Le sablier et le financier

Sylvie Goulard, Sous-Gouverneure, Banque de France

Depuis les accords de Paris en 2015, le secteur fi nancier est mobilisé pour le climat. C’est crucial vu les montants requis pour atteindre la neutralité carbone. La Commission européenne a évalué les besoins d’investissements pour verdir le système énergétique européen à 350 Mds€ de plus par an, par rapport à la période 2011-2020. L’alliance de fi nanciers privés du monde entier (GFANZ) représente 130 billions de dollars d’actifs fi nanciers, un montant vertigineux. En parallèle, la transition numérique appelle aussi des investissements massifs, avec un besoin annuel d’investissements supplémentaires dans l’UE évalué à 125 Mds€ par la Commission.

Un réseau mondial de Banques centrales, le NGFS, a été créé pour combattre les risques fi nanciers liés au climat et à l’environnement. Des stress-tests pilotes des portefeuilles des banques et assureurs ont été organisés en France, au Royaume-Uni, et sont en cours à la BCE. En 2021, l’Eurosystème a décidé de verdir sa politique monétaire et ses investissements. La Banque de France étudie comment intégrer le risque climatique dans la cotation de 300 000 PME.

Toutefois, le déversement de liquidités, pas plus que ces coopérations volontaires, ne suffisent pas à enrayer l’élévation des températures. Pour réussir ces transitions, nous devons opérer des transformations plus profondes qui touchent à notre perception du temps et au fonctionnement de nos démocraties.

Paradoxalement, le temps de l’action publique est à la fois raccourci et étiré. D’un côté, les contraintes de rentabilité, le désir de consommation et la démagogie électorale tirent nos sociétés vers le court terme, au détriment des générations futures (la « tragédie de l’horizon » dénoncée par Mark Carney, gouverneur de la Banque d’Angleterre en 2015). De l’autre, dans de nombreux domaines d’action publique, les décideurs jouent sur le temps pour faciliter les réformes délicates, quand ils ne les reportent pas sine die. Ainsi, nombreux sont les responsables politiques, chefs d’entreprise, individus qui, souvent de bonne foi, demandent une approche « réaliste » et « plus de temps » pour agir. Mais ce temps, personne ne peut plus le leur donner. La nature que nous pillons, sans la respecter, depuis le début de la révolution industrielle, n’attendra pas que nous soyons fin prêts. La banquise ne ralentira pas sa fonte, ni les océans leur réchauffement, pas plus que les espèces animales et végétales ne cesseront de disparaître, parce que cela nous arrangerait. Nous devons renverser l’ordre des choses, en faisant passer les rythmes de régénération des espaces naturels avant nos contraintes. Pour le climat et la nature, il ne s’agit déjà plus d’évaluer un risque comportant un aléa, mais d’agir, comme le rappellent les scientifiques dans des rapports alarmants (GIEC, 6e rapport d’évaluation).

Dans le domaine de la Tech, le contexte est différent mais la concurrence internationale, surtout quand elle émane de pays désireux de prendre une forme de revanche sur l’Occident, est d’ores et déjà une réalité. Nous n’avons pas le temps, sauf à être plus encore distancés.

Longtemps, les démocraties se sont contentées de résultats que les économistes qualifieraient de sous-optimaux. À force d’éluder les sujets qui fâchent, nous avons empilé des dettes pour financer des dépenses courantes en négligeant les investissements d’avenir. Nous n’avons pas réduit notre consommation d’énergie carbonée, ni rendu le multilatéralisme efficace. L’un des instruments les plus puissants contre l’émission de CO2, conforme aux logiques de marché, serait de donner un prix à l’émission de carbone et plus généralement aux externalités négatives de nos actions sur l’environnement. Ces mécanismes n’existent toujours pas à grande échelle. Si la Commission européenne a proposé un mécanisme aux frontières de l’UE, la plupart des États du monde s’opposent au prix du carbone, même dans la formule astucieuse du FMI consistant à différencier les niveaux de coûts selon le degré de développement.

Ainsi, la finance peut contribuer à la transition numérique et climatique. Elle ne saurait toutefois remplacer le courage de prendre des décisions trop longtemps reportées, ni de penser aux générations futures.

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