L’Europe sociale, levier de gouvernance de l’UE ?

Christophe Lefèvre, Membre du Comité Économique et Social européen et Administrateur de Confrontations Europe.

Les deux dernières années ont plongé l’Union européenne dans une crise économique qui est venue percuter son modèle social et bouleversé la vie de bon nombre de citoyens. Dans ce contexte, le chômage et les inégalités sociales ont non seulement augmenté dans l’UE, mais sont également répartis de manière inégale entre les États membres. La crise de la Covid-19 a démontré à quel point les populations se retrouvent en situation de vulnérabilité lorsque le tissu productif s’affaiblit et lorsque les chaînes d’approvisionnement se trouvent trop dépendantes des aléas naturels, économiques et politiques. Pour atténuer les effets négatifs de la crise, la réactivité des pouvoirs publics a été immédiate et massive, sans commune mesure avec les crises précédentes : l’activation de la clause dérogatoire du Pacte de stabilité et de croissance ; programme d’achats d’actifs lié à la pandémie (PEPP) d’une enveloppe globale de 1 850 Mds€ ; un plan de relance historique baptisé « NextGenerationEU » culminant à 750 Mds€ et, enfin, la création d’un nouvel instrument européen (SURE) afin de soutenir les programmes de chômage partiel dans les États membres. Mais il reste aussi à s’assurer de l’effectivité de l’utilisation rapide de tous ces fonds par toutes les structures qui en ont un réel besoin, en allégeant les contraintes administratives.

L’Europe sociale : une histoire des petits pas

Sous l’impulsion de la Commission Jacques Delors, la politique sociale et le dialogue social européen ne nait réellement qu’en 1985 (Val Duchesse) qui instaure de manière significative le champ des compétences sociales de l’Union et la pratique du dialogue social dans l’article 118 B du traité. Les commissions Juncker et von der Leyen ont placé l’intégration des politiques sociales au cœur de leurs programmes politiques avec quelques avancées notoires, notamment le socle européen des droits sociaux1 et la directive sur les travailleurs détachés. Plus récemment, lors de la tenue du Sommet social de Porto, les partenaires (Commission européenne, États membres, syndicats) ont trouvé un compromis autour de trois objectifs en matière d’emploi, de formation et de lutte contre la pauvreté à l’horizon 2030 : le taux d’emploi doit s’élever à au moins 78 % dans l’Union européenne ; au moins 60 % des adultes doivent participer chaque année à des activités de formation ; le nombre de personnes menacées de pauvreté ou d’exclusion sociale doit diminuer d’au moins 15 millions, dont 5 millions d’enfants. La présidence française du Conseil de l’UE s’est engagée à poursuivre ces objectifs sociaux, notamment par la concrétisation de trois grandes ambitions : le projet de directive sur les salaires minimum, le projet de directive sur la transparence salariale ainsi qu’une directive sur les droits des travailleurs des plateformes. Toutefois, il convient de rappeler que la compétence de l’Union est limitée en matière de politique sociale. L’avancée de ces dossiers dépendra, non seulement, de la capacité des États membres à dépasser leurs profondes différences culturelles et politiques mais aussi d’un dialogue profond entre acteurs politiques, économiques et sociaux en Europe. En ce sens, l’impact des crises de la Covid-19 et les conséquences économiques découlant de la guerre en Ukraine seront inévitables.

Le dialogue social : le pouls de l’Europe

L’Europe est le continent du dialogue social, qui constitue un marqueur important de son modèle d’économie sociale de marché, distinguant l’Union de ses partenaires chinois et américains. Nos démocraties ne peuvent fonctionner sans délibération et sans processus de médiation. Les corps intermédiaires sont ainsi indispensables pour renforcer notre modèle démocratique2. Le dialogue social, tant au niveau national qu’européen, joue un rôle essentiel pour élaborer des politiques efficaces sur le plan économique.

En matière sociale, les organisations salariales et patronales sont obligatoirement consultées par la Commission européenne avant la proposition de toute initiative législative en ce domaine. Au cœur de la gouvernance de l’Union, cette consultation permet aux partenaires sociaux européens de contribuer en amont à la définition de normes sociales européennes. Toutefois, il serait nécessaire de dynamiser ce modèle européen, en impliquant davantage toutes les parties prenantes, des syndicats aux élus locaux en passant par les ONG et les entreprises. Le Dialogue social sectoriel européen devrait être aussi pleinement intégré tant les réponses aux crises et aux évolutions économiques et sociales peuvent différemment et spécifiquement affecter les secteurs.

Une politique sociale forte et efficace dépendra de l’aptitude des États à mener des politiques cohérentes et à préserver les équilibres entre tous les partenaires. Bien que le dialogue social soit, pour tous, une condition d’une relance juste au niveau européen, la politique sociale ne doit pas étouffer, mais bien, accompagner et encadrer la transition de de nos économies. Nous savons que les conséquences sociales de la transition environnementale, et en particulier l’objectif européen de neutralité carbone à l’horizon 2050, seront absolument majeures. Pour réussir à contenir les conséquences sociales négatives de la transition écologique de nos économies, il sera nécessaire d’accompagner massivement nos entreprises, de maintenir des prix cohérents du carbone avec les objectifs de la Commission et d’imposer nos normes environnementales aux entreprises étrangères exportant sur notre territoire. C’est à ces conditions que nous pourrons faire de la transition environnementale, une force sociale et économique.

  1. La mise en œuvre des principes du « socle des droits sociaux » est censée niveler par le haut le droit social dans les États membres et permettre la réalisation d’objectifs concrets en matière d’égalité, de formation, de conditions de travail et de protection sociale
  2. Il ne s’agit pas d’abaisser le salaire minimum unique pour l’ensemble des États membres de l’UE mais plutôt de faire en sorte que les rémunérations minimales offrent un niveau de vie digne à ceux qui les touchent.

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