PRÉAMBULE – L’Union européenne à l’épreuve des crises : Le jugement des citoyens

Par Emmanuel Rivière, Directeur des études internationales et du conseil politique de Kantar Public, Président du Centre Kantar sur le Futur de l’Europe

et Julien Zalc, Directeur conseil de Kantar Public

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De la crise financière de 2007/2008 à la crise sanitaire qui sévit aujourd’hui, en passant par la crise des migrants et le Brexit, l’Union européenne a affronté au cours des 15 dernières années des défis quasi existentiels. Ils mettaient à l’épreuve des projets au cœur même de la construction européenne et, aux yeux de ses citoyens, ses plus grandes réussites ou ses promesses les plus attendues : la stabilité d’un espace de prospérité créateur d’emploi, la liberté de circulation, la solidarité entre les États membres. S’il est un peu tôt  pour tirer un bilan de la crise de la Covid-19 et de sa gestion  sur l’image de l’UE, nous avons suffisamment de recul pour un premier constat. Contrairement  aux deux premières crises citées, la pandémie n’a pas eu pour conséquence immédiate une dégradation du crédit de l’Union européenne. Bien au contraire.

Des crises européennes par nature

Toutes ces crises ne relevaient pas initiale-ment de compétence européenne. Mais toutes avaient, dans l’esprit du public, une dimension européenne.  Les  Eurobaromètre  Standard  re-cueillent, tous les six mois, les perceptions des citoyens  européens  sur  les  principaux  problèmes qui se posent à leur pays, et à l’Union européenne. Il est intéressant de constater que la hiérarchie diffère souvent entre les deux échelons. Au début de la décennie 2010, les préoccupations étaient essentiellement économiques, avec cependant  une répartition des rôles : les problèmes identifiés à l’échelon national étaient avant tout le chômage et la hausse des prix, plus proches des préoccupations individuelles, quand l’agenda attribué à l’Union européenne mettait l’accent sur la situation financière et économique des États membres. À partir de 2015 et jusqu’au début de la crise de la Covid-19, c’est l’immigration qui s’installe nettement en tête des problèmes identifiés comme les plus importants pour l’Union européenne. Cet enjeu n’a jamais eu le même degré de priorité au niveau national, sauf de manière éphémère à l’automne 2015, où cette préoccupation citée par 36 % en moyenne de l’UE, partage la première place avec le chômage dans la hiérarchie des défis pour le pays. Lorsqu’elle survient, avec la brutalité que l’on sait en termes de coût humain et d’impacts sur la vie quotidienne, la crise de la  Covid-19 est immédiatement et massivement identifiée comme un enjeu majeur pour l’Union européenne, mise au défi de répondre aux inquiétudes de ses citoyens.

À rebours de ce qu’on a observé pour les crises précédentes, l’UE sort plutÔt renforcée de la crise de la Covid

Invités depuis le début de cette crise à évaluer la manière dont l’UE a fait face à la  pandémie, les Européens interrogés dans les enquêtes Eurobaromètre expriment des  jugements, qui sont, à première vue, plutôt mitigés. Ainsi, si plus de la moitié se disent, au printemps 2021, satisfaits de mesures prises par l’UE pour lutter contre la pandémie (51 %) , 41 % sont d’un avis contraire. Dans le détail, on observe d’ailleurs que dans cinq États membres (Grèce, Slovaquie Allemagne, Tchéquie et Luxembourg), une majorité — parfois relative — n’est pas satisfaite. Cependant, une analyse sur le temps long permet  d’observer l’impact de la crise sanitaire sur l’opinion à l’égard de l’Union avec un œil différent,  et  nettement  plus favorable. Notamment lorsqu’on s’intéresse aux  similitudes, mais surtout aux différences entre les crises successives auxquelles l’Union a été confrontée, au cours des 15 dernières années, et notamment la crise économique et financière, à partir de 2007-2008, et la crise migratoire, dont le sommet est atteint à  l’été 2015, avec un nombre record d’arrivées de migrants illégaux, et des événements qui ont marqué très forte-ment l’opinion, comme la mort du petit Aylan.

Le graphique ci-dessus montre l’évolution de la confiance des Européens dans l’Union européenne, mais aussi dans les institutions politiques nationales (gouvernement et parle- ment) depuis 2004. On constate que la confiance dans l’Union européenne s’est dé-gradée fortement en raison de la crise économique et financière, aggravée par la crise de la dette dans la zone euro, pour atteindre son étiage bas au printemps 2012, à 31 %, après une chute assez vertigineuse de 26 points de pourcentage (pp) depuis le printemps  2007, avant le démarrage de la crise. La dégradation est beaucoup plus limitée dans le temps pour la crise migratoire : on observe simplement un net décrochage de -8 pp entre le printemps et l’automne 2015 (de 40 % à 32 %), puis une remontée progressive quand ce sujet prend un peu moins de place dans le débat public, notamment à partir de 2016. En revanche, on observe un phénomène quasiment inverse après le début de la pandémie, au début 2020 : alors que dans l’enquête EB93 de l’été 2020(1), la confiance dans l’UE reste stable (43 %, sans changement par rapport à l’automne 2019), on observe une hausse sensible de +6 pp dans l’enquête EB94 de l’hiver 2020-2021. Cette crise sanitaire a donc amélioré la confiance des Européens dans l’Union européenne.

On peut aussi noter que si la confiance dans l’Union reste, sur toute la période étudiée, toujours supérieure à celle des institutions politiques nationales, cet écart tend à se réduire de manière importante à partir de 2010, quand la crise économique devient une crise financière et de la dette (avec les aides européennes accordées à plusieurs pays  européens, Grèce, Chypre, Portugal, et Irlande), mais également entre 2015 et 2017. À  l’inverse, dans les deux dernières enquêtes Eurobaromètre, cet écart se stabilise à plus de dix points, toujours en faveur de l’UE, donc : cette dernière semble bien avoir, tout du  moins en ce qui concerne l’état de l’opinion, bien davantage «bénéficié» de la crise  sanitaire que les institutions politiques nationales. 

Une Union (enfin) solidaire

En novembre 2020, près d’un an après le démarrage de la pandémie, les Européens ont été interrogés sur les valeurs qu’ils souhaitaient voir défendre en priorité par le Parlement européen. Trois réponses se détachent, chacune étant citée par plus de quatre Européens sur dix : la protection des Droits de l’Homme dans le monde (51 %, +3 pp depuis octobre 2019)(2), l’égalité entre les femmes et les hommes (42 %, +4), et la solidarité entre États membres, qui fait une entrée remarquée dans ce trio de tête (41 %, +8 pp). Cette réponse arrive même en première position dans huit pays. On mesure ici, probablement, l’impact très positif de l’ac-cord conclu, non sans mal, entre les 27 en juillet 2020, avec  notamment « NextGenerationEU », le plan de relance de 750 milliards d’euros comprenant à la fois des subventions et des prêts pour aider les pays de l’UE à contrer les effets de la pandémie. A la fin du printemps 2021, une large majorité de 57 % des Européens estimaient d’ailleurs que ce plan serait efficace pour lutter contre l’impact économique de la pandémie (contre 35 % « pas efficace »).

Une des différences majeures entre cette crise sanitaire, et les crises précédentes, c’est sans aucun doute l’unité – même fragile – qui a prévalu entre les États membres. Il est vrai qu’ils étaient, cette fois, confrontés tous ensemble à un phénomène quasi similaire,  même si certains pays ont été frappés plus durement que d’autres.

La rapidité de la réponse européenne : un élément clé

Une autre caractéristique de la réponse européenne à la double crise fut sa rapidité. Certes, l’accord trouvé assez tôt sur le volet économique mettra des années à se déployer. En ce qui concerne en revanche la campagne de vaccination, il n’a fallu que quelques  mois, à compter de l’annonce des premiers vaccins, pour faire de l’UE une des zones du  monde présentant le meilleur taux de vaccination. Il y avait une prise de risque dans un domaine qui ne relevait pas, jusqu’à présent, des domaines d’action de l’UE, et le risque a payé dans l’opinion, plus encline à juger l’Union européenne « efficace » (46 %(3), 5 points de plus que fin 2019). Mais il faut aussi retenir que cette amélioration de l’image de l’UE à l’occasion d’une crise s’inscrit dans le double contexte d’une réalisation rapide et tangible (l’accès au vaccin), quand par nature l’action de l’UE se déploie dans le temps long, et à un niveau qui échappe souvent à la perception immédiate des publics. Ces leçons des crises passées doivent être mises à profit pour aborder la crise climatique, déjà identifiée comme l’une des préoccupations majeures des citoyens européens. Avec l’« European  Green deal » et le volet environnemental de « NextGenerationEU », l’Union s’est d’ores et déjà engagée face à ce défi. Il lui appartiendra de savoir articuler le temps long et l’urgence, l’approche structurante et les réalisations visibles, pour être à la hauteur des attentes des citoyens.

(1) On considère souvent que la crise économique démarre en 2008, avec la mise en faillite de Lehmann Brothers ; en réalité, elle commence dès l’été 2007 aux États-Unis.

(2) Source, Standard Eurobaromètre 84, automne 2015.

(3) Source, Standard Eurobaromètre 95, printemps 20.

(4) Les enquêtes Standard Eurobaromètre sont d’ordinaire réalisées au printemps et à l’automne. De manière exceptionnelle, l’enquête Standard Eurobaromètre 93 a été réalisée à l’été 2020, en raison de l’impossibilité de conduire des enquêtes en face-à-face au printemps 2020, en raison des mesures de restriction des strictes dans l’ensemble des États membres. De la même manière, l’Eurobaromètre 94 a été réalisé à l’hiver 2020-2021, pour les mêmes raisons.

(5) Source : Spécial Eurobaromètre Parlemètre, novembre-décembre 2020

(6) Source : Standard Eurobaromètre 95, printemps 2021

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