Morgane GORET-LE GUEN
Chargée de mission, Confrontations Europe
Édouard SIMON
Directeur du bureau de Bruxelles, Confrontations Europe
Les révolutions induites par les technologies numériques bouleversent profondément nos sociétés et nos économies. Marchés, usages, modèles économiques, rapports au travail et à la société, organisations et solidarités sociales sont tous traversés et bousculés par l’irruption de ces technologies.
Dans la course à l’innovation internationale, les rapports de force évoluent et certains acteurs (États-Unis et Chine en premier lieu) affirment leur leadership, qui est renforcé par des effets d’agglomération. La bataille du numérique se joue maintenant pour l’Europe, après qu’elle a raté la révolution des plateformes. Or, les Européens n’ont pris conscience que tardivement des enjeux de certaines technologies clés pour l’avenir et cherchent encore la voie à suivre pour devenir une véritable puissance numérique ouverte sur le monde et autonome. Comment faire en sorte que l’Europe ne manque pas la deuxième vague numérique et s’assure des positions de leadership au niveau global, et ce, alors que les Européens avancent encore trop souvent en ordre dispersé ? Se donner les moyens de devenir leader en matière d’innovation dans l’économie numérique suppose d’abord un marché construit et des investissements massifs.
Nos entreprises, notamment les jeunes pousses et les PME innovantes, doivent pouvoir s’appuyer sur un marché domestique européen intégré, socle indispensable à leur développement, et non avoir affaire à 28 réglementations nationales comme c’est le cas aujourd’hui. La fragmentation des marchés et des législations européens favorise la fuite de ces talents vers des marchés mieux construits (États-Unis, Chine…). Le marché européen doit pouvoir s’appuyer sur une Union de financement permettant l’approvisionnement de nos start-up en fonds propre et sur la mise en œuvre d’une capacité européenne de filtrage des investissements pour éviter que nos PME innovantes aient pour seul horizon d’être rachetées par des non-Européens.
Les besoins d’investissements dans les technologies (intelligence artificielle, cybersécurité, voitures autonomes, big data, ordinateur quantique, stockage d’énergie…) et les infrastructures (réseaux de très haut débit, par exemple) sont massifs, et les apports sont encore très insuffisants. Des impulsions publiques européennes sont nécessaires mais restent largement à construire. Il faudra également veiller à ne pas concentrer nos efforts uniquement sur les start-up et leur développement (scale-up) au détriment de notre base industrielle. Le risque d’un effondrement de nos industries traditionnelles est réel et ses conséquences en termes de croissance et d’emploi seraient irrémédiables.
Construire un cadre de compétition juste
Développer des réseaux et des services numériques à la hauteur des besoins d’une économie numérique de premier plan exige également un cadre de compétition juste pour favoriser l’innovation et la compétitivité de nos industries. Comment faire, d’une part, pour assurer le développement d’une économie européenne de la donnée face aux géants américains et chinois tout en sauvegardant notre préférence européenne pour une forte protection de la vie privée ? Comment répondre, d’autre part, aux enjeux de régulation des comportements abusifs de certaines plateformes, qui sont pour la plupart non-européennes et jouissent de positions quasi-monopolistiques ? Enfin, doit être traitée la question de la concurrence équitable entre entreprises traditionnelles et numériques qui peuvent par leur nature s’affranchir de toute contrainte liée à la présence physique sur un territoire. Quelle refonte, par exemple, des règles de fiscalité pour prendre en compte la numérisation des activités et les nouvelles formes de création de valeur ?
Le bouleversement organisationnel créé par les révolutions numériques fait émerger des craintes légitimes de polarisation des marchés du travail tout en soulevant de nombreuses interrogations sur l’avenir du travail tel que nous le connaissons aujourd’hui. Ces bouleversements appellent à un plan massif européen de requalification, qui doit se traduire par des investissements publics et privés dans le capital humain européen et par une remise à plat des systèmes nationaux de formation continue. Quels pourraient être les contours d’un tel plan ? Enfin, le développement pérenne d’un écosystème numérique européen et de la digitalisation de la base industrielle européenne nécessite d’assurer leur cyber-résilience. Il convient, d’une part, de lui permettre de répondre aux menaces et attaques qui pourraient la frapper, et d’autre part de préserver la compétitivité de l’UE, notamment en faisant émerger une industrie européenne de la cyber-sécurité.