeux européens touchent de près les intérêts nationaux, notamment en matière d’économie, de sécurité et d’environnement. Les électeurs allemands reconnaissent de plus en plus l’importance de leur voix dans la définition des politiques européennes et sont donc plus enclins à participer aux élections européennes.
C. E. : Les phénomènes de désinformation et d’ingérence étrangère dans les élections se sont amplifiés ces dernières années. Y a-t-il un risque accru pour ce scrutin européen, et sommes-nous prêts à y répondre ? Que devrait-on mieux faire pour se prémunir contre ce fléau? En a-t-on la volonté et les moyens?
M. S. : La désinformation et l’ingérence étrangère sont des menaces sérieuses pour l’intégrité des élections européennes, ainsi que pour la démocratie dans son ensemble. Cependant, je suis convaincu que nous avons les moyens et la volonté de faire face à ces défis, à condition d’agir de manière déterminée et concertée. Pour lutter efficacement contre la désinformation et l’ingérence, nous devons d’abord renforcer la résilience de nos institutions démocratiques et promouvoir la transparence et l’intégrité du processus électoral. Cela passe par des mesures telles que la sensibilisation des citoyens aux techniques de désinformation et la collaboration avec les plateformes numériques pour lutter contre la propagation de fausses informations. De plus, nous devons renforcer la coopération entre les États membres et les institutions européennes pour échanger des informations, coordonner nos efforts et élaborer des stratégies communes de lutte contre la désinformation et l’ingérence étrangère. Cela nécessitera une action concertée à l’échelle européenne, ainsi qu’une coopération renforcée avec nos partenaires internationaux. Il est important de souligner que la lutte contre la désinformation ne doit pas se limiter à la période électorale, mais doit être un effort continu et global visant à promouvoir une culture de la vérité et de la responsabilité dans notre société. Cela nécessite un engagement ferme de la part de tous les acteurs concernés, y compris les gouvernements, les médias, les plate formes numériques et la société civile.
C. E. : On observe une montée des populismes partout en Europe, et les sondages prévoient une augmentation du nombre de sièges des partis d’extrême droite/droite radicale au Parlement européen. Existe-t-il un risque de blocage institutionnel à la suite des élections?
M. S. : Nous devons lutter contre tout recul démocratique et stopper le glissement vers l’extrême droite dans notre pays et en Europe. Il est essentiel que les institutions européennes restent fermes dans la défense des valeurs démocratiques et de l’État de droit. Cela signifie notamment qu’il est nécessaire de lutter contre toute forme de discours de haine, de discrimination et de xénophobie. De plus, il est important de promouvoir un dialogue constructif et de renforcer la coopération entre les différents groupes politiques afin de sur monter les divisions et de trouver des solutions aux défis auxquels nous sommes confrontés en tant qu’Union européenne. Il est vrai que la présence accrue de partis populistes et nationalistes peut compliquer le processus décisionnel au Parlement européen, en raison de divergences idéologiques et de positions souvent radicales. Cependant, notre Union européenne est fondée sur le principe du com promis et du dialogue. Les Députés européens sont élus pour représenter les intérêts de leurs électeurs, mais aussi pour travailler ensemble dans l’intérêt commun de l’Union européenne. La montée du populisme, observée dans de nombreux pays européens, remet en question les valeurs fondamentales sur lesquelles repose notre Union européenne, telles que le respect des droits de l’homme, la tolérance et la solidarité. En fin de compte, bien que la montée du populisme puisse représenter un défi pour notre Union européenne, je reste convaincu que nous avons les ressources et les mécanismes nécessaires pour y faire face. Il est essentiel que nous continuions à promouvoir une culture du compromis et du respect mutuel, ainsi qu’à renforcer les institutions démocratiques de notre Union européenne pour garan tir un avenir stable et prospère pour tous les citoyens européens.
C. E. : Quels seront, selon vous, les grands enjeux à venir pour la prochaine mandature? Gouvernance de l’Europe, défense euro péenne, transition environnementale, crises économiques et financières…?
M. S. : Les enjeux à venir pour la prochaine mandature nécessiteront une action résolue de la part des institutions européennes, ainsi qu’une coopération renforcée entre les États membres. Parmi les grands défis qui se présenteront, je mettrais en avant plusieurs domaines clés :
• Gouvernance de l’Europe : renforcer la gouvernance de l’Union européenne sera essentiel pour garantir son efficacité et sa légitimité démocratique. Cela inclut notamment la réforme des institutions européennes pour les rendre plus transparentes, responsables et démocratiques, ainsi que la promotion d’une plus grande participation des citoyens à la prise de décision.
• Défense européenne : face aux défis sécuritaires croissants auxquels est confrontée l’Europe, il est impératif de renforcer la défense européenne. Cela passe par une coopération renforcée entre les États membres dans le domaine de la défense, ainsi que par des investissements stratégiques dans la recherche, le développement et la modernisation des capacités militaires européennes.
• Transition climatique : la crise écologique est l’un des défis majeurs de notre époque, et l’Union européenne doit jouer un rôle de leader dans la transition vers une économie plus durable et respectueuse de l’environnement. Cela implique la mise en œuvre d’une politique ambitieuse en matière de lutte contre le changement climatique, de promotion des énergies renouvelables et de protection de la biodiversité.
• Crises économiques et financières : la prochaine mandature sera également confrontée à des défis économiques et financiers. Il sera essentiel de promouvoir une relance économique inclusive et durable, ainsi que de renforcer la stabilité financière de l’Union européenne pour faire face aux éventuelles crises à venir.
Enfin, je soulignerais que l’Union européenne doit continuer à jouer un rôle actif sur la scène internationale, en promouvant le multilatéralisme, le respect du droit international et la solidarité mondiale. Ces enjeux nécessiteront un engagement fort et une action concertée de la part de tous les acteurs concernés, et je suis convaincu que l’Union européenne est capable de relever ces défis et de bâtir un avenir meilleur pour tous les citoyens européens.
C. E. : Afin de valider le plan de relance post-Covid, il a été décidé d’augmenter les ressources propres. Est-ce que les prochaines élections seront l’occasion de reposer le sujet sur la table afin de doter l’Union européenne d’un budget à la hauteur de ses ambitions?
M.S. : Il est clair que la question du budget européen ne se résume pas simplement à des chiffres. C’est aussi une question de priorités politiques et de choix stratégiques. L’Union européenne doit investir dans des domaines clés, tels que la transition écologique, la recherche et l’innovation, la cohésion sociale et régionale, ainsi que la promotion de l’emploi et de la croissance économique. Pour cela, il faut trouver un équilibre entre les différentes priorités et mobiliser les ressources nécessaires de manière efficace et équitable. Cela peut impliquer des réformes structurelles du système de financement de l’Union européenne, ainsi que des efforts pour renforcer la lutte contre la fraude fiscale et l’évasion fiscale au niveau européen. Il est évident que des discussions plus approfondies seront nécessaires pour garantir que l’Union européenne dispose des moyens adéquats pour atteindre ses objectifs. Les prochaines élections européennes pourraient en effet être l’occasion de remettre ce sujet sur la table et de débattre des moyens de doter l’Union européenne d’un budget à la hauteur de ses ambitions. L’objectif est de garantir que l’Union européenne dispose des moyens nécessaires pour réaliser ses ambitions et répondre aux attentes des citoyens européens. Cela nécessitera un dialogue ouvert et inclusif entre tous les acteurs concernés, y compris les États membres, le Parlement européen et la société civile. Les citoyens européens doivent être convaincus que leur vote contribue à façonner l’avenir de l’Europe et à garantir sa prospérité à long terme.
C. E. : Le candidat aux élections américaines, Donald Trump, a dit qu’il encouragerait Vladimir Poutine à attaquer les « mauvais payeurs » de l’OTAN. Cela va-t-il pousser les institutions européennes à approfondir le thème de l’autonomie stratégique qui a été au cœur des discussions en cette fin de mandat?
M. S. : Les déclarations de Donald Trump concernant l’OTAN et Vladimir Poutine sont préoccupantes et soulignent la nécessité pour l’Union européenne de renforcer son autonomie stratégique. Les institutions européennes doivent en effet approfondir ce thème crucial qui a été au cœur des discussions en cette fin de mandat. Il est essentiel que l’Union européenne renforce sa capacité à agir de manière autonome sur la scène internationale, en garantissant sa sécurité et en défendant ses intérêts communs. Cela nécessitera un dialogue approfondi entre les États membres et une coopération renforcée dans le domaine de la défense et de la sécurité.
C. E. : Enfin, si vous deviez exprimer trois souhaits pour que cette prochaine mandature soit un succès et renforce la démocratie en Europe et dans le monde, quels seraient-ils?
“Le respect de la pluralité des opinions et le devoir de compromis constituent la recette de la démocratie.”
M. S. : L’Europe est l’affaire de tous. Nos valeurs fondamentales sont une tâche internationale pour laquelle nous devons nous battre dans notre propre pays. Le respect de la pluralité des opinions et le devoir de com promis constituent la recette de la démocratie. Nous avons des raisons d’être découragés, mais nous n’avons pas le temps de l’être. En tant que social-démocrate, je n’ai pas le droit d’être découragé. Si je devais exprimer trois souhaits pour que cette prochaine mandature soit un succès et renforce la démocratie en Europe et dans le monde, je souhaiterais tout d’abord une plus grande solidarité entre les États membres de l’Union européenne, fondée sur le respect mutuel et la coopération. Ensuite, je voudrais voir une Union européenne plus inclusive, qui donne la parole aux citoyens et qui s’engage à promouvoir les droits fondamentaux et la justice sociale. Enfin, je souhaite que l’Europe renforce son rôle sur la scène internationale en tant que garante de la paix, de la démocratie et des valeurs universelles, en travaillant en étroite collaboration avec ses partenaires à travers le monde pour relever les défis communs.
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