Protéger le débat public contre les ingérences numériques étrangères 

Par VIGINUM Service technique et opérationnel de l’Etat chargé de la vigilance et de la protection contre les ingérences numériques étrangères

Depuis le milieu des années 2010, les démocraties font l’objet d’attaques informationnelles et de campagnes de manipulations de l’information croissantes, à la faveur du durcissement du contexte international avec pour corollaire un rapport de force accru entre grandes puissances. Si elles se manifestaient principalement durant les périodes électorales, pour tenter d’influencer le vote de certaines catégories de citoyens, voire de discréditer le bon déroulement des scrutins, ces manœuvres informationnelles malveillantes s’immiscent désormais dans tous les champs du débat public, en exploitant de manière opportuniste des faits d’actualité ou de société marquants. S’appuyant sur un large éventail de stratégies et de techniques destinées à modifier les perceptions et à altérer l’information des citoyens, elles ont pour principaux objectifs d’éroder la confiance du public dans les institutions, de polariser le débat autour de sujets clivants, de créer ou d’amplifier des tensions au sein des populations, jusqu’à générer des troubles à l’ordre public. Véritable défi pour nos sociétés, cette menace a notamment pour finalité ultime la déstabilisation de notre fonctionnement démocratique en l’entachant d’insincérité. 

L’évolution rapide de cette menace impose de mieux la détecter et de l’analyser pour concevoir des stratégies de réponse adaptées. Comprendre les mécanismes de propagation et les modes opératoires à l’œuvre est essentiel pour mieux anticiper les conséquences, réagir et se prémunir des effets délétères de ces manœuvres hostiles.

En France, consacrée dès 2018 par la mise en place du comité de lutte contre les manipulations de l’information (CLMI) et l’adoption des lois du 22 décembre de la même année, l’approche française de la lutte contre les manipulations de l’information (LMI) se distingue aujourd’hui par la mise en place d’un dispositif défensif structuré autour d’un service dédié, qui se singularise tant par son champ de compétences que par son cadre d’emploi, ainsi que par l’instauration d’une gouvernance interministérielle spécifique. Elle s’illustre également par une démarche visant à fédérer les différents acteurs de la LMI et à accroitre la résilience informationnelle de la société. 

Détecter et caractériser les ingérences numériques étrangères 

La lutte contre les manipulations de l’information est une compétence dévolue au Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN). Il s’appuie pour cela sur une capacité opérationnelle en matière de recherche en sources ouvertes, le service de vigilance et de protection contre les ingérences numériques étrangères (VIGINUM) créé par décret le 13 juillet 2021. VIGINUM est ainsi le service technique et opérationnel dont l’Etat s’est doté pour renforcer le dispositif national de lutte contre les manipulations de l’information (LMI). 

En tant qu’administration en charge d’une mission défensive, la détection et la caractérisation des ingérences numériques étrangères, VIGINUM fait figure d’exception. Service d’investigation en ligne, VIGINUM s’attache avant tout à analyser les comportements, modes opératoires et infrastructures utilisés par les acteurs étrangers malveillants pour diffuser des contenus attentatoires aux intérêts fondamentaux de la Nation. Ainsi, au sens du décret du 13 juillet 2021, une ingérence numérique étrangère est constituée par quatre critères : une atteinte potentielle aux intérêts fondamentaux de la Nation. 

Ainsi, au sens du décret du 13 juillet 2021, une ingérence numérique étrangère est constituée par quatre critères :une atteinte potentielle aux intérêts fondamentaux de la Nation, soit au cœur de la souveraineté nationale ; 

  • une atteinte potentielle aux intérêts fondamentaux de la Nation, soit au cœur de la souveraineté nationale ; 
  • un contenu manifestement inexact ou trompeur ; 
  • une diffusion artificielle ou automatisée, massive et délibérée ; l’implication, directe ou indirecte d’un acteur étranger (étatique, paraétatique ou non-étatique). 

Pour ce faire, VIGINUM travaille exclusivement à partir de contenus publiquement accessibles sur les plateformes en ligne, sites web et médias web afin de mettre en évidence les phénomènes répondant aux critères susmentionnés. 

Au titre de ses attributions, VIGINUM est également investi d’une mission particulière en période électorale afin d’assurer la protection de ces grands rendez-vous. Durant cette période, VIGINUM rend compte aux autorités garantes du bon déroulement des élections de toute information utile à l’accomplissement de leurs missions. 

Outre la sécurisation des scrutins électoraux, le service est également mobilisé pour protéger le débat public numérique en réaction à de grands événements de l’actualité internationale susceptibles d’être instrumentalisés par des acteurs étrangers malveillants. 

L’activité opérationnelle de VIGINUM s’inscrit en outre dans un cadre juridique et éthique unique. En effet, la création de VIGINUM, par le décret n°2021-922 du 13 juillet 2021, garantit en premier lieu un principe de transparence quant à l’action de l’État pour protéger le débat public contre toute tentative d’interférence par des acteurs étrangers malveillants, notamment lors des rendez-vous démocratiques. VIGINUM est par ailleurs autorisé, en vertu du décret n°2021-1587 du 7 décembre 2021 pris en Conseil d’Etat après avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés, à mettre en œuvre un traitement automatisé de données à caractère personnel dans le but d’identifier les ingérences numériques étrangères. 

VIGINUM est par ailleurs accompagné par un comité éthique et scientifique placé auprès du SGDSN pour suivre son activité opérationnelle. Il est présidé par un représentant du Conseil d’État et rassemble des personnalités qualifiées dans les domaines de la diplomatie, de l’application de la loi, de la science et des médias. Il assure à la fois une fonction de conseil et, pour demain, de liaison avec notamment une communauté scientifique riche de talents, active et experte dans les champs de la LMI. 

La mise en place et le respect de ce cadre singulier permettent de détecter des manœuvres hostiles dans le champ informationnel pouvant compromettre la libre circulation des idées et des informations ainsi que le débat démocratique, tout en apportant les garde-fous nécessaires pour la démocratie et ses principes afférents.

Enfin, VIGINUM est intégré au sein d’un écosystème interministériel dédié. En effet, le service assiste le SGDSN dans sa mission de coordination des travaux interministériels en matière d’identification et de protection contre les manipulations de l’information, à travers l’animation du Comité opérationnel de lutte contre les manipulations de l’information (COLMI) qui réunit les différentes administrations compétentes et dotées de capacités en la matière. Dans le respect des attributions du ministère de l’Europe et des affaires étrangères, le service contribue en outre aux travaux européens et internationaux et assure la liaison opérationnelle et technique avec ses homologues étrangers. À titre d’exemple, les travaux du COLMI ont été déterminants dans la décision de dénoncer publiquement la campagne numérique de manipulation baptisée « RRN », et plus récemment, le dispositif de propagande pro-russe « Portal Kombat » rendues possible notamment par la publication des rapports techniques de VIGINUM. 

Fédérer et construire la résilience informationnelle de la société 

La prise de conscience aux niveaux national et international de la dangerosité des manipulations de l’information, notamment à la faveur de plusieurs évènements récents (tentatives d’ingérences électorales, pandémie de Covid-19, guerre en Ukraine) a conduit à une multiplication d’initiatives des différents acteurs de la LMI.

La communauté scientifique et la société civile (médias et organisations non gouvernementales), riches de compétences en matière d’enquête en ligne, ont été les premières à se structurer et continuent à se saisir, toujours plus activement, des problématiques de LMI. Cette première dynamique s’est renforcée avec l’apparition de nouveaux acteurs issus de la recherche académique en sciences humaines et sociales (histoire, géopolitique, sociologie, etc.), ou du secteur privé lié aux domaines de la communication, du marketing, de la cybersécurité ou du renseignement d’affaires. Conjointement, un accroissement des évènements traitants de la LMI et une augmentation des publications de rapports d’analyse est observable en la matière. En effet, compte tenu de l’actualité, le thème de la manipulation de l’information bénéficie d’un certain intérêt des responsables politiques et de l’opinion publique, nécessitant par ailleurs une pédagogie explicative forte.

En 2023, VIGINUM a débuté une politique de rapprochement avec les acteurs clefs de la société civile, pionniers de la lutte contre la désinformation en ligne, afin de créer des synergies et renforcer la connaissance de la menace informationnelle. À cet effet, VIGINUM a organisé, en juin 2023, avec le soutien du SGDSN, son premier évènement public. Le Forum « Rencontres et débats autour des manipulations de l’information » a favorisé l’ouverture vers les acteurs de la sphère académique et de la société civile œuvrant dans ce champ, qu’ils soient professeurs, chercheurs, spécialistes de l’investigation en sources ouvertes, ou journalistes. Cette initiative sera renouvelée en 2024, avec une ambition élargie pour une meilleure protection des démocraties. 

Concomitamment, les tensions géopolitiques, terreau des menaces hybrides, invitent à soutenir activement le travail d’information et de sensibilisation des citoyens, à commencer par les jeunes publics, afin de contribuer à élever leur niveau de vigilance. En 2024, en étroite liaison avec le ministère de l’Education nationale, les médias et la société civile, le service s’attachera tout particulièrement à accompagner les projets éducatifs innovants autour de l’information afin de contribuer au renforcement de la résilience de la société. 

Pour aller plus loin 

  • Viginum, Rapport public Année 1, novembre 2022 ; 
  • Viginum, « RRN : une campagne numérique de manipulation de l’information complexe et persistante », juin 2023 ; 
  • Viginum, « Capitalisation des campagnes et incidents de manipulation de l’information dans OpenCTI, Doctrine d’utilisation de VIGINUM », version 1.0, janvier 2024 ; 
  • Viginum, « PORTAL KOMBAT, Un réseau structuré et coordonné de propagande prorusse » première et seconde partie, février 2024.
VIGINUM

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