Le Grand Entretien – Barbara Pompili

Avec Barbara Pompili

Ministre de la Transition écologique

Quel sens donnez ­vous à l’effort global de relance de l’économie européenne dans un contexte marqué par la crise économique et l’urgence écologique ?

Le siècle qui débute se révèle chaotique. La pandémie de la Covid-19 est un séisme sans précédent pour notre continent. Chaque pays, chaque ville sont durement frappés et l’en- semble des États membres a dû faire face dans l’urgence. Cette crise a également révélé certaines faiblesses de l’Union. Mais sur le plan économique, elle a su faire preuve de réactivité en activant les bons instruments.

L’Union a pris ses responsabilités devant le demi-milliard d’Européens, et on doit évidemment s’en réjouir.

La crise sanitaire ne doit pas masquer l’autre crise, profonde, systémique, en cours. Le réchauf­fement climatique et la forte érosion de la biodi­versité sont des menaces réelles et directes sur la paix et la prospérité du continent européen.

C’est pourquoi les plans de relance des États membres et le plan européen adoptés par les 27 sont autant d’occasions, chez nous et en- semble, de réparer nos économies, de reconstruire en préparant un autre avenir. Lors des Crises précédentes, en 2008 par exemple, l’écologie avait été la grande oubliée des efforts consentis parles États. Ce N’est Plus le cas, et je m’en réjouis. En France, dès septembre 2020, le Gouvernement a présenté un plan historique de 100 mil- liards d’euros, dont 30 milliards spécifiquement dédiés à la transition écologique que je porte. Avec ces moyens sans précédents, notre ambition est de répondre à toutes les urgences de notre époque: de relever l’économie, de recréer des emplois, en transformant l’ADN de notre système productif et de nos modes de vie pour les rendre durables. Cela implique bien sûr d’amplifier nos actions pour atteindre la neutralité climatique et, donc, de mettre un coup d’accélérateur dans la décarbonation des secteurs les plus fortement émetteurs (industrie, agriculture, transport, logement…), ces activités doivent être les locomotives de la transition écologique. Je vais prendre un exemple de l’ampleur de cette relance verte: pour l’habitat, qui représente près de 20% de nos émissions nationales de gaz à effet de serre, ce sont près de 7 milliards d’euros qui sont débloqués afin d’accélérer les rénovations globales des bâtiments publics et des logements privés.

 Au-delà des seuls crédits budgétaires, c’est bien une philosophie politique de l’action publi- que qui est en train de se mettre en place. D’un côté, l’État doit accompagner la transformation des modes de vie en se tenant aux côtés des ménages, et notamment des plus précaires; cela vaut pour l’habitat, comme pour les autres sujets. De l’autre, l’État doit être exemplaire dans la gestion de ses dépenses qui ne doivent pas nuire à l’environnement. C’est ce que l’on appelle le budget vert, qui est, lui aussi, une petite révolution. Aujourd’hui, enfin, nous reconnaissons pleinement qu’il existe un nouvel impératif des finances publiques: la lutte contre le déficit écologique.

Au niveau européen, je constate que ce même esprit de conquête a imprégné l’ensemble des États membres et des institutions européennes. Malgré la crise pandémique, la Commission a maintenu le Pacte vert comme sa première priorité opérationnelle, après la réponse sanitaire bien sûr. Dès le premier jour, la France a soutenu et soutiendra  cette volonté forte. Je crois qu’il s’agit là d’une preuve extrêmement positive que les Européens ont tout à gagner à agir de concert pour relever cet immense défi. Cette évolution se retrouve également dans l’accord sur le plan de relance et de résilience, validé en juillet 2020 par les chefs d’État et de gouvernement, avec des objectifs environnementaux ambitieux et très proches des positions portées par la France pendant les négociations. Les 750 milliards d’euros de ce plan sont autant d’occasions de faire vivre sur notre continent une transformation rapide et concrète de nos modes de vie, bénéficiant à l’ensemble de nos concitoyens. Cette impulsion sera encore renforcée par l’obligation de respecter le principe d’innocuité environne- mentale («do not harm»), défini dans le règlement « Taxonomie» et dont l’application a vocation à être généralisée.

Participation citoyenne

Avec le recul de l’expérience de la Convention citoyenne pour le Climat en France, marquant une volonté d’impliquer les citoyens dans la prise de décision politique, qu’attendez vous de la Conférence sur l’avenir de l’Europe dans votre périmètre d’action?

En France, le Président de la République a engagé une démarche démocratique inédite. 150 citoyennes et citoyens, représentant toute la diversité de notre pays, se sont réunis pendant 17 mois pour réfléchir, débattre et proposer un ensemble de mesures permettant de réduire nos émissions de gaz à effet de serre de 40% par rapport à 1990, et ce dans un esprit de justice sociale. Une partie de leurs propositions est déjà à l’œuvre avec notre plan de relance et, aujourd’hui, le projet de loi «Climate Resilience» que je porte au Parlement français traduit l’esprit de cette convention.

Je crois que cet exercice que nous avons mené chez nous prend tout son sens au niveau européen. L’Europe, c’est avant tout un projet politique qui se construit et qui progresse sur une communauté de valeurs. Face au grand défi écologique, partager une ambition commune pour la transition est une excellente manière de conforter cette dernière. Lorsque les citoyens européens, la société civile et les institutions de l’Union réfléchissent ensemble, c’est, non seulement l’occasion de recueillir et de faire remonter les préoccupations locales à Bruxelles et à Strasbourg afin qu’elles soient mieux prises en compte, mais c’est aussi, une opportunité pour ouvrir un dialogue politique plus large entre gouvernants et citoyens, une autre manière de construire une confiance pour l’avenir.

Dans le calendrier actuel, bouleversé par la crise sanitaire, la phase européenne de la Conférence s’achèvera sous la présidence française. Je pense que l’annonce de ces résultats sera l’occasion de mettre en haut de l’agenda européen l’ensemble des efforts que nous devons mener collectivement pour le futur de notre continent, et que la France poursuit au plan national. Ceux qui relèvent de mon ministère, bien sûr, et je pense à la soutenabilité de notre modèle; à la transition verte et juste, car elle ne peut être que juste; à la neutralité carbone, qu’il faut atteindre à l’échelle d’une seule génération.

Mais également, l’égalité entre les femmes et les hommes, le rôle de la transition numérique, la place qu’occupe l’Union européenne dans le monde. Ce sont des questions structurantes pour notre avenir collectif et il est fondamental que les citoyens s’en saisissent.

Commerce international

Comment l’Union européenne peut-elle promouvoir efficacement son modèle de tran­sition écologique auprès de ses partenaires internationaux, spécialement la Chine et les États Unis?

La politique commerciale est un outil majeur au service de notre ambition climatique et environnementale. L’Europe est le premier marché du monde et l’ensemble de nos partenaires souhaite pouvoir continuer d’y vendre leurs produits et leurs services. Ce poids économique nous donne un levier considérable mais encore trop peu exploité, pour faire admettre le même niveau d’exigence pour les importations que pour nos propres productions.

Faire de l’Europe une puissance écologique du XXIème siècle passe nécessairement par une adaptation des règles du commerce international, ce qui est porté en partie par la nouvelle stratégie commerciale de l’Union, présentée le 18 février dernier. Les accords de libre-échange doivent être beaucoup plus verts. Le Programme environnemental de l’OMC doit être plus ambitieux, et porter notamment sur la fin des subventions aux carburants fossiles.

Cette durabilité passe d’abord par l’intégration systématique de l’Accord de Paris comme clause essentielle des accords commerciaux, faute de quoi, ils ne sauraient être conclus. Elle implique également une meilleure prise en compte de la Convention sur la diversité biologique. Nos positions fortes en matière de déforestation importée, qui nécessitent une prise de conscience accrue partout en Europe, sont à la confluence de ces deux exigences. Et c’est dans cet esprit que la France s’est opposée à la signature, en l’état, de l’accord avec le MERCOSUR. Car nous ne pouvons plus ignorer que ce que nous importons a des conséquences réelles et concrètes sur l’ensemble de la planète. Je peux encore citer d’autres dispositifs à faire entériner, tels que l’insertion de clauses miroirs, afin d’assurer le respect des normes sanitaires et phytosanitaires pour les produits importés, ou la possibilité de réductions tarifaires conditionnelles, liant par exemple l’ouverture commerciale au contrôle de la déforestation.

Promouvoir notre modèle écologique, c’est également mettre en place un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières. C’est une idée que la France porte depuis plus de 15 ans, et je suis très satisfaite, qu’après avoir été un thème de campagne largement débattu en Europe en 2019, elle ait pu être reprise dans le Pacte vert, comme dans plusieurs conclusions du Conseil européen. Certes, ce futur mécanisme n’est pas l’alpha et l’oméga de notre politique climatique, mais il va permettre de rendre le marché carbone européen (l’ETS) beaucoup plus efficace en remédiant à l’un de ses défauts majeurs, les fuites de carbone. Nous avons impérativement besoin de ce nouvel outil de la politique climatique, car il est triplement vertueux: il aidera à réduire nos émissions et l’empreinte carbone globale de chaque Européen, il contribuera à créer un premier standard sur le prix du carbone à l’échelle mondiale, il renforcera l’acceptabilité d’ensemble de cette même politique. C’est ainsi un outil au service d’une transition juste, qui permet de garantir que les efforts des industries et des travailleurs européens engagés dans la décarbonation ne sont pas vains.

C’est pour cela qu’il faut nécessairement rechercher une parfaite adéquation avec les règles de l’OMC et créer un mécanisme transparent, proportionné et coordonné avec les poli- tiques climatiques de nos partenaires commerciaux. 

Rénovation des bâtiments

La rénovation énergétique est une des priorités de l’action publique au niveau français. Quel peut être le rôle de l’Union européenne à ce niveau et comment faire croître cet écosystème économique particulièrement dynamique ?

Beaucoup trop de nos concitoyens souffrent encore de vivre dans des « passoires thermiques ». Ce sont des logements mal isolés, il y fait chaud l’été, glacial l’hiver, et en sus, les occupants doivent s’acquitter de factures énergétiques clairement disproportionnées. C’est une aberration sur le plan climatique et une injustice sur le plan social, nous devons y mettre un terme. Résolument, car ici, l’idée de transition juste prend tout son sens.

En France, c’est le chemin que nous pre- nons avec la mise en place d’un dispositif d’accompagnement ouvert à tous les ménages, indépendamment de leur niveau de revenu, pour conduire chacune et chacun à réaliser les travaux nécessaires. Rénover l’habitat est une des grandes priorités du plan de relance français. Et, la part nécessaire de contrainte dans cette politique doit également s’accompagner de clarté et de prévisibilité. Avec le projet de loi

 «Climat et résilience» que je porte en ce moment même au Parlement français, nous mettons en place une trajectoire d’interdiction de location de ces passoires thermiques, entre 2025 et 2034, suivant leur performance énergétique. Je crois que ce type de trajectoire progressive et ambitieuse pourrait profiter à l’ensemble des Européens, à la condition que les mesures de soutien idoines soient prévues et pérennes.

Au niveau de l’Union, nous devons d’abord rehausser notre objectif d’économies d’énergie. Ce dont nous avons besoin, c’est bien d’une

 « vague de rénovations», permettant, partout en Europe, de doubler le niveau de rénovations. À ce titre, la stratégie du même nom proposée en octobre dernier par la Commission va dans le bon sens. Pour moi, cela veut dire améliorer l’isolation des bâtiments et agir sur l’efficacité des modes de chauffage. Les deux vont de pair, dans un objectif central de primauté de l’efficacité énergétique. À titre d’exemple, je porte un agenda ambitieux pour une sortie des chaudières au fioul. La France a prévu cette interdiction dans les bâtiments neufs et existants et je suis très favorable à une généralisation de ce dispositif au niveau européen. Un autre défi que nous devons relever collectivement est la facilitation du déploiement des réseaux de chaleur et de froid qui place les énergies renouvelables au cœur d’un nouveau modèle urbain.

Notre ambition doit être d’agir vite et bien, avec le maximum d’impact pour nos concitoyens et pour le climat. Cela implique de prioriser nos efforts européens sur la rénovation des logements les plus énergivores et les plus carbonés, de mettre en place des systèmes d’aides dans un cadre simplifié, de développer l’information et le conseil des ménages.

Les fonds européens doivent constituer une force de frappe décisive pour massifier les rénovations les plus performantes, partout sur le continent.

Développement de l’hydrogène

Comment favoriser le développement de l’hy­drogène au sein de l’UE alors que le captage du CO2 n’est encore qu’une perspective loin­taine, du fait de son coût?

L’hydrogène est une des grandes révolu- tions technologiques de notre siècle et l’Europe doit être au rendez-vous, au risque de déroutes industrielles à répétition. L’hydrogène jouera un rôle crucial dans la transition énergétique des transports et de l’industrie, et contribuera à répondre à l’intermittence des énergies renouvelables. Bref, l’hydrogène est absolument clé pour atteindre la neutralité carbone.

Mais la condition pour concrétiser toutes les promesses de l’hydrogène est bien entendu que sa production soit décarbonée et que nous sachions faire émerger un écosystème solide. C’est d’ailleurs un enjeu de souveraineté pour l’ensemble du continent. Cela sous- entend que nous devons faire émerger rapidement une filière industrielle des technologies de l’hydro- gène décarboné, telle que l’électrolyse, et accroitre fortement notre production d’énergies renouvelables.

C’est pourquoi la France s’est dotée très tôt d’une stratégie hydrogène, pour participer à la forte impulsion européenne en faveur de cette énergie d’avenir. Notre plan de relance vient aujourd’hui massifier les efforts avec 7 milliards d’euros de soutien public sur la décennie, dont 2 milliards déployés d’ici la fin de l’année pro- chaine. Notre ambition est de faire émerger et de déployer rapidement les solutions de l’hydrogène décarboné, et nous visons d’ici 2030 une puissance installée d’électrolyse suffisante pour éviter l’émission de près de 6 mil- lions de tonnes de CO2 par an. Nous estimons que la mise en œuvre de cette stratégie pourrait créer entre 50000 et 100000 emplois directs et indirects, avec des milliards d’euros de valeur ajoutée et de retombées économiques pour les territoires. Cela montre, une fois de plus, que la transition écologique est une opportunité inouïe pour construire une autre forme de croissance. À l’inverse, devoir importer massivement de l’hydrogène d’ailleurs serait un terrible échec climatique et industriel pour l’Union.

Énergies renouvelables

Dans leur rapport du 27 janvier dernier, RTE et l’AIE ont démontré que l’évolution du mix électrique européen vers 100 % d’énergies renouvelables à moyen terme était une pers­ pective atteignable. Cependant, de telles évolutions nécessiteront une série de coûts et d’adaptations importantes pour les consom­ mateurs. Quelle suite l’UE peut-elle donner à cette étude pour réaliser cet objectif?

C’est un sujet qui déchaîne beaucoup de passions en France! Et je crois que ce que ces études nous montrent, indépendamment du scénario et de la trajectoire que nous devrions retenir, c’est l’impérieuse nécessité d’accélérer le déploiement des énergies renouvelables, partout en Europe.

En France, nous avons fait le choix de ré- duire la part du nucléaire à 50% d’ici 2035 et d’augmenter notre production d’énergies renouvelables (à ce stade, à 33% à horizon 2030) en s’appuyant en particulier sur le solaire et l’éolien, notamment offshore.

Au niveau européen, nous devons aujourd’hui rehausser notre objectif pour l’adapter aux nouvelles ambitions portées parla Loi Climat de l’UE, ce sera le point central de la révision prochaine de la directive «ENR». Je pense éga- lement que cet objectif pourrait être contraignant pour chacun des États membres, en recherchant en priorité un effet«climat efficace» via la substitution des énergies renouvelables aux énergies carbonées. Je pousserai égale- ment le rehaussement de l’objectif d’énergies renouvelables dans les transports, qui passera par un large éventail de dispositifs (renouvelle- ment du parc via des primes à la conversion; bonus / malus; déploiement accéléré du réseau d’infrastructures de recharge ; production d’énergies bas-carbone) qui permettra aux usagers de s’emparer plus facilement de cette transition. J’attends beaucoup aussi de la cha- leur (et du froid) renouvelable, où il y a un gise- ment important de réduction de nos émissions de gaz à effet de serre, à un coût limité.

C’est donc un travail systémique qui nous attend et nous devrons aller chercher le plein potentiel de chaque filière, là où il est le plus pertinent.

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