Carole ULMER
Directrice des études, Confrontations Europe
Face au risque de stagnation séculaire et à la désindustrialisation, l’Union européenne mise sur la transition vers l’Industrie du futur, dite industrie 4.0(1).
L’industrie 4.0, qu’est-ce donc ? Elle désigne l’intégration des technologies de l’informatique et de la communication dans les processus physiques (les « machines », les « usines »). Automatisation et robotisation, capteurs intégrés et réseaux connectés mais aussi économie de la fonctionnalité (quand Michelin propose, par exemple, une location de pneus sur la base d’un prix au kilomètre) et déploiement de services associés sont au cœur de cette révolution. Par exemple, lorsqu’Air Liquide lance son projet pilote d’usine du futur, Connect, l’entreprise vise à optimiser sa production et l’efficacité énergétique d’une vingtaine de sites français alimentant par canalisation des clients industriels en gaz divers. En adoptant cette révolution de l’industrie 4.0, les industriels entendent moderniser, optimiser et flexibiliser leur production, repenser leurs business models en promouvant une concurrence non seulement sur les coûts mais aussi sur l’innovation (montée en gamme) et parfois aussi relocaliser certaines chaînes de production au plus près de leurs clients. Esquisse d’un nouveau modèle industriel permettant de répondre aux nouvelles exigences des consommateurs en termes de qualité, de personnalisation des produits, d’impact environnemental et social, l’industrie 4.0 est aussi une occasion de renouveler la réflexion sur la place de l’industrie dans nos sociétés, élément indispensable pour soutenir la compétitivité de nos États.
Quels défis en termes de politiques publiques et de régulation une telle révolution pose-t-elle ? Quelle est la bonne approche pour faciliter l’innovation, mettre en œuvre des technologies qui bénéficient à la société, et en gérer les risques associés ? Les enjeux sont multiples. Un premier ensemble touche à la structuration de filières compétitives à l’échelon mondial et à la définition commune de marchés porteurs européens. Pour cela, non seulement de lourds investissements sont nécessaires, mais il est indispensable, de surcroît, d’accepter le changement et de créer des partenariats avec d’autres types d’entreprises et de coopérer avec des concurrents, notamment pour l’établissement de standards. Un embryon de coopération franco-allemande existe en matière de standardisation, il faut la muscler. Parallèlement, la constitution de filières implique également une meilleure promotion des technologies auprès de l’ensemble du tissu industriel, et spécifiquement des PME. La puissance publique a un rôle à jouer dans la baisse des barrières à l’entrée dans les marchés de l’industrie 4.0 pour les PME, et elle doit également veiller aux phénomènes de polarisation industrielle. Les efforts doivent être également poursuivis dans la facilitation des liens entre start-up et grands groupes.
Point central de la formation
Un second point de blocage concerne la formation professionnelle et plus globalement le capital humain. Il existe au sein de l’Union des écarts manifestes en termes de développement des compétences clés : les entreprises françaises étaient 17 % à avoir employé un spécialiste en Technologies de l’information et de la communication (TIC) et 20 % à avoir organisé des formations dans ce domaine, en 2014, soit 7 et 14 points de moins qu’en Allemagne. En Allemagne, les technologies de l’industrie 4.0 sont intégrées dans les cursus de formation depuis deux ou trois ans, ce qui n’est que très modestement le cas dans l’hexagone. Ce point de la formation est pourtant central, tant les inquiétudes face à la robotisation des emplois sont importantes. Il y a une tendance encore trop forte de nos politiques publiques à se concentrer sur les aspects techniques et à minimiser les changements requis en termes de compétences, mais aussi d’organisation du travail. L’éducation et la formation, les politiques migratoires et de mobilité intra-européenne sont dès lors à appréhender aussi à l’aune de ce défi. Établir un cadre commun de règles juridiques (propriété intellectuelle et protection des données notamment) au niveau communautaire est tout aussi indispensable à l’émergence d’un leadership européen en matière d’industrie 4.0.
Si de nombreuses pièces du puzzle sont aujourd’hui identifiées et de nombreux champs explorés par les institutions, les progrès de l’Union européenne dans l’adaptation à cette nouvelle vague d’industrialisation manquent encore du niveau d’ambition politique suffisant et d’une approche globale et commune véritablement intégrée pour être à la hauteur de l’enjeu. Qu’attendons-nous ?
1) Khalil Rouhana, « Numériser l’industrie européenne : tirer parti du marché unique numérique » dans Interface « Innover à l’ère du numérique », avril 2016, en ligne sur confrontations.org.