PERSPECTIVES DE COLLABORATION ET D’ÉCHANGES ENTRE SYSTÈMES ÉLECTRIQUES JAPONAIS ET EUROPÉENS

Par Christophe Béguinet, Conseiller Énergie de Confrontations Europe

Dans le cadre d’un échange organisé par la CFDT en décembre 2024, Confrontations Europe a pu échanger avec 23 représentants de différentes entreprises constitutives du système électrique japonais.

Cet échange a été l’occasion de partager les enjeux auxquels font face tous les pays industrialisés avec en particulier la décarbonation des économies nationales.

Le Japon et l’Europe, tout particulièrement la France, entretiennent d’anciennes et profondes collaborations entre EDF, Cogéma, il fut un temps, Orano maintenant, le CEA et des acteurs japonais sur la production, l’acheminement, les services énergétiques. C’est cependant sur les questions de la production nucléaire que les entretiens ont été les plus riches. Le Japon a besoin d’une électricité pilotable et compétitive pour son industrie et avec une évidente trajectoire de décarbonation.
N’oublions ici pas la signature du premier protocole visant à sortir des énergies fossiles signé à Kyoto en 1997.

Les deux régions partagent une forte dépendance aux ressources énergétiques extérieures et cherchent à limiter leurs vulnérabilités. Leur mix électrique intègre environ 25 % d’énergies renouvelables au Japon, pour 45% dans l’Union européenne. Cependant, en complément, les européens misent notamment sur le nucléaire (23% du mix), tandis que le Japon s’appuie essentiellement sur le gaz naturel. Malgré ces différences, la consommation énergétique finale repose encore largement sur les énergies fossiles. Pour atteindre leurs objectifs de transition
énergétique, la France et le Japon doivent mener des efforts comparables, en s’appuyant sur des atouts similaires, dont le nucléaire.

Le Japon envisage de relancer son programme nucléaire, plus de quinze ans après la catastrophe de Fukushima. Son objectif est d’augmenter la part du nucléaire dans son mix électrique, passant de 7 % à environ 25 %. De son côté, la France doit renouveler son parc nucléaire vieillissant tout en réduisant sa part dans la production électrique nationale. Face à ces défis, une solution prometteuse repose sur les Small Modular Reactors (SMR), des réacteurs modulaires de faible capacité.

Les SMR apparaissent comme une réponse idéale aux besoins de l’industrie, tant pour la France que pour le Japon. Ces deux pays, ayant de fortes ambitions industrielles, investissent dans la recherche et le développement de cette technologie. Toutefois, leur mise en œuvre représente un défi de taille, notamment si l’objectif est d’atteindre une technologie de 4ᵉ génération, capable d’optimiser l’accès
au combustible et de réduire les déchets nucléaires issus de la fission.

À cet égard, depuis le 6 décembre 2024, la coopération franco-japonaise s’intensifie dans le domaine des réacteurs nucléaires à neutrons rapides refroidis au sodium (RNR-Na). À cette date, Framatome a signé un accord de collaboration avec la Japan Atomic Energy Agency (JAEA), Mitsubishi Heavy Industries (MHI) et Mitsubishi FBR Systems (MFBR) pour développer un démonstrateur de RNR-Na d’environ 600 MWe. Fort de son expérience avec Phénix et Superphénix,
la France apporte son expertise sur cette technologie avancée.

Lors de la 11ᵉ réunion du Comité franco-japonais de coopération nucléaire en mars 2023 à Tokyo, les discussions ont aussi porté sur les réacteurs de dernière génération, y compris les SMR. Cette dynamique s’est poursuivie en mai 2023 avec la signature d’une déclaration conjointe visant à renforcer la coopération nucléaire entre les deux nations. Cet accord prévoit la création d’une chaîne
d’approvisionnement nucléaire résiliente entre partenaires, pour favoriser le développement des réacteurs de nouvelle génération, tant au niveau national qu’à l’international.

Par ailleurs, la question de l’acheminement de l’électricité au Japon s’est révélée être un enjeu majeur. La configuration géographique du pays, composé d’un ensemble d’îles, impose de nombreuses interconnexions entre opérateurs – dix gestionnaires de réseaux de transmissions, répartis par région – et des infrastructures de production adaptées aux spécificités locales. Ce faisant, les échanges d’électricité sont très significatifs entre les différentes régions, marquées par d’importants déséquilibres démographiques et de production. Ceux-ci sont aussi rendus plus compliqués par l’utilisation de fréquences hertziennes différentes dans les deux régions du pays, un cas inexistant en Europe. Pour coordonner ces échanges entre les différentes zones de génération électrique, une organisation de coopération, OCCTO, a été mise sur pied en 2015, en réponse aux
dysfonctionnements observés sur les réseaux à l’occasion du grand tremblement de terre de 2011.

La gestion du système électrique au Japon est donc complexe et constitue un terrain d’apprentissage très intéressant, tant pour la génération d’électricité que la coopération entre les réseaux nationaux de transmission, au travers d’ENTSO-e, et les régulateurs, via l’ACER.

En outreet à un horizon de plus long terme, le Japon et l’Union européenne se sont engagés dès 2007 sur un projet majeur dans le nucléaire avec ITER, le projet de recherche appliquée sur la fusion nucléaire. Après 16 années de recherche, de construction du bâtiment réacteur, de mise en œuvre du projet, ITER a été mis en service en 2023.

Tout récemment, le projet du tokamak 1 WEST, supervisé par le CEA et associé au projet international ITER a aussi franchi une étape majeure par le maintien dans la durée d’un plasma apte à permettre la fusion nucléaire. Celui-ci fonctionne d’ailleurs en synergie avec le projet JT-60SA, financé par l’Union européenne et le Japon, pour lequel le CEA exerce le rôle de responsable expérimental pour la partie européenne. Ces travaux sont ainsi pilotés par des hyper-spécialistes notamment de France et du Japon. Un succès inspirant qui devrait permettre d’autres collaborations.

Ces initiatives témoignent de l’engagement de la France et du Japon à collaborer étroitement sur des technologies nucléaires avancées, dans l’objectif de répondre aux défis énergétiques et environnementaux du XXIᵉ siècle.

Trois mois après cette rencontre, les collaborations s’intensifient et Confrontations Europe va donc poursuivre ces échanges avec la volonté de résoudre ensemble la question de l’accès à une énergie décarbonée pleinement disponible et suffisamment abondante.

20250326-Christophe-Beguinet

Derniers articles

Articles liés

Leave a reply

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici