Renforcer le budget européen par des ressources propres et un contrôle démocratique

Hervé Jouanjean, Ancien directeur général à la Commission européenne et Vice-président de Confrontations Europe

Le budget européen est une traduction dans la réalité comptable des ambitions politiques affichées par les États membres de l’UE. Cela ne signifie pas que le budget de l’Union doit s’accroître en permanence, mais qu’il doit avoir une taille appropriée pour répondre aux objectifs qui sont fixés à cette dernière et qu’il doit disposer des moyens de financement adaptés.

Pourtant, le récent rapport de la conférence sur le futur de l’Europe semble démontrer un manque d’intérêt, voire un manque de compréhension pour les questions budgétaires, le mot « budget » n’apparaissant que 13 fois dans un document de 336 pages… Les mots « ressources propres » ne sont pas mentionnés une seule fois. Aucune vision d’ensemble, quelques bribes sur l’éducation, la santé ou le rôle du Parlement européen dans l’élaboration du budget et aucune mention d’un possible budget de la zone euro.

Le budget européen est victime de l’état d’entre-deux institutionnel dans lequel se situe l’UE dont l’existence est fondée sur un traité intergouvernemental qui lui attribue des compétences, exclusives ou partagées, pour atteindre les objectifs communs déterminés dans le traité de l’Union européenne et le TFUE.

La situation institutionnelle

Initialement, le traité de Rome disposait que, sans préjudice d’autres recettes, les contributions fi nancières des États membres étaient déterminées selon une clef de répartition prévue par ce traité. Il était aussi prévu que la Commission étudierait dans quelles conditions les contributions fi nancières des États membres pourraient être remplacées par des ressources propres, sachant que ces dernières seraient décidées par le Conseil après consultation de l’Assemblée, et adoptées par les États membres conformément à leurs règles constitutionnelles respectives.

Contrairement aux domaines d’intervention de l’Union, qui ont été considérablement élargis avec l’adoption de la règle de la majorité qualifiée, le domaine budgétaire est resté très en retrait. Des « ressources propres » ont été établies mais le Conseil statue toujours à l’unanimité et adopte une décision après consultation du Parlement européen qui rend un Conseil relatif aux mesures d’exécution du système des ressources propres.

La procédure d’adoption du cadre financier pluriannuel sur la base duquel sont établis les budgets annuels de l’Union prévoit que le Conseil statue, certes à l’unanimité, mais après approbation du Parlement européen. Cependant, la marge de manœuvre du Parlement européen reste limitée dans le cadre de ces négociations dans la mesure où les États membres établissent dans la décision « Ressources propres », le plafond des ressources disponibles pour couvrir les crédits annuels pour paiements.

Comme dans bien d’autres domaines qui touchent au cœur de la souveraineté nationale, les États membres ont donc gardé des points de verrouillage très puissants pour contrôler la dépense européenne et, de son côté, le Parlement européen n’a aucun contrôle sur la perception de la recette. Toutefois, concession symbolique à la primauté de la représentation démocratique, il revient au président du Parlement européen de constater que le budget est définitivement adopté, contrairement à la règle en vigueur jusqu’à l’adoption de l’Acte unique en 1987, qui confi ait ce rôle au président du Conseil.

La situation actuelle du budget de l’Union européenne

Après le succès de la négociation du cadre fi nancier pluriannuel 2021-2027 et la mise en place du programme « NextGenerationEU » (NGEU) destiné à soutenir les États membres dans la phase de sortie de la crise de la Covid-19, il est utile de mettre les choses en perspective :

  • Le cadre financier pour la période 2014-2020 avait pour la première fois vu une réduction des dépenses de l’UE. Le nouveau cadre fi nancier pluriannuel 2021-2027 a été établi à un niveau qui en reste très proche, malgré un accroissement dans certains secteurs d’intervention qui a été assuré au détriment des fonds destinés à l’agriculture et à la cohésion. Ainsi, pour l’UE à 27, la part du budget dans le PNB de l’Union est légèrement inférieure à celle de la période 2014-2020 qui avait été réduite à 1 %, sous la double pression britannique et allemande. Historiquement, elle est très inférieure à celle de la période 1993-1999 (1,25 %) qui suivait la mise en place du marché intérieur. De la part des contributeurs nets, c’est une traduction très claire de leur souhait de plafonner, sinon réduire, leurs contributions au budget et une illustration très nette du hiatus qui existe entre les avancées dans l’intégration et les moyens fi nanciers mis à disposition de l’UE. Au cours de ces négociations, l’influence du Parlement européen n’aura été que marginale.
  • Le programme « NGEU » représente près de cinq fois le budget annuel de l’UE. Fondé sur l’article 122 du TFUE qui permet la mise en place d’une assistance financière en cas d’événements exceptionnels, il échappe au contrôle du Parlement européen malgré quelques engagements interinstitutionnels de coopé ration. Les actions mises en œuvre dans ce cadre sont une addition de programmes nationaux. La bonne nouvelle est cependant que ces programmes doivent être validés par la Com mission européenne, ce qui est un progrès considérable sur la voie d’une coordination plus effective des politiques économiques des États membres
  • Conformément aux engagements pris au niveau interinstitutionnel lors de l’adoption du programme « NGEU » et du cadre financier pluriannuel, la Commission doit proposer la mise en place de nouvelles ressources propres selon un processus en trois étapes. Ces nouvelles ressources propres seront mobilisées pour assurer le remboursement de la composante « don » de ce programme et le Fonds social pour le climat proposé par la Commission. Ces nouvelles ressources sont bienvenues et il est convenu que leur niveau devra être suffisant pour couvrir le niveau des dépenses totales prévues pour le remboursement du principal et des intérêts des fonds empruntés qui se poursuivra jusqu’en 2058. Mais il n’apparaît pas que ces ressources permettront de rééquilibrer le financement de la déclinaison budgétaire annuelle du cadre fi nancier pluriannuel. Compte tenu des montants en cause, on peut même craindre que l’insuffisance de ressources propres nouvelles ne conduise à une réduction des dépenses dans ce cadre. Cette possibilité est expressément évoquée dans l’accord interinstitutionnel selon lequel les dépenses provenant du budget de l’Union qui ont trait au remboursement de NGEU ne devraient pas entraîner une réduction indue des dépenses liées aux autres programmes ou instruments d’investissement dans le cadre du CFP.

Et l’avenir ?

Le calendrier mis en place pour l’établissement de nouvelles ressources propres est, en soi, un très grand progrès puisqu’au cours des négociations des deux précédents cadres fi nanciers, les États membres avaient accordé une attention limitée à cette question. Il aura fallu le programme « NGEU » pour que la question soit enfin débattue avec sérieux. Ce premier pas aurait pu nous amener vers une moindre dépendance du budget européen à l’égard des contributions nationales. Ce serait tout à fait fondamental pour assurer la cohérence et la stabilité entre objectifs politiques et moyens disponibles.

Le problème est que, semble-t-il, ces nouvelles ressources propres seront mobilisées pour les trente années à venir en vue du remboursement de l’emprunt « NGEU ». Mais gardons espoir !

De manière générale, l’existence de nouvelles ressources propres sous forme « d’argent frais » va inévitablement poser le problème du contrôle démocratique de leur prélèvement qui est aujourd’hui dans les seules mains du Conseil des ministres. Un rôle du Parlement européen comparable à celui des Parlements nationaux serait une décision politique majeure qui ne pourra intervenir que dans le contexte d’une nouvelle étape vers une forme d’union politique entre les États membres, allant au-delà de ce qui existe aujourd’hui.

Cette étape ne pourra elle-même être franchie sans le renforcement des mécanismes de coopération interinstitutionnelle garantissant que la décision d’engager une dépense européenne obéit à des règles strictes de valeur ajoutée européenne, c’est-à-dire de gains d’efficacité par rapport à la dépense nationale, et de contrôle, notamment parlementaire. C’est aux politiques qu’il reviendra d’assumer ces choix face à des responsables budgétaires trop souvent prompts à agir sur base de considérations à court terme. Il ne sert à rien de lancer de grandes politiques européennes si les moyens financiers appropriés ne sont pas mis à disposition.

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