Nikolaus MEYER-LANDRUT
Ambassadeur d’Allemagne en France
Trois questions à Nikolaus Meyer-Landrut, ambassadeur d’Allemagne en France. L’ancien conseiller Europe d’Angela Merkel propose trois pistes pour une meilleure coordination des politiques économiques au sein de l’Union européenne : sortir du cadre des simples recommandations, aller vers une plus grande solidarité financière et améliorer l’organisation institutionnelle de la zone euro.
Les crises que l’Europe a eues à affronter ne mettent-elles pas en lumière un risque de détricotage de l’Union et la nécessité de revoir le mode gouvernance actuelle de l’Union européenne ? Quel rôle pourrait y jouer le tandem France/Allemagne ?
Nikolaus Meyer-Landrut : Les dernières crises ont prouvé que l’Europe doit davantage s’intéresser à des sujets qui sont normalement de compétence nationale. Or, le mécanisme européen qui transférait un certain nombre de compétences par des traités au niveau européen et qui mettait en place une législation commune que les États membres devaient appliquer sous le contrôle des institutions européennes ne suffit plus pour faire face aux défis d’aujourd’hui. Une cogestion de politiques complexes, ayant une part de responsabilité européenne et une part de responsabilité nationale, s’impose. Cette coopération ne doit pas se baser sur des accusations mutuelles. Elle doit au contraire s’organiser.
Pour les Français et les Allemands, l’exigence est toujours la même, même si les sujets varient avec le temps : il s’agit de définir ensemble les solutions pour résoudre les problèmes. Mais, comme l’Allemagne et la France, à cause de leur histoire, de leurs propres institutions, de leurs situations propres ont souvent des approches différentes, il faut qu’elles établissent une synthèse qui pourrait être soutenue par d’autres États de l’Union européenne. C’est là la clef de tout avancement.
Mais, les instances européennes doivent prendre en compte la difficulté qu’il y a à faire avancer certains dossiers en politique nationale, à faire voter des textes aux Parlements, à allouer les ressources budgétaires nécessaires à ces priorités, à convaincre les opinions publiques nationales. Et dans le même temps les instances nationales ne doivent pas se décharger en affirmant : « on n’avance pas à cause de l’Europe ». C’est trop simpliste et cela nous cause plus de tort que de bien.
S’il faut une nouvelle étape, quelles sont les politiques indispensables au bon fonctionnement d’une monnaie commune ? Comment porter ensuite un projet politique en la matière ?
N. M.-L. : Nous savons que le fonctionnement d’une zone monétaire nécessite un minimum de coordination des politiques économiques des États membres et c’est cette coordination qu’il faut améliorer. Il faut sortir du cadre des simples recommandations. Il faut aussi, et le sujet suscite bien des discussions, plus de solidarité financière. Le troisième point essentiel est l’amélioration de l’organisation institutionnelle de la zone euro. Mais l’institutionnel en soi n’apporte de solutions que si la coordination des politiques avance aussi. Car que peuvent faire les institutions si elles n’ont pas de compétences ?
La question fondamentale à laquelle la politique européenne doit répondre est : quels domaines sommes-nous prêts à confier à des institutions communes ? On n’en a pas encore beaucoup : Frontex(1) en est une. La politique commune de renforcement des contrôles aux frontières est un partage de compétences. Sommes-nous prêts à constituer une seule procédure d’asile régie par une instance européenne ? Pour le moment on en est encore aux questions.
Comment créer les conditions de création d’un espace public de délibération paneuropéen afin de porter le débat de valeurs sur un mode plus ouvert, alors que les débats stratégiques se cantonnent encore à un cercle d’initiés ?
N. M.-L. : Il faut d’abord impliquer les parlementaires nationaux car ce sont eux qui votent les lois au niveau national, permettant de définir une meilleure coordination des politiques économiques. Il faut aussi impliquer les parlementaires européens car s’il y a une impulsion à donner, il faut qu’elle soit perçue comme démocratiquement légitime et non comme émanant d’une institution, d’experts. Or, le débat est souvent : « qui a le droit de faire quoi ? » alors qu’il faudrait se demander : « que doit-on faire ensemble ? ».
On a vu avec les dernières crises surgir des débats publics beaucoup plus transnationaux qu’avant. On a aujourd’hui des débats nationaux autour des mêmes sujets, mais qui se déroulent en parallèle. Auparavant, on avait des débats nationaux sur des sujets différents.
On a déjà fait des progrès ! Maintenant il faudrait commencer à faire le lien entre ces débats, à trouver des charnières. Les barrières, créées par la langue mais aussi la culture, sont énormes. Et là, je pense qu’on fait trop peu. Là des associations, des think tank ont un rôle à jouer.
1) Agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures des États membres de l’Union européenne.