MIGRATION ET DÉFI CLIMATIQUE – Comment articuler la politique migratoire et la politique européenne de développement ?

Par Stéphane Bijoux, Député européen (Renew Europe, France) et Vice-président de la Commission DEV – LA REVUE #137

Entre crises internationales et crispations nationales, parler aujourd’hui de migration, c’est prendre un risque alors que c’est bien l’un des défis majeurs du XXIe siècle. La peur profonde des différences, le rejet systématique de l’autre, la tentation décomplexée de l’outrance… Les uns veulent ériger des murs, les autres plaident pour le laisser-faire… Dans cette spirale inflationniste de populisme et de démagogie, militer  pour  la  recherche de l’équilibre peut vous faire passer pour un rêveur idéaliste alors qu’il existe bien un chemin de solutions.

D’abord, nous avons trop vite oublié que les migrations ont été le moteur de l’humanité et le levier de l’ouverture au monde. Il suffit pourtant de prendre une carte du monde pour voir que l’Europe est indissociable de son voisinage oriental, qu’elle est aussi voisine immédiate, par la Méditerranée, de l’Afrique du Nord et du Proche-Orient. Mais il faut aussi comprendre qu’avec les territoires d’Outre- mer, l’Europe est à la frontière directe de l’Amérique du Sud, insérée dans la région des Caraïbes, à proximité immédiate des États d’Afrique occidentale et australe, mais aussi des États insulaires du Pacifique.

C’est notre monde, et la complexité de nos défis exige de combattre les raccourcis trop faciles des populistes, des agitateurs de haine et des marchands de fausses solutions. Nous sommes face à de vrais enjeux qui ne trouveront de réponses que dans le respect du droit et un impératif d’humanité.

Comme tous les chantiers difficiles, le travail sur la politique migratoire de l’Union européenne exige des efforts. Et le point de départ, c’est d’abord de faire l’effort de comprendre. Comprendre pourquoi des hommes, des femmes et des enfants risquent chaque jour leur vie sur des routes de migrations violentes et souvent mortelles ? Les migrants recherchent un nouvel horizon. Comme nous, ils rêvent d’une vie meilleure. Ils fuient la guerre, la famine et l’extrême pauvreté. Personne ne peut contester l’existence d’un lien indéniable entre migrations et sous-développement. Mais l’équation devient encore plus complexe avec l’accélération du dérèglement climatique.

Il faut avoir conscience que dans les années à venir, l’urgence climatique va contraindre au moins 200 millions de personnes à fuir leurs régions, leurs villes et leurs pays. Deux cents millions de personnes : c’est l’équivalent de presque la moitié de la population de l’Union européenne ! C’est une alerte réelle qui interroge notre responsabilité collective, mais c’est aussi un signal d’alarme qui nous impose d’agir.

Parce que le défi migratoire est global, il exige une solution globale. Bien évidemment, l’Europe est au cœur de ce défi, par son histoire, par ses valeurs, par sa géographie. Parce qu’elle rayonne dans le monde, l’Union européenne a un rôle décisif à jouer dans la nécessaire construction d’une réponse globale et efficace, à la fois entre les différents États membres, mais aussi avec les pays d’origine et de transit des migrations.

Depuis plusieurs années déjà, au Parlement européen, nous travaillons pour construire un nouveau Pacte sur la migration et l’asile. Ce paquet législatif doit nous permettre de réformer le système actuel qui est arrivé à bout de souffle. Ce Pacte vise à mettre en place des procédures d’asile plus efficaces, plus sûres, plus justes. Il ambitionne aussi d’organiser la solidarité entre les États membres dans la gestion des migrations. L’un ne va pas sans l’autre. Des blocages persistent. Il faut le dire. Les négociations entre les États membres sont difficiles, mais nous avons la volonté forte d’aboutir à la concrétisation du Pacte d’ici les prochaines élections européennes.

Comme un miroir de ces réformes urgentes, il y a la nécessaire consolidation du rôle de l’Europe comme premier partenaire mondial de l’aide publique au développement.

Nous revendiquons légitimement d’être un acteur majeur et solidaire pour relever les défis combinés du climat et de la lutte contre les inégalités. Partout dans le monde, nos partenaires internationaux nous disent que leurs jeunes réclament de pouvoir mieux vivre dans leurs pays avec de vraies perspectives d’avenir. L’Europe comprend et entend le message, et nous répondons par un engagement concret basé sur le respect mutuel, la confiance et la solidarité.

Dans cet objectif, en 2021, nous avons adopté un nouvel instrument unique pour le financement de l’aide  extérieure  de  l’UE : le NDCI, ou Neighbourhood, Development and International Cooperation Instrument. Cet instrument s’appuie sur un budget de près de 80 milliards d’euros d’ici 2027 pour renforcer nos partenariats dans le monde. Cette aide européenne doit servir de levier pour accompagner de nouvelles stratégies de développement de nos pays partenaires. Nous voulons contribuer au progrès, à la sécurité, à la co-construction de solutions pour favoriser l’éducation, pour créer des emplois, pour assurer une protection sociale ; tout cela dans la perspective d’un modèle de développement durable qui reconnecte l’économie, l’écologie et la solidarité.

L’Union européenne est d’ailleurs un partenaire clé de l’initiative internationale pour un nouveau pacte financier mondial, lancée par le Président français, Emmanuel Macron, lors du Sommet de Paris en juin dernier, pour gagner notre combat commun pour le climat et le développement.

Mais il ne faut pas avoir peur des mots : le défi migratoire ne doit pas être un tabou de notre politique de coopération au développement. Et c’est précisément dans le cadre des négociations de l’instrument NDICI que je me suis mobilisé au Parlement européen pour soutenir la possibilité pour l’UE de conditionner son aide au développement à la coopération des pays partenaires sur les questions migratoires. Une majorité des députés européens a soutenu l’adoption de cette conditionalité positive, encadrée, qui ne peut en aucun cas viser l’aide humanitaire de l’UE. Cette conditionnalité n’est pas une punition : j’assume de dire que c’est, au contraire, l’exigence légitime de garantir la cohérence dans nos coopérations.

Plusieurs formations politiques, à droite et à l’extrême droite, mentent honteusement en faisant croire que l’on peut résoudre le problème de la migration par la construction de murs et le repli sur soi. Au contraire, je défends l’idée qu’à l’opposé des murs, l’Union européenne doit construire des ponts avec les pays partenaires, dans un respect mutuel où chacun assume ses responsabilités dans le cadre d’une dynamique commune. Il faut sortir de la naïveté complice et combattre les excès toxiques et pyromanes. Nous devons impérativement regarder les choses en face. Le choc climatique nous impose d’avoir conscience que nous avons un destin commun. Sur les migrations comme sur beaucoup d’autres défis mondiaux : nous avons aussi une responsabilité partagée.

Je sais l’urgence à agir. Je crois à l’efficacité de partenariats gagnant-gagnant entre l’Europe et tous les autres continents.

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