Des réponses européennes à la crise de l'asile

Pascal BRICE

Directeur général de l’OFPRA (Office français de Protection des Réfugiés et Apatrides)

La réalité est sévère : ceux qui prennent la route de l’exil sont toujours plus nombreux, qu’ils viennent d’Afghanistan, d’Irak, d’Erythrée, du Soudan… La crise de l’asile, dont le pic a été atteint en 2015, a d’abord été suivie dans un climat d’indifférence quasi-généralisée avant que soient proposées des réponses, d’abord en ordre dispersé. Je suis inquiet de certains projets en cours de discussion dans les instances européennes.

Je fais partie de ceux qui, dès 2015, ont considéré qu’il fallait remettre de l’ordre dans l’accueil des réfugiés en Europe. Le désordre, que l’on perçoit à Calais ou dans les îles grecques, donne lieu à des raccourcis liant migrants et menace terroriste, à des tentatives d’instrumentalisation, certes marginales, mais qui peuvent être dévastatrices pour le système de l’asile. L’OFPRA ne fait pas de politique migratoire, il applique le droit d’asile. De ce point de vuelà, le désordre et la confusion sont pernicieux. Je crains que certaines réponses européennes apportées entretiennent la confusion, tournant le dos aux principes fondamentaux du droit d’asile. Ces réponses ne me semblent, de plus, pas efficaces.

PLUS DE MOYENS AUX HOTSPOTS

Un premier point à aborder est celui des voies d’accès légales. Je salue les efforts menés par la Commission européenne pour pousser les Etats membres à développer la réinstallation. L’OFPRA se déploie en Turquie pour entendre les demandeurs d’asile Syriens, mais aussi au Liban. Ce mouvement doit s’amplifier. De même, la relocalisation a pris de l’ampleur, et je salue là encore le travail du bureau européen de soutien à l’asile (EASO) pour l’aide apportée à la Grèce et l’Italie. La France a relocalisé et réinstallé près de 10 000 personnes, même si l’objectif qui lui est assigné est de 32 000. Il reste du chemin à parcourir et je souhaite que cet objectif soit atteint d’ici la fin de l’année. C’est surtout la réinstallation depuis la Turquie, le Liban, la Jordanie, qui doit monter en puissance. La Commission européenne joue un rôle central, il faut aussi que les Etats membres offrent des disponibilités d’accueil à ces réfugiés. Mais je regrette que persiste en Europe une forme d’illusion qui laisserait croire que les migrants sur le continent pourraient être seulement ceux qu’on est allé chercher. Il faut le plus possible protéger ces personnes avant qu’elles aient à prendre la route. Les migrants racontent des enfers sur leur passage en Libye. Mais lorsqu’ils arrivent aux frontières extérieures de l’UE, le droit d’asile doit être respecté. C’est ainsi que je comprends les hotspots, comme un lieu d’examen de la demande d’asile, avec accueil dans un Etat membre en cas de reconnaissance et reconduite dans le pays d’origine en cas de refus. Mais ces « centres d’accueil » ne fonctionnent pas ainsi puisqu’un migrant pourra rentrer dans les critères de l’asile mais se faire reconduire en Turquie car il s’agit d’un pays supposément « tiers sûr ». Il n’y a pas d’examen de la demande d’asile dans les hotspots. Ce que je déplore. Car cela permettrait une efficacité qui répondrait aux interrogations et aux doutes des sociétés européennes. L’Italie et la Grèce doivent s’en donner les moyens juridiques, et l’UE doit donner massivement des moyens aux hotspots par l’instruction de la demande d’asile.

ACCORDS DE DUBLIN

Autre chantier central : l’harmonisation. L’Europe de l’asile est bien plus harmonisée du point de vue des autorités de détermination que ce que l’on croit. C’est plus sur les conditions d’hébergement et les allocations que les différences se font. Néanmoins il subsiste de vrais problèmes d’harmonisation. Par exemple, en France on trouve des Afghans déboutés de l’asile en Allemagne, qui peuvent en théorie saisir l’OFPRA pour une 2ème demande. Nous avons encore beaucoup à faire en termes de reconnaissance mutuelle de nos décisions. Sur les accords de Dublin, je souhaite que des demandeurs d’asile déboutés de l’asile d’Allemagne soient rapidement réadmis en Allemagne. L’OFPRA ne doit pas avoir à réexaminer ces demandes. En revanche j’ai des interrogations sur ceux qui sont passés par l’Italie ou la Grèce en y laissant des empreintes mais n’y ayant pas rempli de demande d’asile se retrouvent alors dans un néant administratif. L’harmonisation pourrait comporter la mise en place d’une Agence européenne de l’asile, et c’est ce qui est proposé de fait par la Commission . La condition fondamentale de bon fonctionnement de cette future Agence doit être la garantie de son indépendance absolue au regard des pouvoirs politiques nationaux et européens. Le flou entre droit d’asile et politique migratoire existe dans les esprits. Le droit dit les choses de manière claire. Le droit d’asile n’est pas de la politique et suppose une institution pleinement indépendante pour le mettre en oeuvre.

OBSTACLES À L’ACCÈS À L’ASILE

Enfin, je m’inquiète de voir dans les discussions européennes ce qui ressemble à des obstacles supplémentaires vers l’accès à l’asile en Europe. Une des dispositions viserait, par exemple, à généraliser le système en vigueur entre la Grèce et la Turquie. C’est-à-dire que toute demande d’asile serait d’abord examinée au regard du passage dans un pays réputé « tiers sûr », pour des raisons politiques. Je juge cette disposition incompatible avec les principes fondamentaux du droit d’asile. Une autre disposition entend étendre le recours à l’« asile interne » , or cela relève du droit d’asile et doit être laissé à l’appréciation des autorités nationales de détermination en attendant l’agence européenne indépendante. Le flou existe dans certains esprits, ce que je comprends, aux vues de l’ampleur des drames et de l’importance des migrants économiques, pouvant amener à vouloir une refonte du droit d’asile. Je recommande vivement que l’on se préoccupe des questions de politique migratoire de manière totalement distincte de celles qui relèvent du droit d’asile. Je m’inquiète du fait qu’on tente d’harmoniser le droit d’asile en installant tellement de verrous à l’accès à la demande d’asile, qu’on arriverait à une Europe de l’asile sans demandeurs d’asile. Il faut harmoniser pour faire avancer le droit d’asile, non le faire reculer.

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