Après le Green Deal, converger vers une économie au service des transitions 

Par Caroline Neyron, Directrice Générale du Mouvement Impact France

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Le Mouvement Impact France est une organisation patronale qui représente les intérêts de plus de 15 000 entrepreneurs français engagés dans la transition environnementale et sociale. Le Mouvement Impact France est à l’initiative de la coalition transeuropéenne Business for a Better Tomorrow, qui a présenté le 1er février 2024 à Bruxelles son manifeste en vue des élections européennes.

La transition écologique et sociale est-elle soluble dans les enjeux de compétitivité européenne ? Cette question est au cœur de la campagne électorale en cours, tandis que notre continent prend conscience soudainement d’un décrochage économique latent, qui couve depuis des décennies.    

Si le secteur agricole a récemment fait l’objet des inquiétudes les plus vives et des contestations les plus visibles, rares sont les secteurs industriels français et européens qui ne sont pas en perte de vitesse, et dont la pérennité demeure incertaine. L’agriculture mais aussi le textile ou l’automobile… Nombreuses sont les filières devant faire face à des réalités similaires : une concurrence déloyale et parfois inéquitable avec des acteurs économiques internationaux qui profitent des carences de notre cadre réglementaire, de l’exploitation de la misère sociale et d’un mépris des normes environnementales. Avec le résultat que l’on connaît : délocalisations de la production, faillites de nombreuses entreprises, chômage et casse des prix au détriment des droits humains et de l’environnement. 

Au cœur des récentes contestations, le coupable est tout trouvé : la multiplication des normes environnementales et son pendant européen, le Green Deal, considéré par ses nombreux détracteurs comme la principale cause des difficultés réelles vécues par les entreprises européennes. 

Alors même que la majorité des textes du Pacte Vert ne sont pas encore entrés en vigueur, faire de cette initiative politique l’origine de tous les maux traversant l’économie européenne aujourd’hui revient à se tromper de combat. Pire encore, cela permet d’éviter de mettre la focale sur le véritable problème qui fragilise notre économie : ne proposer aucun réel avantage compétitif aux acteurs économiques européens qui respectent et protègent nos valeurs et notre système social en produisant localement, dans le respect des droits sociaux et dans une démarche concrète de protection de l’environnement et de la biodiversité. 

S’il demeure certes perfectible, le Green Deal vise justement à, progressivement, poser les bases d’un cadre réglementaire plus robuste, résilient face aux nouvelles dynamiques géo-économiques internationales et protecteur de nos intérêts économiques en amorçant l’alignement de l’économie globale avec les grands objectifs environnementaux et sociaux de l’Union européenne. 

Face à ces défis, la perspective des prochaines échéances électorales constitue un moment charnière pour envisager les moyens d’assurer la survie de l’économie européenne, mais aussi la propulser vers de nouveaux horizons de prospérité et de durabilité. Autrement dit, pour réfléchir à la question essentielle de savoir comment renforcer l’économie européenne tout en maintenant notre modèle social et en engageant la transition écologique essentielle aux générations futures.

Dans cette perspective, deux options semblent s’offrir à nous : régresser ou avancer.

La première option consisterait à réduire nos normes sociales et environnementales pour gagner en compétitivité. Pour rivaliser avec nos concurrents, il faudrait se rapprocher de leurs conditions de production, quitte à mettre à mal le modèle européen. Moins de protection pour les employés et pour les consommateurs, moins de protection du climat et de la biodiversité : en bref, essayer d’aligner la compétitivité de nos entreprises à tout prix, quand bien même les « allègements » d’aujourd’hui généreront les contraintes et les investissements massifs pour les générations futures, et tout en sachant pertinemment que dans cette course à la compétitivité et aux bas-prix, il nous sera difficile, voire impossible, d’égaler nos concurrents.

La seconde option que nous proposons est de penser la construction d’un système qui fait de la prise en compte des enjeux sociaux, environnementaux et d’innovation le moteur du renouveau économique européen, avec un avantage compétitif réel à bien faire – par exemple, qui tend à privilégier le Made in Europe, des processus de circularité au sein des modèles d’affaires, l’inclusion des travailleurs ou encore la contribution active aux Objectifs de développement durable (ODD). 

Pour y parvenir, la politique économique européenne doit être fondée sur 3 piliers :  

  • Inciter, avec une politique engageant les entreprises à limiter au maximum leur impact négatif écologique ou social en orientant clairement les avantages et investissements autour de ces enjeux ; 
  • Protéger, en mettant en place une fiscalité aux frontières permettant de pénaliser les entreprises ne respectant pas nos normes sociales et environnementales dans la lignée du mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF), et en alignant les obligations écologiques et sociales du standard européen pour tous les produits commercialisés dans notre continent ; 
  • Financer, avec un plan massif d’investissement européen dans des filières clefs pour notre souveraineté d’aujourd’hui et de demain, à la hauteur des montants que les Etats-Unis ont pu par exemple mobiliser à travers l’IRA.

En pratique, cela implique d’abord de ne pas submerger les entreprises européennes sous trop de nouvelles contraintes administratives, et de les encourager à travers un système réglementaire qui incite activement à l’adoption de pratiques responsables. En somme, privilégier l’incitation à la contrainte, s’appuyer le plus possible sur des outils de politique publique existants, et faire de l’engagement un réel avantage compétitif pour embarquer l’ensemble des acteurs composant le tissu économique européen dans la transition. 

Et nous disposons des bons leviers, notamment grâce au Green Deal, pour y parvenir. Par exemple, pourquoi ne pas travailler sur un scoring semblable au score « Yuka » ou « Nutri-score » de la directive sur le reporting extra-financier (CSRD), qui imposerait aux entreprises de mieux évaluer et rapporter leurs impacts environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG), afin de leur permettre de pleinement visibiliser leur engagement auprès des consommateurs, investisseurs et pouvoirs publics, et de rendre in fine plus désirable cet exercice complexe mais ô combien nécessaire ? Pourquoi ne pas faire de la modulation environnementale et sociale de la fiscalité et des aides publiques le nouveau dogme européen, pour inciter financièrement mais sans contrainte les entreprises à intégrer pleinement les enjeux de la transition ? Un exercice qui pourrait d’ailleurs très bien s’articuler autour des mécanismes dits de bonus/malus, pleinement compatibles avec les logiques d’efficacité des dépenses publiques. 

Bien évidemment, et cette dimension est essentielle, il ne s’agit pas de laisser les entreprises européennes seules dans cette dynamique en faisant fi du contexte géo-économique actuel et de miner leur compétitivité face à leurs concurrents internationaux, qui seront toujours moins-disants sur les enjeux de transition : il faut au contraire que ce mouvement s’accompagne de réelles garanties pour protéger efficacement nos entreprises. Les initiatives comme le Net Zero Industry Act et le MACF adoptées ces dernières années ont été des premiers pas importants pour garantir à l’Europe une capacité à protéger son industrie, même si ces mesures peuvent parfois paraître timides face à des programmes comme l’Inflation Reduction Act américain. Il sera nécessaire de poursuivre en ce sens et de soutenir les entreprises européennes face à la concurrence internationale en garantissant des règles de compétition juste (clauses miroirs, extension du MACF, création d’un mécanisme d’ajustement équitable aux frontières, etc.) et en les favorisant dans l’octroi des marchés publics. 

La dernière corde à cet arc est bien sûr la dimension financière : pour accompagner cette transformation et atteindre nos objectifs de prospérité et de durabilité, nous savons qu’il faudra investir massivement dans la transition pour protéger la société et nos entreprises. En effet, les études démontrant l’impact économique négatif de la crise climatique se suivent et se ressemblent. La dernière en date, menée par Adrien Bilal et Diego R. Känzig, estime que le PIB mondial serait 37 % plus élevé si la planète ne s’était pas réchauffée de 0.75 % depuis 1960. Pire, l’étude considère également qu’une augmentation de 1°C de la température planétaire entraîne une baisse de 12 % du produit intérieur brut (PIB) mondial. Retarder cette dynamique serait ainsi économiquement et écologiquement irrationnel, tant attendre entraînerait d’importantes pertes de richesses et minerait à moyen et long terme la compétitivité des entreprises. Les dépenses d’aujourd’hui sont les coûts évités de demain : investir dans cette transition dès aujourd’hui est certes coûteux, mais retarder ces investissements serait finalement beaucoup plus onéreux.

Pour toutes ces raisons, nous considérons qu’il est urgent de converger vers ce modèle pour garantir le renouveau économique de l’Europe et faire de l’UE le véritable leader des transitions économiques. Alors que notre naïveté géo-économique nous est souvent reprochée, cette voie permettrait au contraire de mieux soutenir notre économie et nos industries face aux stratégies prédatrices de nos partenaires et concurrents, et de gagner ainsi de manière irrémédiable en souveraineté tout en mettant davantage nos entreprises au service de l’intérêt général.

L’Europe, avec le Green Deal, a déjà mis l’économie sur les rails de la transition. A un moment charnière de notre histoire, il nous faut désormais accélérer cette dynamique et permettre le passage d’une économie de la responsabilité à une économie de la contribution positive, seul paradigme à même de répondre efficacement aux grands défis de notre époque et de déclencher le sursaut de compétitivité dont notre économie européenne a besoin.

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