Amandine Brugière et Aurialie Jublin
Chargées du programme Digiwork FING (Association pour la Fondation Internet Nouvelle Génération)
Les débats autour de la question de l’emploi et du numérique divisent les experts : le numérique favorise-t-il l’emploi ou au contraire est-il un facteur de destruction du travail ? Au-delà de cette controverse, il est temps de s’interroger sur l’enjeu des transformations que connaît le monde du travail.
«Avant la fin du siècle, 70 % des emplois actuels seront automatisés et remplacés par des machines » écrivait, en 2012, le rédacteur en chef de la revue américaine Wired, Kevin Kelly. Depuis, les études et rapports d’experts se sont multipliés : le rapport de Bloomberg annonce que 50 % de la main-d’œuvre aux États-Unis pourrait être remplacée par des robots d’ici dix à vingt ans. En France, le cabinet Roland Berger estime que, dans dix ans, 3 millions d’emplois auront disparu. Les gains de productivité engendrés par le numérique détruisent-ils en définitive plus d’emplois qu’ils n’en créent ? Ou bien le numérique crée-t-il des emplois, mais ailleurs : dans les pays émergents plutôt que le « premier monde », dans la conception et la relation plutôt que la production, dans des nouveaux métiers voire des métiers à venir (data-scientist, hub-manager, économes des flux…) ? Cette cartographie de controverse donne à voir les principaux courants de pensée en la matière.
Fonctionnement en réseaux
Mais, pour bien comprendre les évolutions de l’emploi à l’ère du numérique, ne devrait-on pas d’abord se pencher sur les transformations du monde du travail tant dans ses conditions d’exercice, dans sa nature que dans son organisation ? La mobilité, le nomadisme, l’agilité des modes collaboratifs, le fonctionnement en réseaux, et multisites, les nouveaux lieux de travail, le retour du travail à la demande sur les plateformes de l’économie collaborative, le travail gratuit – digital labor… Toutes ces pratiques, sous-tendues par le numérique, mettent en tension les grands repères normatifs de l’organisation du travail (unités de temps et de lieu, rapport de subordination), ainsi que la chaîne de production de valeur. Comment intégrerons-nous ces transformations dans la société ? Comment faire en sorte qu’elles n’aggravent pas la polarisation de la société entre des individus confortablement installés dans l’emploi aux postes de décisions et de conception ; et d’autres dans des trajectoires précaires, rattachés à des fonctions d’exécution ? Notre système de solidarité, basé actuellement sur le temps de travail contractuel, est-il encore viable ? Comment accompagner l’individu pour qu’il se développe professionnellement, mais aussi personnellement, et soit valorisé tout au long de sa vie ? Autant de questions qui, à l’avenir, devraient occuper le débat public bien plus fortement que les questions d’emplois.
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