L’Europe a besoin de mariages

Alain BERGER

Directeur de la Stratégie, Hill&Knowlton et ancien directeur des Affaires publiques d’Alstom

En Europe, la politique de concurrence est reine. Comment fait-on place à la coopération entre politique de la concurrence et politique industrielle, encore trop souvent aujourd’hui antinomiques ? Réponse avec Alain Berger qui prône une révision de notre politique de concurrence européenne.

Créer des champions à même de préserver les emplois, d’innover et de mieux vendre sur les marchés, tel est l’objectif de toute politique industrielle. La politique de concurrence, quant à elle, est mue par les idées de sauvegarde de la structure concurrentielle du marché et de protection du consommateur. Si la Commission européenne défend l’idée que politique industrielle et politique de la concurrence sont complémentaires, la réalité des industriels vient parfois remettre en cause cette conception théorique. D’ailleurs la DG Entreprises (ou Industries) a été remplacée par une DG GROW (Croissance avec emphase sur l’emploi) sans que cela n’apporte d’« éclairage » particulier à la DG Concurrence.

Il est clair que l’idée de champion national est maintenant totalement dépassée (à l’exception de quelques dinosaures français) : nous avons besoin de penser des champions européens. En théorie, rien n’interdirait de telles propositions et très peu de projets de fusion sont historiquement interdits. Or, force est de constater que de multiples projets de fusion en Europe ne sont pas présentés par crainte d’une interdiction ou d’une exigence de « remèdes » trop substantiels du fait d’une application des règles de concurrence. Se met-on en position désavantageuse par rapport à la concurrence internationale ? Est-ce que l’Europe a besoin de mariages entre Européens ? Ou préfère-t-on faire place à des alliances avec des partenaires extérieurs ? Il n’y a pas de débat politique sur ces enjeux. La tendance lourde de ces dernières années montre un nombre croissant de fusion avec des entreprises non européennes.

Dans le même temps, les Chinois continuent de construire des champions nationaux dont les projets de fusion sont approuvés souvent très rapidement. Ont-ils tort de construire ces mastodontes non compétitifs sur le long terme, selon nos théories, car non-soumis à la concurrence ? Sans doute mais, dans un monde global, ils risquent malgré tout d’avoir le temps de détruire nos entreprises. C’est l’asymétrie dans l’application des règles de concurrence ou l’absence de réciprocité qui pose problème à nos entreprises aujourd’hui. Le Japon, les États-Unis ou la Chine limitent l’accès des entreprises non nationales aux programmes de R&D ou aux marchés publics. C’est l’inverse en Europe, malgré certaines conditions comme le fait d’effectuer la R&D au sein d’un État membre de l’Union européenne. Ce type d’asymétries désavantage les entreprises européennes, il faut en avoir conscience.

Une DG Concurrence très intrusive

Par le biais des remèdes imposés lors de fusions (comme par exemple la cession de pans d’activités définis) ou plus récemment par une appréciation du potentiel d’« innovation » de l’entreprise, la DG Concurrence se comporte de manière très intrusive vis-à-vis des business models des firmes. On pourrait dire que, par ce truchement, elle mène de facto des actions de politique industrielle. En a-t-elle les compétences ? Rien n’est moins sûr. Comment la DG Concurrence peut-elle juger, par exemple, le frein éventuel porté à l’innovation à long terme d’une fusion entre Alstom et General Electric ? Les acteurs eux-mêmes ont souvent bien des difficultés à juger du succès de la mise sur le marché d’une nouvelle technologie, et comprennent mal comment un économiste de la DG Concurrence peut mieux analyser ces impacts ! Est-ce que le fait d’avoir imposé à Microsoft de présenter une version de Windows sans Media Player pour cause de menace d’abus de position dominante s’est finalement avéré justifié ? Il faudrait mener des études d’impact ex post de ces remèdes.

Dans son fonctionnement pratique, la gouvernance de la DG Concurrence et sa politique de concurrence européenne méritent d’être profondément renouvelées. L’économiste en chef de la DG Concurrence ne peut pas être considéré comme indépendant il est bien souvent dans la ligne des positions de sa DG. Les experts, au demeurant remarquables, de la DG Concurrence n’ont qu’un faible contrepoids. Or ces experts connaissent très mal le monde de l’entreprise. Il serait bénéfique de leur proposer à tous des missions en entreprise.

Une politique industrielle européenne concertée est plus que jamais une nécessité. Les entreprises soumettant leurs projets de fusion sont souvent désarmées par le processus de contrôle des fusions et les analyses très théoriques de la DG Concurrence. C’est souvent une expérience unique (dans une carrière) et très traumatisante pour un PDG : partager ses expériences serait bénéfique pour le plus grand nombre.

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