Carlo ALTOMONTE
Professeur associé au Département d’analyse politique et de management public de l’Université Bocconi (Milan, Italie)
Même si le Brexit n’est pas encore effectif, la situation va s’avérer très délicate pour l’Italie. Le Brexit risque d’avoir un impact négatif sur la politique intérieure italienne.
Les implications du Brexit pour l’Italie sont à la fois économiques et politiques. Sur le plan économique, l’incertitude règne. À moyen terme, les conséquences du Brexit dépendront en définitive des conditions finales (toujours incertaines) de la convention de « divorce » entre le Royaume-Uni et l’UE, mais on ignore quelle sera sa forme. Il s’agira peut-être d’un accord de coopération avec l’Union européenne aux termes de l’article 310 du Traité sur le Fonctionnement de l’Union européenne : le Royaume-Uni continuera de suivre les règles du marché unique européen (notamment celles relatives à la libre circulation des biens, des services, des capitaux et des personnes), mais avec quelques modifications. Ou alors, à l’autre extrême, il s’agira d’un Brexit radical : le Royaume-Uni prendra le statut de simple pays de l’OMC ayant un accord commercial avec l’UE, c’est-à-dire soumis au tarif extérieur commun applicable aux échanges de biens et de services, sans dispositions relatives à la libre circulation des capitaux et des personnes. Et cela ressemblera aux relations actuelles entre l’UE et la Chine.
Risque d’instabilité politique
La première option s’apparenterait au maintien du statu quo, tandis que la seconde (celle du Brexit « radical ») pourrait entraîner la délocalisation des activités économiques du Royaume-Uni en Italie (laquelle compte actuellement près de 500 filiales de sociétés britanniques, générant un chiffre d’affaires total dépassant les 13 milliards d’euros). Dans les faits, on risque d’assister, pendant la phase de transition, à une fuite des investissements pour contourner les barrières tarifaires, les sociétés cherchant à pénétrer le marché continental. Encore faut-il que l’Italie puisse offrir des conditions propices à la stabilité politique et une sécurité juridique adéquate.
À court terme, cependant, d’autres conséquences sont attendues. Au-delà de la dévaluation de la livre, le coût de la réorganisation du système économique britannique avec de nouvelles règles définissant les interrelations avec l’UE, en particulier au niveau du secteur bancaire, est porteur d’incertitudes pour les investissements futurs. Pour la Grande-Bretagne, ce scénario pourrait s’accompagner d’une réduction de deux à quatre points du PIB au cours des deux prochaines années, ralentissant la croissance économique. Cela pourrait avoir des répercussions pour l’Italie, car le Royaume-Uni représente le quatrième marché pour les exportations italiennes, bien que le volume global des transactions n’excède pas 5 % des exportations totales. En outre, vu que le Royaume-Uni n’est pas nécessairement le marché de destination final des exportations italiennes (les produits italiens transitent souvent par la Grande-Bretagne pour être finalement consommés aux États-Unis), il est possible que le Brexit entraîne pour l’Italie une refonte des chaînes de valeurs mondiales : celles-ci pourraient passer par d’autres pays jouant le rôle de « passerelles » vers les États-Unis, l’Allemagne et l’Irlande étant les candidats les plus probables.
Au-delà de l’impact économique, les implications politiques sont bien plus délicates. À court terme, le risque évident est que le vote en faveur de la sortie de l’UE fasse des émules auprès d’autres partis eurosceptiques qui feraient des revendications similaires lors d’élections nationales. De fait, le prochain référendum organisé en décembre en Italie sur les réformes constitutionnelles sera le premier test grandeur nature de ce risque d’instabilité politique intérieure « induit par le Brexit ».
À moyen terme, dans le but précis de minimiser ce risque, de grands pays européens, dont l’Italie, pourraient avoir envie de compliquer les choses pour le Royaume-Uni suite à sa demande de divorce : maximiser les dommages économiques pour le pays leur permettrait de montrer à l’électorat eurosceptique les risques qu’il y a à faire campagne contre l’UE. Les gouvernements au pouvoir seraient ainsi en mesure de maintenir plus facilement le statu quo. Toutefois, pousser dans ses derniers retranchements un pays qui est une grande puissance nucléaire, un membre clé de l’OTAN et de la défense européenne, et un membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies n’est une politique avisée pour aucun des membres de l’UE…