Pierre-André de CHALENDAR
PDG du groupe Saint-Gobain
À l’heure où l’Europe est remise en question par le vote du Brexit et les velléités de repli sur soi d’autres États membres, Pierre-André de Chalendar, PDG du groupe Saint-Gobain, a tenu à réaffirmer son européanité. En tant que citoyen et en tant que dirigeant d’entreprise.
L’Europe compte, c’est une évidence pour moi en tant que citoyen et en tant que dirigeant d’une entreprise française, européenne et mondiale. L’Europe compte pour les entreprises parce qu’elle leur a offert la paix et la sécurité indispensables au commerce et à l’industrie. Au cours de ses 353 ans d’histoire, Saint-Gobain a connu tous les conflits qui ont ravagé notre continent. Nous ne pouvons oublier que la stabilité dont nous jouissons est un acquis récent, inestimable et fragile, un acquis que seul l’approfondissement des liens entre les nations, entre les régions, entre les citoyens peut protéger et garantir à long terme.
L’Europe compte pour les entreprises parce qu’elle leur a offert les instruments indispensables à leur croissance et à leur développement international. Saint-Gobain n’aurait pas prospéré si ses dirigeants successifs n’avaient pas compris, dès le xixe siècle, que son avenir ne pouvait se limiter à la France. Le marché et la monnaie uniques, la fin des frontières, le rapprochement des normes, toutes ces avancées ont soutenu l’expansion de nos entreprises.
L’Europe compte pour les entreprises parce que la libre circulation des citoyens a façonné des compétences plus variées, des esprits plus créatifs. Les jeunes que nous embauchons aujourd’hui ne sont pas seulement différents parce qu’ils sont nés avec la révolution numérique ; ils le sont aussi parce qu’ils sont de plus en plus européens, notamment grâce au programme Erasmus, dont la plus grande ouverture aux apprentis serait une avancée essentielle. Cette ouverture qu’apporte l’Europe et qui permet une compréhension plus large de nos enjeux d’entreprise, je la retrouve aussi au sein de notre convention pour le dialogue social européen(1).
Pour une Europe qui redonne envie aux citoyens
L’Europe compte enfin pour les entreprises parce qu’elle est notre chance face aux grands défis des années à venir, qu’il s’agisse du terrorisme, des migrations, du numérique ou du changement climatique. Ces défis appellent bien sûr des réponses mondiales. Mais l’exemple récent du désengagement des États-Unis de la COP21 montre la fragilité des réponses à l’échelle planétaire. L’Europe sera, j’en suis convaincu, l’endroit où s’inventeront les nouveaux modèles de régulation qui permettront de protéger les entreprises et les personnes tout en favorisant l’innovation. Pour ne prendre qu’un exemple et ne parler que du secteur d’activité de Saint-Gobain, les bâtiments représentent plus d’un tiers des émissions de gaz à effet de serre en Europe. Nous innovons bien sûr pour participer à la réduction de ces émissions, en proposant des produits toujours plus efficaces et dont l’empreinte écologique se réduit. Mais pour une Europe à l’avant-garde de la lutte contre le changement climatique, il faudra que l’Europe protège les entreprises qui s’engagent, par exemple en instaurant une taxe sur le carbone à ses frontières.
Alors oui, l’Europe compte pour les entreprises. Mais cela ne suffit pas. Stefan Zweig écrivait que l’idée européenne « n’est pas originelle et instinctive, mais elle naît de la réflexion, elle n’est pas le produit d’une passion spontanée, mais le fruit lentement mûri d’une pensée élevée ». La rationalité économique, l’intérêt de nos entreprises et de nos industries, les avantages objectifs de l’union entre nos États ne pèsent que peu face aux « passions spontanées » que sont le repli sur soi et le nationalisme. La défiance des peuples à laquelle l’Union fait aujourd’hui face me préoccupe et m’attriste, au-delà des conséquences économiques que la sortie du Royaume-Uni entraîne déjà. Cette défiance nous oblige à redonner un sens à l’action européenne, à proposer une vision aux peuples européens.
Nos valeurs, nos idéaux, notre modèle économique et social ne sont pas des archaïsmes sans avenir face à la loi du plus fort, au court-termisme ou au populisme. L’Europe a tous les atouts pour devenir un pôle d’attraction des talents, des idées, de l’innovation face aux États-Unis et à la Chine. Les prochaines élections européennes seront décisives. Nous devons faire de cette échéance un tournant vers une Europe plus intégrée, moins bureaucratique, qui redonne envie à ses citoyens. Après la guerre, « l’édification de la première Europe trouve peu de maçons et peu de ciment », écrivait Edgar Morin. Il en faudra pour que l’Europe invente un nouvel espace d’innovation, de liberté, de solidarité et de sécurité. Les entreprises ont le devoir d’en faire partie.
1) Prise en compte de la directive 2009/38/CE du Parlement européen et du Conseil du 6 mai 2009 sur les comités d’entreprise européens et mise en place des modalités d’exercice de l’information-consultation des représentants des salariés au niveau européen.