Le temps d’une Union politique ?

Hervé Jouanjean, Ancien Directeur général à la Commission européenne et Vice-président de Confrontations Europe ; & Stefan Seidendorf, Directeur adjoint de l’Institut franco-allemand de Ludwigsburg et Administrateur de Confrontations Europe

L’évolution du monde au cours de ces dernières années pose à nouveau la question de « l’union politique » aux Européens. Les défi s auxquels ils se trouvent confrontés, énergie, climat ou numérique, réclament des réponses communes, dont la définition appelle en même temps un maximum de transparence et de participation démocratique. Car il ne s’agit plus d’harmoniser mais de créer ensemble de nouvelles politiques établies au niveau européen, dotées de moyens conséquents, dans le respect du principe de subsidiarité. La crise de 2008, puis récemment la crise de la Covid-19 et la guerre en Ukraine ont amené l’UE à prendre des mesures qui sont historiquement du ressort des gouvernements nationaux. Elle s’est engagée de facto plus loin sur la voie d’une forme d’union politique qui ne dit pas son nom. Dans une perspective pragmatique, nous proposons de continuer à progresser sur la base de deux considérations :

Première considération : où et comment l’UE doit intervenir ?

L’UE doit concentrer ses efforts d’intégration dans les secteurs stratégiques de son développement. On pense, par exemple, à la régulation du marché numérique ou à l’ambition de neutralité carbone de l’UE à l’horizon 2050. Ces initiatives devraient s’adresser à des catégories spécifiques d’individus à travers toute l’Union (jeunes entrepreneurs numériques, apprentis à l’étranger…), et non plus seulement profiter à certaines régions (fonds structurels consacrés à l’ajustement structurel) ou États membres (« contributeurs nets » et les « autres »), sur la base de catégories défi nies après des compromis souvent opaques. L’UE doit, pour cela, renforcer le débat politique autour des priorités de son action et ainsi en accroître la transparence.

Pour répondre aux esprits critiques qui craignent une trop forte centralisation du pouvoir politique au niveau européen, on pourrait penser à organiser l’action commune autour de deux principes qui permettraient de définir où et quand une action européenne est légitime pour atteindre un objectif politique. Ces principes s’ajouteraient au principe de subsidiarité, déjà établi dans les traités.

  • Le premier principe concerne les problématiques d’interdépendance qui valent, entre autres, pour la transition environnementale dans toutes ses dimensions. Une union politique serait un formidable levier pour associer la force de nos États membres afin de mobiliser ensemble les moyens nécessaires pour accompagner les processus de transition engagés. Ces processus, souvent (socialement) coûteux et difficiles à mettre en œuvre, seront plus acceptables pour les citoyens s’ils étaient engagés dans toute l’Union.
  • Le second principe qui devrait guider les interventions d’une union politique concerne les problématiques d’externalités ou encore du « parasitisme » (« free-riding » en anglais). C’est le cas quand un acteur veut profiter des avantages qui découlent de l’action commune sans en accepter les règles ou les coûts. L’action commune doit empêcher au maximum cela, par exemple via l’établissement d’un impôt minimum pour éviter le dumping fiscal, l’harmonisation des standards sociaux, ou encore l’établissement de règles budgétaires qui empêchent le surendettement d’un seul membre, aux frais des autres.

Cette action plus efficace et plus structurante de l’UE doit passer par une capacité budgétaire accrue, construite sur de véritables ressources propres à l’Union, indépendantes et contrôlées par le Parlement européen et le Conseil. Cela permettrait de valoriser davantage l’utilité et la légitimité de l’action commune européenne, au-delà du débat entre « contributeurs nets » / « bénéficiaires ». Ensuite, il s’agit de réformer le vote à l’unanimité au Conseil des ministres, qui continue à s’appliquer encore pour plusieurs matières couvertes par le TFUE. Avec l’unanimité, un seul gouvernement peut aujourd’hui empêcher toute solution commune. Au-delà du veto, ce système favorise par définition les compromis a minima, autour du plus petit dénominateur commun.

Seconde considération : vers une prise de décision plus transparente, plus participative et plus démocratique

Beaucoup a été tenté pour donner plus de légitimité au processus décisionnel au niveau européen, mais il reste largement méconnu du grand public. Il convient d’approfondir la réflexion sur un système décisionnel qui viserait une légitimité accrue, couplée avec une capacité de rupture.

Le système actuel de décision favorise l’établissement de compromis larges, qui associent de très grandes majorités (États membres, gouvernements, parlementaires). Cela permet d’enjamber les grands clivages économiques ou culturels qui divisent les États membres. Cependant, ce système vient avec un risque d’enlisement dans des procédures trop longues, accompagnées de marchandages souvent opaques.

Pour ne pas tomber dans ce travers, nous proposons d’ajouter des éléments de démocratie directe dans le cadre du système existant. Aujourd’hui, le système européen ne connaît que peu d’éléments participatifs citoyens (Initiative Citoyenne – IC –, différentes expériences de conférences citoyennes, phases de consultation dans le cadre de la procédure législative ordinaire, référendum pour quitter l’UE, et naturellement les élections au PE, mais encore trop souvent organisées sur la base de listes nationales, trop éloignées des électeurs dans leurs circonscriptions). Ces éléments ne peuvent pas convaincre sur les solutions trouvées, ni augmenter la légitimité démocratique du système.

Deux dimensions pourraient être renforcées : la subsidiarité comme élément du dialogue sur le choix du bon échelon de l’action et la mise en œuvre au niveau le plus proche des citoyens, en y associant les principes évoqués dans la première partie du texte. On pourrait aussi penser à une nouvelle réforme de l’Initiative Citoyenne aux fi ns de l’application des traités, en l’associant plus directement avec le Parlement européen et sa capacité d’organiser la transparence démocratique. Une IC qui aboutit à réunir le nombre de signatures nécessaires, dans le nombre d’États nécessaires, pourrait ainsi obligatoirement faire l’objet d’un débat en plénière parlementaire. On pourrait confi er, uniquement dans ce cas et pour cette situation particulière, un droit d’initiative au PE, qui respecterait ensuite les étapes de la procédure de codécision. Cela permettrait d’associer la légitimité démocratique du Parlement à la capacité innovante de rupture de la démocratie directe, sans tomber dans les entraves évoquées.

En poussant cette réflexion plus loin, on pourrait même penser à l’instauration d’une chambre participative de citoyens, qui s’associerait au Comité économique et social européen et au Comité des régions et qui serait réunie idéalement à Strasbourg (« l’Europe citoyenne »), par exemple deux fois au cours d’une législature. Il faudrait évidemment approfondir la réflexion sur la composition d’une telle chambre, qui aurait vocation à associer des citoyens tirés au sort, à son articulation avec les « forces intermédiaires » (représentants des syndicats, des entreprises…) et les représentants du niveau communal et régional avec leur connaissance du terrain. Le mandat d’une telle chambre devrait aller au-delà des « avis » donnés aujourd’hui par le CESE et le Comité des régions sur les propositions législatives. Pour aller dans ce sens, une procédure qui associerait les propositions de cette chambre au droit d’initiative du Parlement européen évoqué précédemment permettrait de ramener le débat dans le cadre démocratique déjà connu et d’en garantir ainsi la lisibilité et la cohérence.

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