Dominique Graber, Responsable des affaires publiques européennes de BNP Paribas et Vice-Présidente de Confrontations Europe
L’Union des marchés de capitaux (UMC) est née d’un constat : la fragmentation des marchés financiers des États empêche l’Union européenne, non seulement, d’exploiter pleinement son potentiel de croissance, mais aussi, de s’affirmer, en tant que puissance, face aux autres places fi nancières, notamment du monde anglo-saxon. La construction d’une autonomie stratégique de l’UE ne pourra faire l’impasse d’une souveraineté économique et financière. Pour ce faire, l’UE devra diversifier les sources de financement aux entreprises, en particulier aux PME ; réduire le coût du capital ; élargir les possibilités d’investissement des épargnants dans l’ensemble de l’UE ; faciliter l’investissement transfrontalier et attirer davantage d’investissements étrangers dans l’UE ; soutenir les projets de long terme ; renforcer la compétitivité du système fi nancier de l’UE sans affecter sa stabilité, ni sa résilience.
Pourquoi l’UE a-t-elle besoin de l’UMC ?
L’UMC n’est pas qu’un simple outil technique ou législatif mais se trouve au cœur même d’une stratégie européenne cohérente pour répondre à deux transformations majeures en cours.
La première est le financement de la transition écologique, nécessaire à la réussite des ambitieux objectifs du « Green Deal » : l’UE doit devenir la première économie décarbonée du monde à l’horizon 2050, avec un premier palier établi à 55 % de réduction des émissions carbone à l’horizon 2030. Pour atteindre cet objectif, la Commission estime à 600 Mds€ les besoins en investissement au sein du marché unique1.
La deuxième est la transition digitale qui est au cœur de la stratégie de croissance de l’UE pour 2030. Cette transformation économique s’inscrit dans une véritable 4e révolution industrielle dont l’impact sur la société sera sans précédent. Ce défi mobilise déjà des capitaux très importants aux États-Unis et en Chine. L’Europe, pour rester dans la course, se doit donc de mobiliser des financements d’ampleur équivalente. Le financement par action est un outil fondamental du développement des entreprises innovantes, pour lesquelles l’accès aux prêts bancaires est souvent complexe, par manque de garanties autres que leurs titres de propriété intellectuelle. Or la moyenne annuelle des financements au secteur privé dans la seule zone euro (comprenant le crédit bancaire, la dette et « l’equity ») dans la période 2015 à 2019 s’est élevée à 470 Mds€2. Dans un contexte d’endettement public abyssal qui devra être réduit si l’on veut éviter le risque que les marchés fi nanciers ne l’imposent brutalement, il ne faut pas s’attendre à ce que les investissements publics, ni même les nouvelles ressources propres européennes, réduisent une part importante de l’écart.
Quelles priorités pour l’UMC ?
L’UE a lancé son plan d’action pour l’UMC en septembre 2015, complété par une nouvelle publication parue en octobre 2020. Plus précisément, afin de réaliser l’intégration financière européenne dans les prochaines années, il semble crucial d’avancer d’abord sur la révision de Solvabilité II pour redonner au secteur de l’assurance les moyens d’agir en tant qu’investisseurs à long terme. Une révision de l’ELTIF est également vitale, car cet instrument n’a jamais connu un grand essor en raison d’une réglementation trop restrictive alors qu’il pourrait être un instrument précieux pour mobiliser l’épargne vers le financement de long terme.
Le financement bancaire représente toujours le mode de financement majoritaire en Europe (de l’ordre de 70 %) ; il est contraint par les mesures de Bâle 3 qui ont conduit les banques à limiter l’augmentation de leurs bilans. Il est donc impératif de relancer la titrisation pour sortir les actifs du bilan des banques et leur permettre de faire de nouveaux crédits. Les titrisations européennes ont toujours été beaucoup plus sûres que les titrisations américaines avec un taux de défaut infinitésimal comparé à celui des États-Unis. Des mesures d’interdiction des produits ayant conduit à la crise des « subprimes » ont été adoptées dès 2010 par le biais de la CRD3. Rien ne s’oppose donc à une révision urgente du cadre de la titrisation pour la rendre économiquement attractive pour se donner les moyens de financer les deux transitions écologique et digitale.
Si des marchés de capitaux profonds et liquides nécessitent l’implication de nouveaux investisseurs institutionnels tels que les compagnies d’assurances ou les fonds de pension, toute initiative doit être complétée par un cadre pour les investisseurs individuels. Par conséquent, la stratégie européenne en matière d’investissement de détail annoncée par la Commission européenne pour 2022 a prévu d’inclure des mesures améliorant la transparence des produits financiers, l’accessibilité des données financières des entreprises pour les citoyens dans le cadre de l’ESAP, ainsi que la protection des consommateurs dans le processus de vente. Une révision du cadre MiFID II/MiFIR est également en cours. Le changement culturel constitue également un soutien important à l’intégration des marchés financiers, en complément des réformes législatives. À cet égard, le « rapport Tibi » et son initiative visant à mobiliser les acteurs de l’industrie numérique, les régulateurs et la communauté financière pour construire une vision commune sur le financement de l’innovation est une bonne illustration de partenariats public-privé fructueux.
Enfin, l’approfondissement de l’UMC nécessite un renforcement de la supervision européenne. Il est essentiel que les réformes énumérées ci-dessus soient appliquées de manière harmonisée au sein du marché unique, par une supervision directe par l’Autorité européenne des marchés fi nanciers (AEMF), comme c’est déjà le cas pour les agences de notation et les référentiels centraux (« trade repositories »), ainsi que dans le secteur bancaire où la BCE supervise les plus grandes banques à l’échelle européenne.
L’Europe a besoin d’une véritable « Union pour l’investissement », englobant à la fois l’UMC mais aussi l’Union bancaire, afin de canaliser l’épargne vers les investissements les plus productifs, maximiser notre potentiel de croissance durable et défendre tant son indépendance que son modèle de société sur la scène internationale.
1 Les services de la Commission européenne considèrent que la réalisation de l’objectif de réduction des gaz à effet de serre (GES) de 55 % à l’horizon de 2030 impliquerait un effort d’investissement supplémentaire annuel dans le seul système énergétique d’environ 350 Mds€. De surcroît, elle estime le déficit du besoin de financement global en investissement soutenable dans une fourchette comprise entre 100 et 150 Mds€ par an et les besoins en « investissement social » à 142 milliards par an.
2 Chiffres BCE