Quel avenir pour la zone euro ?

Pierre Moscovici, Premier président de la Cour des comptes

Ces deux dernières décennies, l’Union économique et monétaire a connu de nombreuses crises : la crise financière, la crise des dettes souveraines, la crise sanitaire et, aujourd’hui, la crise ukrainienne qui, au-delà des conséquences tragiques qu’elle emporte pour le peuple ukrainien, met à nouveau à l’épreuve les économies européennes. Toutes ces crises ont confronté la zone euro à d’importants défi s et l’ont obligée à repenser son modèle pour résister au risque de la fragmentation. À chaque fois, elle a dû montrer sa capacité à faire face aux chocs conjoncturels, particulièrement lorsqu’ils frappaient les États membres de façon asymétrique et qu’ils appelaient, par suite, la manifestation d’une solidarité européenne.

La résilience de la zone euro est d’autant plus cruciale qu’elle est un pilier fondamental de la construction européenne. La coopération économique a toujours été le moteur du projet européen, du traité de Paris (1951) qui acta la création d’un marché unique du charbon et de l’acier entre les six États membres signataires, au traité de Maastricht (1992) qui entérina la mise en place de l’Union économique et monétaire aujourd’hui constituée de 19 États membres. Les contours de cette Union sont aujourd’hui largement perfectibles car elle ne constitue pas, au sens « mundellien » du terme, une zone monétaire optimale : les écarts de conjoncture économique restent importants entre les pays membres, les marchés du travail sont insuffisamment intégrés et les transferts budgétaires au sein de la zone demeurent limités.

Pour tendre vers l’optimalité, et le plus souvent en réponse aux crises qu’elle traversait, la zone euro a mis en place différents mécanismes. Par exemple, en 2012, le mécanisme européen de stabilité a été créé pour fournir une aide fi nancière aux États membres qui connaissaient ou risquaient de connaître de graves problèmes de financement. Plus récemment, en 2021, l’instrument budgétaire de convergence et de compétitivité a été mis en place pour financer des réformes structurelles et des investissements publics destinés à renforcer le potentiel de croissance des économies de la zone euro d’une part, et la résilience de la monnaie unique d’autre part. Ces deux mécanismes ont en commun qu’ils jouent un rôle contracyclique très important en période de crise, et qu’ils visent la convergence des économies de l’Union économique et monétaire. À l’échelle de l’Union européenne cette fois, l’adoption du plan de relance « NextGenerationEU », doté de 750 Mds€, a marqué une nouvelle étape dans l’intégration budgétaire et monétaire. Financé – et cela est tout à fait inédit – par un emprunt contracté par la Commission européenne elle-même, ce plan contribue massivement à la relance des économies européennes post-crise sanitaire et au financement de projets structurants pour l’avenir, notamment sur le plan de la transition écologique.

Ces outils marquent certes une progression dans l’approfondissement de la zone euro, mais il est possible, et surtout souhaitable, d’aller plus loin. Lorsque j’étais Commissaire européen aux aff aires économiques, fi nancières et à la fiscalité entre 2014 et 2019, j’ai défendu la mise en place d’un budget commun ambitieux pour la zone euro. Il pourrait être financé par des ressources nationales, et soutiendrait les réformes structurelles dont les États membres ont besoin – je pense notamment au financement d’un socle commun d’assurance-chômage. Toutefois, établir un tel budget ne suffira pas. Il faut également réformer en profondeur le Pacte de stabilité et de croissance, devenu trop complexe, peu lisible et procyclique. Ces dernières années nous l’ont montré, l’Union européenne doit être capable de faire preuve de flexibilité dans l’interprétation et la mise en œuvre des règles budgétaires en prenant en compte la qualité de la dépense. Pour cela, il faut viser une règle de dépense simple, compréhensible, qui favorise l’investissement, et plus particulièrement l’investissement dans la transition écologique, tout en garantissant la soutenabilité des finances publiques, et au premier chef la maîtrise de l’endettement public. Il faut aussi ouvrir la voie à une approche moins uniforme, prenant en compte les spécificités des États membres. Il faudra aussi achever l’Union bancaire, en créant un fi let de sécurité européen pour fournir les réserves fi nancières nécessaires en cas de crise bancaire, et en mettant en œuvre l’union des capitaux pour un meilleur partage des risques fi nanciers entre les États membres. Ces ambitions, les pays de la zone euro ne les atteindront qu’au moyen d’une volonté politique forte. Il me semble que pour mener à bien le renforcement de l’Union économique et monétaire, certaines garanties doivent être données en matière de gouvernance. Je promeus par exemple de longue date la nomination d’un ministre européen des finances, chargé de l’approfondissement de l’Union économique et monétaire, qui serait également vice-président de la Commission et président de l’Eurogroupe. Les règles de vote doivent elles aussi évoluer : le vote à l’unanimité paralyse la prise de décision, tandis qu’un vote à la majorité qualifiée permettrait de faire avancer la zone euro sur les différents chantiers que j’ai évoqués.

Je crois sincèrement que le renforcement de la zone euro est l’une des voies à suivre pour rendre notre Europe plus forte et solidaire, d’autant plus que notre Europe, d’une façon ou d’une autre, va s’élargir pour prendre en compte les nouvelles exigences de sécurité et de solidarité sur notre continent, après l’agression russe contre l’Ukraine. Plus large et plus géopolitique, l’Union aura inéluctablement besoin d’un cœur plus intégré : la zone euro. Bien souvent, ce sont les crises qui, en révélant au grand jour les faiblesses des institutions et du fonctionnement de l’Union, permettent le franchissement de nouveaux caps en matière de construction européenne. Aujourd’hui, c’est la tragédie du conflit ukrainien qui vient nous rappeler combien le projet européen est précieux et son renforcement nécessaire pour répondre aux défi s économiques, sociaux, environnementaux et géopolitiques qui caractérisent ce début de XXIe siècle. L’ambition et la détermination des dirigeants européens seront indispensables pour construire des réponses à la hauteur de ces enjeux, à l’échelle de la zone euro mais aussi, plus globalement, à l’échelle de l’Union européenne.

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