Par Thomas Dorget
Délégué général de Confrontations Europe
La finance comme bien commun : autonomie stratégique raisonnée
La finance est au carrefour de la construction d’une autonomie stratégique européenne. Elle constitue un outil essentiel pour soutenir le développement des filières industrielles stratégiques de l’UE (santé, infrastructures énergétiques ou de télécommunication…), un aspect d’autant plus impérieux dans le contexte pandémique et le choc économique qu’il entraîne.
Cette construction d’une autonomie stratégique européenne se construit au travers des entreprises, et c’est par l’articulation entre le secteur financier et les entreprises, en priori- té les PME, que s’incarne l’idée d’une finance comme bien commun. L’autonomie stratégique de l’UE se conçoit toutefois dans une multiplication des interactions entre le marché unique et pays tiers et un équilibre avec le développe- ment économique des partenaires de l’UE, notamment en Afrique et en Asie. Ainsi, l’objectif de promotion d’une finance comme bien commun n’est pas de favoriser la relocalisation forcée des filières industrielles européennes, mais d’identifier les conditions de production efficace pour certains biens clés, au sein des frontières de l’UE, et d’organiser la diversification de son approvisionnement pour le reste de son économie, afin de promouvoir une croissance durable dans les pays en développement.
Afin de poursuivre cet objectif, il convient de renforcer la souveraineté du secteur financier européen, encore largement dépendant des acteurs anglo-saxons, dans les domaines de l’intermédiation financière, des infrastructures de marché ou de la notation des actifs financiers. Cette quête de souveraineté constitue pour l’UE, une occasion de mutualiser la défense de ses intérêts sectoriels au sein des centres de décision internationaux (IOSCO1, IASB2…) dans lesquels les Anglo-saxons investissent massivement, notamment dans le contexte post-Brexit.
La création de valeur des entreprises et l’investissement de long terme
L’investissement de long terme est au cœur des travaux historiques de Confrontations Europe. La pandémie de Covid-19 et la crise économique qui en découle en renforcent encore la pertinence.
La promotion d’une vision de long terme pour le secteur financier est la condition sine qua non du succès de la double transition environnementale et numérique, que la dé- pense publique, fortement contrainte par la succession de crises économiques depuis le début des années 2000, ne pourra pas assumer seule.
Dans ce contexte, l’investissement de long terme constitue l’interface centrale entre le secteur financier et les entreprises européennes. En effet, l’investissement de long terme se comprend comme l’outil permettant de soutenir la croissance et le développement des entreprises au sein du marché unique, dans un contexte de relance et de double transition, écologique et numérique. Pour assurer cet objectif, l’UE a plusieurs leviers réglementaires à sa disposition :
• L’intégration des marchés de capitaux européens via l’achèvement du plan d’action pour l’UMC, afin de mobiliser l’abondante épargne des Européens vers le financement des entre- prises innovantes, au sein du marché unique.
- Développer une finance européenne durable, afin de flécher les capitaux privés vers les activités économiques contribuant au développement du marché unique numérique, et à la décarbonation de l’économie européenne à l’horizon 2050. L’UE a lancé une série de travaux réglementaires en ce sens, qui aboutira dans le courant de l’année 2021 : taxonomie, NFRD, gouvernance durable des entreprises, stratégie rénovée en matière de finance durable…
- Promouvoir le rôle de la titrisation, spécialement comme outil de financement à la disposition des PME de l’économie traditionnelle, qui auront plus difficilement accès aux marchés de capitaux.
Promouvoir une régulation financière responsable
Confrontations Europe défend une vision transversale de la régulation financière, afin de permettre à l’Union européenne de mieux adapter la réglementation de ce secteur à ses objectifs politiques : autonomie stratégique de l’UE, double transition environnementale et numérique, relance de l’économie européenne dans le contexte post-Covid-19.
La régulation financière constitue ainsi un outil de compétitivité pour le secteur financier européen, et la révision de ces règles doit per- mettre aux acteurs financiers de l’UE de regagner des marges face à leurs concurrents, spécialement anglo-saxons (révision de MiFID II3 et de Solvency II(4) notamment).
Enfin, la régulation financière européenne doit permettre de mesurer la transition des activités européennes vers les objectifs du Green Deal, en évitant l’écueil des images statiques, qui pénaliserait les secteurs d’activité fortement carbonés. Ainsi, les réformes à venir dans le domaine de la régulation financière (NFRD, stratégie rénovée, gouvernance durable des entreprises…) doivent permettre aux acteurs de la finance européenne d’appréhender l’évolution des entreprises européennes vers les objectifs du «Green Deal» dans leur passage du «brun» au «vert».
(1) IOSCO : International Organization of Securities Commissions
(2) IASB : International Accounting Standards Board
(3) MiFID II : Markets in Financial Instruments Directive
(4) Solvency II : Directive 2009/138 / CE du Parlement européen et du Conseil du 25 novembre 2009 concernant l’accès à l’activité d’assurance et de réassurance et son exercice (Solvabilité II)