Un an après le sommet de Porto : Les ambitions européennes en matière d’Europe sociale

Laurent Berger, Président de la Confédération européenne des syndicats

Le 7 mai 2021 se tenait le Sommet social de Porto qui réunissait les 27 afin de déterminer un plan d’action pour la mise en œuvre du socle européen des droits sociaux. À l’image du Pacte vert, les 27 se sont accordés sur trois objectifs chiffrés à l’horizon 2030 : un taux d’emploi de 78 %, un taux de formation de 60 % des adultes, et une réduction de 15 millions du nombre de personnes dans la pauvreté.

S’inscrivant dans ce cadre, la présidence française a obtenu quelques résultats tangibles.

Il s’agit notamment de la publication du projet de directive sur le devoir de vigilance des entreprises en février 2021, et de celle sur le point d’aboutir relative aux salaires minimums adéquats. Bien que timides, ces avancées, tout comme la réforme en cours du dialogue social européen, démontrent que l’Europe sociale tend à se revitaliser. Au-delà de la dimension sociale, il faut souligner que, la lutte contre le changement climatique fi gure, elle aussi, parmi les priorités avec la discussion d’une taxe carbone aux frontières.

Toutefois, depuis le Sommet de Porto, l’invasion de l’Ukraine par la Russie bouleverse brutalement la nature des débats politiques européens et internationaux.

Si la cohésion des États membres face à l’ampleur de cette guerre est jusqu’à présent remarquable, les crises sécuritaires, humanitaires, énergétiques et alimentaires déclenchées par Moscou révèlent les dépendances de l’UE et les vulnérabilités qui en découlent. Pour y répondre, les Européens doivent développer leur autonomie stratégique. Il s’agit de tendre vers plus d’indépendance dans les domaines clés de la défense, de l’approvisionnement, du digital et de la communication.

Mais face à cette urgence, la tentation de la dérégulation et de l’austérité est grande. Des voix se font déjà entendre pour revoir à la baisse les objectifs du plan « De la ferme à la table » qui verdit nos assiettes ainsi que ceux du Pacte vert.

Attention cependant. L’autonomie stratégique européenne ne pourra se construire au détriment de l’Europe sociale et écologique. Bien au contraire, l’action climatique et sociale est la solution. L’urgence pour l’Europe de se rendre moins dépendante constitue une opportunité pour les 27 d’accélérer la transition écologique dans le respect d’une transition juste. Le souhait européen de se détourner des hydrocarbures russes est, par exemple, l’occasion d’accélérer le développement des énergies renouvelables.

Faire face à ces défi s entraînera des répercussions sur le monde du travail : des emplois seront supprimés alors que d’autres seront créés. Il est donc primordial de défi nir une stratégie européenne, accompagnée de mesures fi nancières, dans les domaines de la formation et des compétences.

L’accompagnement de ces transitions suppose que le dialogue social devienne une méthode de travail incontournable. La crise de la Covid-19 a mis en exergue le rôle crucial du dialogue social dans la gestion de la pandémie. Aucune transition juste ne peut se réaliser sans un dialogue social européen de qualité. La démocratie sociale est une pièce maîtresse de la démocratie dans son ensemble. Or, nous notons une fatigue démocratique dans le débat public et l’entreprise est traversée par les mêmes frustrations. Les mobilisations à répétition dans de nombreux pays de l’UE démontrent l’urgence de construire des politiques climatiques ambitieuses en collaboration avec les représentants des travailleurs en tant que citoyens sur leur lieu de travail. Il est pour cela crucial de mettre l’emploi, les travailleurs et les conditions de travail à l’ordre du jour des politiques d’adaptation liées à la construction de l’autonomie stratégique de l’UE. L’enjeu est démocratique !

En outre, nous n’aboutirons pas à la construction de transitions justes sans recours à des investissements supplémentaires massifs, tant privés que publics.

Cela nécessite une réforme en profondeur de la gouvernance économique européenne et de ses règles budgétaires. Le Pacte de stabilité jugule l’investissement et empêche la construction d’une Europe sociale et écologique qui pourvoit des emplois de qualité, la sécurisation des parcours des travailleurs face aux transformations à venir.

L’Union est à la croisée des chemins. Soit elle choisit un repli sur des règles de gouvernance économiques obsolètes, soit elle affronte renforcée et unie les défi s du XXIe siècle : la transition écologique, la justice sociale et la démocratie.

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