Par Stefano Feltri, Journaliste pour l’Institut pour l’élaboration des politiques européennes à l’Université Bocconi à Milan
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En juillet 2023, au cours de l’été le plus chaud de l’histoire récente de l’humanité, une jeune italienne d’une vingtaine d’années, Giorgia, prend le micro pour poser une question au Ministre italien de l’Environnement, Gilberto Pichetto Fratin, à la fin d’un événement public. « Je suis inquiète pour mon avenir, ma région d’origine, la Sicile, est en proie aux incendies de forêt, et je souffre d’éco-anxiété », a déclaré Giorgia, dont la voix s’est brisée et qui s’est mise à pleurer.
La vidéo est devenue virale, car lorsque le Ministre Pichetto Fratin, qui n’est pas réputé pour sa sympathie à l’égard des défenseurs de l’environnement, a tenté de répondre, il a été tellement ému qu’il s’est mis à pleurer lui aussi.
Toutefois, à la veille des élections européennes de juin 2024, la crise climatique a disparu de la liste des priorités des partis européens. Dans le cadre de sa candidature à un second mandat en tant que Présidente de la Commission Européenne, Ursula von der Leyen a adouci son message sur le climat après que son parti – le Parti populaire européen – a appelé à une « pause réglementaire » dans ce domaine.
Le climat est devenu un sujet de clivage générationnel majeur : une enquête réalisée en 2023 a demandé à 10 786 jeunes Européens quelle devrait être la principale priorité de l’action politique de l’UE. La réponse la plus populaire – avec 67 % de soutien – a été la lutte contre la crise climatique.
Toutefois, à l’approche des élections, les institutions européennes et les gouvernements nationaux se sont montrés étonnamment ou verts à concéder tout ce que les agriculteurs et les lobbyistes de l’agro-industrie demandaient. Le mouvement dit « des agriculteurs » a, au moins temporairement, éclipsé la rhétorique verte qui était autrefois omniprésente dans tous les documents ou événements de la Commission.
Selon la littérature économique la plus récente, il n’existe aucune preuve empirique du « contrecoup vert » largement commenté : les politiques de transition écologique n’ont pas d’impact négatif sur le soutien au gouvernement qui les met en œuvre. Les mouvements populistes et nativistes profitent davantage de l’augmentation des inquiétudes liées aux migrations. Mais en raison du contexte géopolitique de plus en plus hostile, les priorités du débat européen sont passées du climat à la défense et à la sécurité. Ce n’est pas une bonne nouvelle pour les jeunes Européens, et ce pour deux raisons.
Tout d’abord, aussi terribles et tragiques qu’elles soient, les guerres se terminent généralement au bout de quelques années, et le temps qui passe facilite le cessez-le-feu, car toutes les parties impliquées dans le combat manquent de munitions, de ressources et de troupes. Au contraire, la crise climatique ne suit pas le même chemin : plus le temps passe, plus les politiques d’atténuation et d’adaptation deviennent coûteuses et moins efficaces. La hausse des températures est un ennemi plus dangereux que le Président russe Vladimir Poutine, en particulier pour les jeunes générations.
Deuxièmement, la politique industrielle axée sur la défense a un effet secondaire im portant pour les jeunes : les générations plus âgées peuvent mettre fin à toute critique en disant que les gouvernements nationaux et les institutions européennes doivent investir aujourd’hui pour construire un avenir plus sûr pour demain, dans l’intérêt des enfants d’aujourd’hui et de demain.
Étant donné que la recherche et le développement militaires, tout comme l’acquisition de matériel de défense, prennent du temps, le message des décideurs politiques est qu’ils allouent des ressources publiques à la sécurité pour prévenir les guerres futures, plutôt que pour influer sur les conflits actuels en Ukraine et au Moyen-Orient.
Cependant, le passage du climat à la défense dans le discours public a ramené l’horizon des décideurs politiques à la normale : l’avenir est une excuse pour avoir un déficit plus élevé et une dette publique croissante aujourd’hui, avec des investissements publics plus importants dans le secteur de la défense et, si nécessaire, un soutien temporaire pour atténuer l’impact social de la crise géopolitique.
D’un autre côté, la crise climatique exige une approche différente, avec des taxes immédiatement plus élevées sur les industries et les biens à forte émission, une coopération inter nationale, une redistribution des ressources et des transferts de technologie de l’UE (et des États-Unis) vers les pays du Sud. En outre, les industries brunes et les combustibles fossiles sont censés devenir plus chers.
Selon une autre enquête menée au niveau européen par la Banque européenne d’investissement (BEI) en 2023, 66 % des Européens sont favorables à des mesures gouvernementales plus strictes pour imposer un changement de comporte ment personnel. Cette proportion est plus élevée – 72 % – chez les personnes de moins de 30 ans.
Cependant, la BEI est l’une des nombreuses institutions européennes de premier plan dont les priorités passent du climat à la sécurité : la nouvelle présidente de la BEI, Nadia Calviño, subit des pressions de la part des gouvernements nationaux pour assouplir les restrictions qui ont jusqu’à présent empêché la BEI de soutenir des projets militaires ou des projets de technologie à double usage.
Au plus fort des crises pandémiques, en 2020, l’UE et les gouvernements nationaux ont approuvé ce que l’on appelle « l’UE de la prochaine génération » pour construire une Union européenne plus résiliente dans l’intérêt d’une génération qui a été gravement affectée par les perturbations sociales qui sont apparues comme un effet secondaire des politiques de lutte contre la contagion.
Les subventions et les prêts s’élèvent à 712 milliards d’euros, l’Italie étant le principal pays bénéficiaire, puisqu’elle a été la plus touchée par la pandémie, selon les critères de la Commis sion européenne.
Moins de quatre ans plus tard, le premier bilan est loin d’être enthousiasmant : l’Italie peine à respecter les étapes et les objectifs, une grande partie des fonds a été allouée à des projets d’infrastructure très traditionnels, sans impact spécifique sur les générations futures, le Parquet européen a découvert des fraudes et des escroqueries liées aux projets et aux fonds NextGenEU pour des centaines de millions d’euros, dans différents pays.
Il n’est donc pas surprenant que le scepticisme augmente quant à l’idée de reproduire l’approche NextGen pour financer d’autres initiatives au niveau de l’UE à l’aide de la dette européenne commune.
La prochaine génération à laquelle le plan de l’UE a donné son nom n’est pas responsable du résultat décevant de l’investissement de 712 milliards d’euros, mais les jeunes seront les victimes les plus probables de la désaffection pour la planification à long terme qui sera un héritage durable du plan NextGen.
Pour toutes ces raisons, les jeunes Européens âgés d’une vingtaine d’années n’ont aucune raison d’être optimistes quant à l’issue politique des élections européennes de juin 2024.
Cependant, tous les événements majeurs qui ont façonné le mandat 2019-2024 étaient totalement imprévisibles : une pandémie mondiale, une crise énergétique majeure, une guerre à la frontière est-européenne de l’UE.
Il n’y a donc aucune raison de penser que nous pouvons prédire ce qui se passera dans les cinq prochaines années, et les priorités politiques qui semblent aujourd’hui gravées dans le marbre pourraient à nouveau changer.
CONFRONTATION-EUROPE-138-210×297-WEB-46-47ITALY YOUTH AWAITS ENVIRONMENTAL PROPOSALS: WHAT RESPONSES FROM EUROPEAN PARTIES ON THE EVE OF ELECTIONS?
By Stefano Feltri, Journalist for the Institute for European Policymaking, a think tank at Bocconi University, Milano
During the hottest summer in recent human history, in July 2023, a young Italian woman in her twenties, Giorgia, got to the microphone to ask a question to the Italian minister for the Environment, Gilberto Pichetto
Fratin at the end of a public event. “I am worried for my future, my home region, Sicily, is plagued by wildfire, and I am suffering from eco-anxiety,”
Giorgia’s voice cracked, and she started crying. The video went viral because when minister Pichetto Fratin, who has no reputation for being sympathetic with environmental activists, tried to answer, he was so moved that he started crying too.
However, on the eve of the June 2024 European elections, the climate crisis has disappeared from the list of top priorities of European parties.
In her bid for a second mandate as EU Commission president, Ursula von der Leyen has softened her message on climate after her party – the European Popular Party – called for a “regulatory pause” in that field.
Climate has become a major generational cleavage: a 2023 survey asked 10.786 young Europeans what the top priority in the EU policy action should be. The most popular answer – with 67 percent support – resulted fighting the climate crisis
However, as the elections approached, EU institutions and national governments proved surprisingly open to conceding everything that farmers and agroindustry lobbyists asked for. The so-called farmers’ movement has, at least temporarily, overshadowed the green rhetoric that used to be so present in any Commission document or event.
According to the most recent economic literature, there is no empirical evidence of the widely commented “green backlash”: green transition policies do not negatively impact the support for the government implementing those policies. Populist and nativist movements profit more from increased concerns about migration.
But due to the increasingly hostile geopolitical context, priorities in the European debate have shifted from climate to defense and security. This is no good news for young Europeans, for two reasons.
First, as terrible and tragic as they are, wars usually end in a few years, and the passing of time makes the ceasefire easier because all the parties involved in the fight run short of am- munition, resources, and troops.
On the contrary, the climate crisis does not follow the same path: as times go by, mitigation and adaptation policies become more expensive and less effective.
Rising temperature is a more dangerous enemy than Russian President Vladimir Putin, especially for younger generations.
Secondly, defense-oriented industrial policy has a relevant side effect for young people: older generations can stop any criticism by saying that national governments and the EU institutions must invest today to build a safer future for tomorrow, in the interest of today and future children.
Since military research and development, as defense procurement, takes time, policymakers’ message is that they are allocating public resources to security to prevent future wars, rather than to impact current conflicts in Ukraine and in the Middle East.
However, the shift from climate to defense in the public discourse has moved the policymakers’ horizon back to normal: the future is
an excuse to have a higher deficit and rising public debt today, with higher public investments in the defense sector and, if needed, temporary support to mitigate the social impact of the geopolitical crisis.
On the other hand, the climate crisis requires a different approach, with immediate higher taxes on high-emission industries and goods, international cooperation, a redistribution of resources, and technology transfers from the EU (and the US) to the Global South. Also, brown industries and fossil fuels are supposed to become more expensive.
According to another survey at the European level, administered by the European Investment Bank in 2023, 66 percent of all Europeans are in favor of stricter government measures to impose a change in personal behavior. The share is higher – 72% – for people under thirty.
However, the EIB is one of the many top EU institutions that is shifting its priorities from climate to security: the EIB’s new president Nadia Calvino is under pressure by national governments to soften the limitations that have so far prevented the EIB from supporting military or dual-use technology projects.
At the peak of the pandemic crises, in 2020, the EU and the national governments approved the so-called “Next Generation EU” to build a more resilient European Union in the interest of a generation that was seriously damaged by the social disruptions that came as a side effect of anti-contagion policies.
Grants and loans total 712 billion euros, with Italy as the main beneficiary country, since it was the most negatively impacted by the pandemic, according to the European Com- mission’s criteria.
Less than four years later, the first assessment is far from enthusiastic: Italy is struggling to respect milestones and targets, and a significant chunk of the funds has been allocated to very traditional infrastructure projects with no specific impact on future generations, the European Public Prosecutor’s Office uncovered frauds and scams related to “NextGenEU” projects and funds for hundreds of million euros, in different countries.
Therefore, there is no surprise that skepticism is on a rise on the idea of replicating the NextGen approach to fund with common European debt other initiatives at the EU level.
The next generation named after the EU plan bears no responsibility in the disappointing outcome of the 712-billion-euro investment, but young people will be the most likely casualties of the disaffection for long-term planning that will be a lasting legacy of the NextGeneration Plan.
For all these reasons, young Europeans in their twenties have no reason to be optimistic on the policy outcome of the June 2024 European elections.
However, all major events that shaped the 2019-2024 term were totally unpredictable: a global pandemic outbreak, a major energy crisis, a war on the Eastern European border of the EU.
Therefore, there is no reason to assume that we can predict what will come in the next five years, and policy priorities that today look like set in stone might change once again.
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