Renforcer la protection des libertés, un processus continu

Dominique Rousseau, Professeur émérite à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, membre honoraire de l’Institut universitaire de France et Administrateur de Confrontations Europe

Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et Cour de justice de l’Union européenne, Convention européenne des droits de l’homme et Cour européenne des droits de l’homme, droits fondamentaux en tête des constitutions nationales et contrôle de constitutionnalité, sur le papier tous les mécanismes sont là pour garantir un exercice du pouvoir respectueux des libertés fondamentales. Et depuis 2020, le rapport de la Commission sur l’état de l’État de droit au sein de chaque pays membre permet d’avoir une représentation des progrès et/ou des préoccupations relatives, par exemple, à l’indépendance de la justice et à la liberté de la presse et d’exposer les moyens d’une meilleure protection des libertés fondamentales. Mais cette protection n’est jamais un fait acquis ; elle est un processus continu qui pourrait se prolonger par trois actions principales.

La diffusion d’une culture constitutionnelle européenne

Selon l’article 6 du traité sur l’Union européenne, les droits fondamentaux qui font partie du droit de l’Union européenne résultent non seulement de la CEDH mais aussi « des traditions constitutionnelles communes aux États membres ». Il conviendrait, à partir de l’étude des jurisprudences européennes et constitutionnelles, à partir des analyses sociologiques, philosophiques, juridiques, d’identifier ces traditions constitutionnelles communes pour les constituer en standards constitutionnels européens ou, pour s’inscrire dans la pensée d’Habermas, pour les constituer en « patrimoine constitutionnel européen ». Et c’est sur le fondement de ce patrimoine, de ces standards, de ce bloc de constitutionnalité européen que seraient appréciés par les Cours constitutionnelles des États les régimes juridiques des différentes libertés.

Ce processus de standardisation pourrait faciliter et se poursuivre par l’adoption d’une constitution européenne inscrivant ce patrimoine dans son titre premier. Le passage du traité à la constitution n’est pas qu’un problème de « technique juridique », il transforme une manière de se voir, étrangers par les traités, citoyens d’un même espace et donc partageant les mêmes valeurs par une constitution.

L’actualisation du principe de l’équilibre des pouvoirs

Chacun sait, depuis Montesquieu, que la protection des libertés dépend de l’équilibre des pouvoirs en ce qu’un pouvoir ayant toujours tendance à aller au bout de son pouvoir, voire à en abuser, il faut lui mettre en face un pouvoir qui vienne le limiter et l’en empêcher. Et réciproquement. Si le principe reste pertinent, sa mise en œuvre doit s’adapter aux configurations politiques actuelles où le pouvoir exécutif, quelle que soit sa figure présidentielle ou primo-ministérielle, est en position de force.

Les assemblées parlementaires doivent bien sûr rester le lieu qui garde un contrôle sur l’action du pouvoir exécutif et trouve les compromis permettant de voter des lois respectueuses des libertés. Mais, pour que les assemblées soient une des gardiennes des libertés, il faut qu’elles disposent non seulement des compétences pour le faire mais encore des moyens humains – une « flotte » de collaborateurs – ; des relais indépendants – laboratoires universitaires – ; et d’un mode de scrutin à base de proportionnelle qui garantisse une fabrication délibérée des lois.

Aujourd’hui cependant, la liberté de la presse, et donc l’indépendance des médias, et la justice, et donc son indépendance, sont devenues les principales institutions de l’équilibre des pouvoirs. La presse, parce qu’elle donne à voir et permet aux citoyens de comparer les lois au regard des libertés énoncées dans le patrimoine constitutionnel européen, la justice, notamment constitutionnelle, parce qu’elle permet aux citoyens de réclamer le respect des droits fondamentaux, si la comparaison fait apparaître un écart entre eux et la loi votée.

L’association des citoyens à la production des lois

La meilleure garantie des libertés est leur exercice et, bien sûr, leur exercice par les citoyens eux-mêmes. En l’état actuel des choses, il ne s’agit pas d’enlever aux représentants élus des citoyens leur pouvoir de faire les lois et de définir les politiques publiques. Il ne s’agit pas d’enlever mais d’ajouter les citoyens dans ce processus de fabrication des lois et des politiques publiques.

Partout en Europe – mais aussi sur d’autres continents – émerge, non pas, une fatigue démocratique, mais une colère démocratique qui exprime la demande des citoyens de devenir des citoyens actifs, pour reprendre une notion de 1789, et non plus des citoyens passifs, regardant leurs élus faire les lois. Ils veulent exercer leur droit de citoyen par l’exercice d’un pouvoir d’initiative des lois, par un pouvoir d’intervention sur le contenu des lois en train de se faire et par un pouvoir de contrôle des lois faites.

Si les libertés ont besoin d’institutions pour être protégées, les citoyens ne peuvent être exclus, ni de ces institutions, ni de la capacité à exercer leurs droits dans la fabrication des lois et leur contrôle.

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