La politique européenne de la santé : baptême du feu

Jérôme Vignon

 

Conseiller à l’Institut Jacques Delors

Totalement inconnue du grand public, défaillante à prévenir de la pandémie et à réagir dans la toute première urgence, la politique européenne de la santé pourrait néanmoins s’avérer l’une des révélations de la crise du Covid-19 alors que l’Europe est de loin le continent qui comptabilise le plus grand nombre de morts. Par son aptitude à coordonner les acteurs en jouant de tous les leviers de la recherche, de la normalisation sanitaire et du marché intérieur.

Qui se souvient de cette autre crise sanitaire, la crise de la « vache folle » qui avait été l’une des causes de la démission de la Commission présidée par Jacques Santer en 1999 ? A partir de ce moment de nouvelles pratiques furent instaurées conduisant à la création au sein de la Commission européenne d’une Direction générale reliant protection des consommateurs et santé publique. La santé fit ensuite partie des quelques domaines auxquels la Convention présidée par Valéry Giscard d’Estaing élargit la sphère des compétences de l’Union européenne.

Désormais l’article 156 TFUE reconnait à l’UE une compétence « d’appui » aux politiques nationales en matière de santé : en aucun cas elle ne peut se substituer aux responsabilités nationales de santé publique. Elle peut en revanche contribuer à l’efficacité de ces politiques en trois domaines : l’action d’urgence en cas de crise transfrontalière ; la coordination et la coopération entre les systèmes nationaux incluant la recherche ; la prévention, celle-ci recouvrant un champ très vaste de l’alimentation à l’encadrement des normes industrielles. Les moyens mis en œuvre sont pilotés par une Agence exécutive basée au Luxembourg  dont l’action est complétée par l’Agence européenne du médicament et par le Centre européen pour la prévention et le contrôle des maladies infectieuses (CEPCM) basée à Stockholm.

Pour le meilleur et pour le pire

Ce dispositif va subir avec les premières manifestations de la pandémie en Chine son baptême du feu, pour le meilleur et pour le pire.

On commence par le pire, manifesté par deux bévues déplorables des dispositifs d’alerte et d’aide sanitaire d’urgence. L’agence de Stockholm se rendit coupable d’un couac magistral en annonçant jusqu’en fin février 2020 que les systèmes sanitaires dans les 28 Etats (UE + UK) disposaient de toutes les capacités suffisantes pour maîtriser la propagation du virus. Plus grave par ses conséquences pour la solidarité européenne fut la défaillance propre aux services de la Commission qui eurent besoin de 4 semaines pour mettre en œuvre le dispositif d’aide d’urgence   instauré par un règlement de 2016. Aussi 5 semaines se sont-elles écoulées entre l’appel lancé fin février par l’Italie prise à la gorge et l’arrivée début avril de deux équipes médicales venues respectivement de Suède et de Roumanie. On vit alors la Présidente de la Commission présenter, non sans noblesse, des excuses publiques à l’Italie. Une fois la phase la plus critique de la crise dépassée, il sera temps d’évaluer les causes profondes de cette défaillance et plus généralement le caractère peu opérationnel de l’écheveau complexe des mécanismes de solidarité et d’urgence introduits dans le TFUE et qui semblent paradoxalement être plus difficile à manier au sein de l’UE que vis-à-vis des pays tiers.

En revanche il faut saluer la rapidité et la pertinence des décisions prises par la Commission, en coopération le cas échéant avec le Conseil et le Parlement, au titre de la coordination entre les acteurs nationaux publics, mais aussi privés : entreprises, laboratoires et centres de recherche. Sous réserve de leur efficacité que l’on ne pourra évaluer que plus tard, deux sortes d’initiatives illustrent a priori une valeur ajoutée européenne.

Les premières mettent en jeu la fonction régulatrice de la Commission en tant que gardienne du bon fonctionnement du Marché intérieur. Alors que les réflexes  de protection des espaces nationaux ont conduit au rétablissement de contrôles aux frontières intérieures de l’UE, un règlement communautaire a permis d’établir des « couloirs verts » permettant la circulation des personnes et des marchandises nécessaires pour l’approvisionnement des centres de production du matériel et des équipements médicaux nécessaires face à la crise, « aucun État membre n’étant aujourd’hui en situation de pourvoir seul à la production des biens essentiels qui lui sont nécessaires ». Alertée par les producteurs eux-mêmes, la DG Marché intérieur de Thierry Breton a mis en place un dispositif de « clearing » auquel sont associés les États membres, qui met en communication les entreprises qui éprouvent des contraintes d’approvisionnement et celles qui disposent de surplus afin de prévenir autant que possible la rupture des chaînes. Fait incroyable pour une institution que l’on veut croire asservie au dogme du libre-échange, la Commission a fait adopter par le Conseil un règlement qui permet aux États membres de soumettre les exportations vers les pays tiers à des autorisations lorsque sont en jeu des risques pour l’autonomie d’approvisionnement de l’UE pour des biens sanitaires « stratégiques ». Enfin, sachant que de nombreuses entreprises dans l’ensemble de l’UE se sont engagées dans la production de biens et de matériels sanitaires, depuis les protections corporelles jusqu’aux respirateurs, alors que ce n’était pas leur métier, la DG GROW en coopération avec l’Agence européenne de normalisation, met gratuitement à disposition de ces producteurs les manuels descriptifs des normes en vigueur dans l’UE ainsi que des tutoriels pour les mettre en œuvre. Car à quoi bon fabriquer masques, respirateurs et tests s’ils n’obéissent pas à des conditions minimales de protection de la santé ?

Faciliter la confiance mutuelle

C’est sans doute l’existence d’une communauté européenne d’acteurs autour de la santé, permise par l’article 156, qui aura rendu possible une seconde famille d’initiatives touchant directement à l’efficacité des systèmes de santé. Dès le 6 mars, la Commission sélectionnait 18 projets de recherche sur la mise au point de vaccins menés par des équipes transeuropéennes. Elle offrait ultérieurement, toujours à partir du budget recherche une plateforme en « open source » où toutes les informations recueillies par les chercheurs relatives au Covid 19 peuvent être accessibles9. Dans le courant du mois de mars, trois appels d’offres conjoints, associant 25 Etats membres volontaires, étaient lancés par la Commission, pour optimiser les demandes relatives aux matériels de protection, aux aérateurs et aux tests. La Commission elle-même se portait acquéreur pour la réserve « ResCUE »10 de matériel médical immédiatement disponible pour les Etats membres souffrant des pénuries les plus importantes au titre du plan d’aide d’urgence approuvé par le Conseil européen le 23 mars. L’Agence européenne du médicament publiait le 26 mars une recommandation sur la mise en œuvre optimale de tests cliniques, tests dont les résultats peuvent désormais être mis en commun entre tous les Etats qui suivent cette recommandation . Le 1er avril, le Centre Européen de recherche conjointe (JRC) des tests diffusait les résultats d’une étude comparative systématique sur l’efficacité des tests épidémiologiques donnant lieu le 15 avril à une Recommandation de la Commission sur les protocoles de conduite de ces tests. Forte des informations échangées dans ces divers organismes et appuyées sur un conseil médical composé de représentants des principaux instituts épidémiologiques nationaux, la Commission publiait le 16 avril une feuille de route pour la conduite des opérations de sortie du confinement, en forme de Recommandation, destinée à faciliter la confiance mutuelle entre les différentes démarches nationales.

Il est trop tôt pour mesurer l’impact effectif de cette valeur ajoutée européenne à laquelle la crise sanitaire mondiale a donné l’occasion de se déployer.  En contrepoids des forces centrifuges activées par le recours prioritaire aux nations garantes de la santé publique, le marché intérieur européen joue le rôle d’une sorte de filet de sécurité, de rappel invisible mais effectif à la « solidarité de fait », riche de ses normes communes et des réseaux de coopération qui se sont constitués au fil du temps. Il est frappant de constater combien non seulement le Royaume-Uni, mais aussi l’Agence européenne pour l’Environnement (AEE) et d’autres pays associés dans la mouvance de l’UE se sont agrégés à ses initiatives. Max Weber pensait que la durabilité d’une communauté humaine ne pouvait tenir seulement à ses valeurs. Elle devait aussi pouvoir s’appuyer sur des institutions qui leur donnent vie en gardant mémoire des promesses initiales. Le Marché intérieur est en ce sens une institution pour l’UE et la société encore à construire qui l’habite.

 

Rédaction achevée le 23 avril 2020.

CHAFEA, agence exécutive pour les consommateurs, la santé et la sécurité alimentaire.

euobserver.com/coronavirus/148039utm_source=euobs&utm_medium=email

Article 122 du Traité sur le Fonctionnement de l’Union européenne

https://www.lesoir.be/294927/article/2020-04-16/ursula-von-der-leyen-presente-les-excuses-de-leurope-litalie

https://ec.europa.eu/info/live-work-travel-eu/health/coronavirus-response/timeline-eu-action_en

Discours d’Ursula von der Leyen devant le Parlement européen le 15 avril.

https://ec.europa.eu/info/news/emergency-coronavirus-research-commission-selects-18th-project-develop-rapid-diagnostics-2020-mar-31_en

9 https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/en/IP_20_680

10 https://club.bruxelles2.eu/wp-content/uploads/resceumaterielmedicalcovid19@e200319i.pdf

11 https://www.ema.europa.eu/en/implications-coronavirus-disease-covid-19-methodological-aspects-ongoing-clinical-trials

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