Pascal SAINT-AMANS
Directeur du Centre de politique et d’administration fiscales (CTP) à l’OCDE
Ces dix dernières années, l’évolution de la politique fiscale internationale s’est accélérée, apportant des changements radicaux en matière de transparence et de lutte contre l’optimisation fiscale agressive, aujourd’hui connue sous l’acronyme « BEPS », de l’anglais Base Erosion and Profit Shifting.
Cela fait maintenant dix ans qu’a éclaté le scandale du Liechtenstein de février 2008, au cours duquel les noms des bénéficiaires de comptes bancaires ouverts et cachés dans la principauté, furent identifiés et communiqués à l’administration fiscale de leurs pays, faisant la une des journaux du monde entier.
Dix ans après la faillite de la banque Lehmann Brothers et le début de la crise financière, qui a fait prendre conscience aux ministres des Finances des failles de la régulation et du manque de transparence du système.
Dix ans après que le G20, qui jusque-là ne se réunissait qu’au niveau des ministres, a pris une dimension nouvelle en organisant un sommet annuel des chefs d’État et de gouvernement, donnant par la même occasion une impulsion politique majeure à la lutte contre l’évasion fiscale.
En 2009, le Forum mondial sur la transparence et l’échange de renseignements à des fins fiscales fut chargé de veiller à la mise en place effective des standards en matière d’échange d’informations entre pays. A été alors institué un mécanisme d’examen par les pairs par lequel les pays s’observent et s’évaluent entre eux. La mise en place de l’échange d’informations à la demande, puis de l’échange automatique d’informations en 2014, ont permis une avancée sans précédent vers plus de transparence, et vers la fin du secret bancaire en matière fiscale. L’impact en termes monétaires est immense : avant même que les premiers échanges automatiques ne débutent en 2017 et en 2018, les gouvernements ont pu identifier quelque 95 milliards d’euros de recettes fiscales additionnelles par des mécanismes de déclaration volontaire et grâce à des enquêtes menées à l’étranger.
Les États ont fait progresser la transparence, mais il fallait également traiter la question des fameuses pratiques de BEPS par lesquelles les entreprises multinationales exploitaient les failles des systèmes juridiques nationaux afin de réduire drastiquement leur charge d’impôt. Les enjeux sont importants : l’OCDE a estimé que le coût de ces pratiques représentait – au bas mot – entre 100 et 240 milliards de dollars de pertes fiscales par an. En 2012, le G20 a donné mandat à l’OCDE d’établir un plan d’action permettant de lutter contre l’érosion de la base taxable et le transfert de bénéfices (BEPS). Aujourd’hui en phase de mise en œuvre, les mesures BEPS qui ont fait l’objet de rapports publiés fin 2015, ont déjà eu un impact : environ 240 régimes fiscaux préférentiels ont été analysés et sont en train d’être modifiés ou tout simplement abolis. Environ 80 pays ont mis en place une obligation pour les entreprises multinationales de fournir aux administrations fiscales une déclaration pays par pays recensant des informations sur leurs employés, leur chiffre d’affaires, leurs actifs et les impôts payés, afin de mieux comprendre leurs opérations et de mieux évaluer les risques fiscaux.
Malgré ces avancées, il reste des questions importantes à régler, notamment celle de la fiscalité du numérique, ou plutôt, des défis posés par la numérisation de l’économie. L’idée est qu’en se penchant sur les innovations liées aux business models du numérique, l’on puisse anticiper l’adaptation de la régulation. C’est dans ce contexte que l’OCDE a présenté en mars 2018 un rapport intérimaire sur les enjeux liés à la numérisation de l’économie.
Les pays s’accordent aujourd’hui sur le fait qu’une réforme des règles d’allocations des bénéfices et de répartition du droit d’imposer est nécessaire. Face aux pressions politiques, certains États envisagent de mettre en place des solutions unilatérales, immédiates. Mais la plupart continuent à travailler ensemble, au sein du Cadre inclusif sur le BEPS, et ont convenu que les mesures prises seraient temporaires dans l’attente d’une réponse internationale.
En janvier 2019, les 129 membres du Cadre Inclusif ont adopté une note politique, afin de poursuivre les discussions autour de propositions réparties en deux piliers. Le premier pilier contient trois propositions visant à modifier les règles répartissant le droit d’imposer ainsi que les règles d’allocation des profits. Le deuxième pilier a pour but de mettre en place des règles permettant d’imposer des revenus qui sont transférés vers un autre pays où ils sont peu ou pas imposés. L’OCDE a organisé une consultation publique les 13 et 14 mars derniers, à laquelle 400 représentants des entreprises, avocats, des ONG et du monde académique ont participé.
Nous avons bon espoir qu’un programme de travail soit approuvé et présenté aux ministres des Finances du G20 en juin 2019, ouvrant la voie à une solution de long terme en 2020.
❱ Réduire les concurrences fiscales entre États membres, notamment en définissant une assiette commune consolidée d’impôt sur les sociétés (ACCIS) en Europe, et rationaliser la TVA transfrontières.
❱ Redéfinir la fiscalité des entreprises au regard de leur empreinte numérique pour qu’elles paient leur juste part d’impôt dans les États et territoires où elles réalisent leurs profits, à la fois au niveau européen et au niveau mondial.
❱ Renforcer la surveillance des paradis fiscaux et juridictions non coopératives en matière fiscale en actualisant régulièrement la liste noire de l’Union européenne, pour l’asseoir comme leader mondial de bonne gouvernance fiscale en lien avec l’OCDE et le G20.