Une industrie énergétique pour le climat

Christian Pierret, ancien ministre de l’Industrie de 1997 à 2002 et Administrateur de Confrontations Europe

Dans un dernier rapport publié en mai 2022, l’ONU estime qu’il y a 50 % de « chances » pour que les objectifs de la COP21 relatifs au réchauffement climatique maximal (1,5° à 2°), par rapport au niveau préindustriel, soient dépassés dès 2030. Ces objectifs avaient constitué un engagement ferme et chiffré des signataires de l’accord de Paris. Ils s’inscrivent depuis cette année dans le contexte difficile d’une double crise :

  • Celle d’une pandémie exceptionnelle par son extension mondiale, la Covid-19, qui a déstabilisé les économies européennes et a réintroduit le poison inflationniste ;
  • Celle d’une crise de la dette publique, sans précédent, dans la plupart des États industriels, déjà choqués par la crise des « subprimes » en 2008. Ils subissent le poids cumulé du maintien à flot de leurs économies pendant les deux ans de la crise sanitaire. Ils pâtissent aussi de leur renonciation à une gestion saine des finances publiques, depuis trente ans.

Les moyens financiers de l’action publique s’en trouvent drastiquement réduits, pour faire face à l’urgence climatique. L’environnement politique, économique et social, des politiques européennes en faveur du climat, est particulièrement défavorable, en ce début d’une décennie cruciale pour éviter l’irréparable en fin de siècle. Pour n’avoir pas agi à temps, depuis Rio (1992) et Kyoto (1997), l’impasse climatique se révèle comme la possibilité d’une catastrophe.

Une UE prudente et avisée

Ce n’est pas faute, pour l’Union européenne d’être vertueuse et prévoyante :

  • Vertueuse comme elle l’est par rapport aux États-Unis ou à la Chine : deux fois moins d’émissions de CO2, en 2018, que l’Amérique et plus de trois fois moins que la Chine. Quant à la France, elle émet onze fois moins de CO2 que la moyenne de l’UE, grâce à un mix énergétique original qui, combine hydraulique, les EnR et le nucléaire. Elle est avec la Suède, pour les mêmes raisons, le bon élève de la classe européenne ;
  • Prévoyante, puisque dès 2001, le livre vert sur l’énergie, publié par la commissaire L. de Palacio, souligne l’urgence d’apporter une solution à la dépendance de l’UE à l’égard des énergies fossiles importées. Hélas, la réponse qui fut donnée à la soif européenne d’hydrocarbures s’est révélée, avec « North Stream » 1 et 2, désinvolte avec le climat et dangereuse pour l’indépendance de certains États membres livrés à la politique arbitraire et brutale du Kremlin. C’est ainsi que l’économie allemande a perdu l’essentiel de son autonomie énergétique et que la première économie du continent soumet la population européenne au danger sanitaire de la pollution par les hydrocarbures qu’elle ajoute à la nocivité du charbon et du lignite. Ces deux combustibles représentent en eff et près de 40 % de sa production électrique. Berlin, le « champion des EnR » ne compte sortir du charbon … qu’en 2038 ! Pourtant, l’UE ne cesse de publier des plans ambitieux et s’efforce d’apporter nombre de solutions concrètes, à cette contrainte énergétique, qu’elle se doit de maîtriser pour rester en tête de la compétition économique mondiale : elle multiplie les objectifs de rupture avec les énergies fossiles et les financements favorables aux EnR. Ceux-ci sont le seul secteur économique autorisé à s’affranchir des règles de la concurrence…
  • Prudente, l’UE s’efforce de créer un marché viable du carbone, sans alourdir à l’excès les coûts de production de l’industrie. Elle encourage la recherche de nouveaux produits et procédés sur les batteries, l’hydrogénisation, le gaz vert, les hydroliennes, etc.
  • Ce dynamisme européen affirme le leadership de l’Union : elle sera le premier ensemble économique mondial, capable de satisfaire les objectifs adoptés par les accords de Paris en 2015, à la COP21 : réduire les émissions de gaz à effet de serre à leur niveau de 1990. C’est un pari, puisque l’UE ne présente pas une géographie homogène des mix énergétiques des États membres ; du nord au sud, les situations les plus diverses coexistent : depuis la prédominance du charbon en Pologne, à l’hydraulique comme en Autriche, ou encore à celle du nucléaire en France et en Suède. La diversité des mix électriques s’explique par la présence ou non de ressources locales, par le niveau scientifique et technique, par la géographie de l’ensoleillement ou la fréquence de vents suffisants. Dans certains pays, le développement technologique et la R&D traduisent l’histoire économique ou l’avance scientifique d’un pays et expriment des choix politiques forts comme le nucléaire, en France. Cette situation, croisée avec une grande hétérogénéité de développement académique et industriel – surtout depuis l’élargissement de l’Union en 2004 – rend complexes, les accords en matière de politique énergétique tels que la décarbonation des économies, le prix du carbone, le rôle respectif des États et des entreprises. Dans la conquête du « zéro émission », la promotion de l’économie circulaire et la baisse de la consommation globale d’énergie jouent aussi leur rôle, parfois discuté.

Pour pallier les conséquences des divergences manifestes entre les diff érents choix nationaux et éviter les dysfonctionnements graves des réseaux électriques (« black-out possibles »). L’interconnexion des réseaux à l’échelle du continent s’est donc imposée comme la solution intelligente et efficace.

L’origine des émissions des gaz à effet de serre pousse aussi les Européens à rechercher des solutions convergentes sur les lourds problèmes communs qu’ils affrontent : la mobilité au fuel, le chauffage des bâtiments au charbon ou au fioul, certains usages du gaz naturel, concourent à ce que l’on trouve rapidement des solutions durables pour décarboner les économies.

De nombreuses contradictions

Les contradictions ne manquent pas quant aux orientations politiques prises sur les grandes options énergétiques : elles conduisent à des menaces sérieuses sur la sécurité d’approvisionnement, comme le montre tragiquement, la guerre engagée contre l’Ukraine par la Russie. De même, il y a quelques années, les réactions très contrastées, souvent plus émotionnelles que rationnelles à l’accident nucléaire de Fukushima, ont révélé l’inadéquation de certaines réponses nationales. L’arrêt du nucléaire a, par exemple, en Allemagne, tenu autant de l’idéologie et de l’émotion, voire des intérêts électoraux régionaux de la Chancelière, que de l’analyse du cas particulier de cette centrale construite à 150 km de la plus importante faille tectonique du Pacifique.

C’est pourquoi une clarification s’impose pour affirmer une ligne pragmatique qui tourne le dos aux a priori, à l’idéologie et à la petite politique. La vision commune qui pourrait conduire à ce que l’on pourrait nommer un agenda de « l’Airbus du climat » s’appuiera au-delà des discours, sur la seule synthèse possible entre tant de vues nationales originales et opposées : la décarbonation de l’économie européenne. Celle-ci sera fondée sur un financement partiellement mutualisé et planifié. Elle ménagera toute leur place à la volonté politique et au réalisme. Ce sera le rendez-vous de la souveraineté européenne dans ce secteur stratégique : à quoi cela servirait-il de continuer à afficher des calendriers sévères et contraignants si l’appareil industriel européen insuffisant, n’était pas en mesure de suivre techniquement des orientations décidées sans égard pour les déficits commerciaux induits.

Pour un leadership européen sur le climat

Ce fut le cas avec les premiers développements du photovoltaïque. Or le « Green Deal » européen désigne le photovoltaïque comme un des facteurs essentiels de réalisation de son programme pour 2050 : pourtant, les incitations financières, et la R&D communautaire sont loin d’apporter une réponse suffisante aux défi s que se lance l’Union à elle-même. À ce constat inquiétant s’ajoute la perte d’autonomie qui résulte de l’absence totale de certains entrants, ou composants industriels des éoliennes, comme les terres rares, extraites dans une petite poignée de pays dans le monde et dont la Chine est le principal producteur. Si l’on considère l’ensemble des chaînes de valeurs de l’éolien et du photovoltaïque, c’est un cri d’alarme qu’il faut lancer pour garantir un leadership réel à l’UE : celui de l’innovation et de la propriété intellectuelle. L’urgence se lit à ce seul chiffre : 97 % des panneaux solaires dans le monde sont chinois. Voudrait-on s’abandonner à cette nouvelle dépendance après avoir subi celle de la Russie ?

Les règles communes issues des traités permettent à chacun des États membres de suivre son propre chemin en fonction de sa situation présente, pour converger avec ses partenaires afi n de réaliser les objectifs de décarbonation fixés pour 2030 (« Fit for 55 ») : réduction des émissions carbone de 55 %, tout en « préservant l’équité sociale et l’emploi ». Selon la présidente Ursula von der Leyen, les traités encouragent dans le même temps les politiques de « coopération renforcée », qui permettent de regrouper les efforts de plusieurs États et d’avancer plus vite et plus loin sur des sujets d’avenir : la recherche et le développement, par exemple sur les modes de construction ou sur les véhicules à hydrogène ; ou bien encore sur le stockage des énergies alternatives.

Une rupture stratégique sur le climat

Enfin, il est clair que cette orientation de rupture avec un passé de l’Union un peu velléitaire (les vingt ans d’atermoiements sur le prix du carbone et les certificats d’émission (ETS) en constituent deux exemples éloquents), devra réunir des financements importants. Ils sont évalués à plus de 3 Mds€ annuels sur 15 ans. Pour cela, une politique concertée de croissance économique forte, mais qualitativement différente, favorisant l’émergence d’une « filière industrielle complète du climat » sera nécessaire. Au contraire des affirmations démagogiques, dans l’air du temps, il n’y a pas de politique en faveur du climat sans une forte croissance pour la financer sainement.

Par ailleurs, elle exigera des citoyens une progressive remise en cause de leur mode de consommation, qui devra évoluer vers plus de sobriété dans l’usage des matières premières et de l’énergie.

On le comprendra, la perspective de la révolution climatique européenne ne peut être conçue et mise en œuvre qu’avec une forte résolution politique qui a tardé, jusqu’à présent, à se manifester avec autant de clarté, que ce fut le cas lors de la création de l’Euro. Plus encore que sur les budgets nationaux et communautaire, c’est sur son courage politique que l’Europe doit faire front.

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