Édouard SIMON
Directeur du bureau de Bruxelles, Confrontations Europe
Les enjeux de production (“manufacturing”) sont d’une importance déterminante pour l’Europe et le projet européen. Le groupe de travail « Mutations industrielles, durabilité et investissement humain » se saisit de ces enjeux au travers de deux axes structurants : celui, d’une part, de la nécessaire définition d’une stratégie industrielle européenne et celui, d’autre part, de l’émergence de repères communs aux entreprises européennes sur leur identité.
Enjeu commun pour le futur de l’Europe, la polarisation de l’industrie et des services qui lui sont associés autour de l’Allemagne est aujourd’hui l’un des principaux problèmes structurels et non résolus (ni même posés) de l’UE et de la zone euro et interrogent leur cohésion. Les activités productives sont également un vecteur essentiel de tout projet de transformation sociale. Ainsi, à l’heure de la nécessaire mise en œuvre d’engagements internationaux (Accord de Paris sur le climat, Objectifs de développements durables ), la question n’est plus de savoir s’il faut participer au processus mais comment les entreprises et les activités productives peuvent le faire. Car, ne nous y trompons pas : sans une profonde transformation de nos activités productives et sans un accompagnement de celle-ci dans une approche globale, la transformation écologique de nos sociétés peut continuer à se traduire par une fuite de carbone, de déchets mais également d’activités, d’emplois et de compétences hors d’Europe. Répondre à ces enjeux de manière commune, c’est aussi un premier pas dans l’élaboration d’un projet politique pour l’Europe.
Donner un contenu à la stratégie industrielle de l’Union
Si la politique industrielle n’est plus taboue en Europe, elle n’a pour autant pas encore de contenu. Pour preuve, les réactions de déception du Conseil de l’UE et du Conseil européen à la publication de la Communication « Une stratégie revisitée pour la politique industrielle de l’UE(1) » de la Commission et les appels au développement d’une « stratégie industrielle globale de l’UE à long terme »(2). Notre ambition est donc d’alimenter ce débat et de faire des enjeux de production l’une des priorités politiques de la prochaine mandature.
Bâtir une stratégie industrielle globale nécessite des actions à tous les niveaux (UE, national, local mais également chaînes de valeur, entreprise) afin de s’en approprier toutes les dimensions : stratégique, horizontale, sectorielle (centrée sur les chaînes de valeur) et territoriale. Face aux stratégies des puissances (États-Unis, Chine, Russie…), l’Union se doit d’identifier ces objectifs et intérêts stratégiques et de décliner ceux-ci au travers notamment de politiques sectorielles prenant en compte les questions de dépendance (technologique, de matières premières, etc.) et de structuration de chaînes de valeur européennes et mondiales.
Au regard des révolutions numériques et écologiques en cours ou à venir, l’industrie européenne a besoin de travailleurs qualifiés, qui devront être véritablement formés tout au long de leur vie. Or, l’investissement dans le capital humain n’est pas encore pris en compte et nos systèmes de formation professionnelle sont inadaptés à cette nouvelle donne. Bâtir un cadre européen pour le développement des capacités humaines est plus que jamais déterminant pour le futur de nos activités productives.
Enfin, toute stratégie industrielle européenne doit nécessairement intégrer une « composante territoriale » pour répondre à la polarisation industrielle autour de l’Allemagne et du Nord de l’Europe ou aux effets d’agglomération générés par la transformation numérique des écosystèmes productifs. L’Europe, et la zone euro singulièrement, a besoin d’une véritable division européenne du travail afin de permettre à chaque territoire de se développer de manière pérenne.
Au cœur de ce renouvellement de la pensée stratégique industrielle, l’entreprise occupe une place nécessairement déterminante mais les Européens avancent en ordre dispersé. Les modèles mercantiliste allemand et capitaliste financier anglo-saxon aux déclinaisons multiples coexistent et s’affrontent en Europe, sans qu’un seul de ces modèles ne permette à l’Europe de se construire un destin pérenne. Or, la question de l’entreprise, de son rôle, de sa finalité est une question centrale tant il s’agit d’un enjeu culturel conditionnant la place et le rôle de l’Europe dans le monde tel qu’il est en train de se construire.
L’entreprise doit répondre aux aspirations européennes communes de créer une économie sociale de marché, participer à l’intérêt général, et doit permettre de rénover des biens publics dans de nouvelles formes de partenariat public-privé. Penser l’entreprise durable en Europe, c’est nécessairement repenser également la puissance publique (européenne, nationale, locale) et leur articulation.
1) COM(2017) 479, 13 septembre 2017.
2) En particulier, conclusions du Conseil compétitivité du 12 mars 2018.