Dominique RIQUET
Ancien maire de Valenciennes, député européen (groupe ADLE), président-fondateur de l’intergroupe « Investissement de long terme et réindustrialisation ».
En Europe, malgré l’abondance de liquidités sur les marchés, la faiblesse de l’investissement est criante. Comment rendre le financement de l’économie réelle plus attractif ? La balle est dans le camp de l’Union européenne mais aussi et surtout des États membres.
L’investissement bénéficie d’une connotation positive dans l’imaginaire collectif. Qu’il soit public ou privé, il est à juste titre perçu comme la cause d’une évolution économique vertueuse : plus d’investissement dans l’économie réelle générerait plus de croissance, et ainsi des créations d’emploi. Les acteurs économiques et décideurs politiques s’accordent à dire que la reprise de l’investissement, dont le déficit est estimé environ à 300 milliards d’euros par an(1) pallierait nombre de maux économiques actuels.
Comment dès lors soutenir cet investissement si vertueux ? Par le biais d’investissement public ou privé ? À titre liminaire, dans un environnement mondial numérisé de plus en plus complexe, il est parfois bon de rappeler des choses simples : investir, c’est utiliser des capitaux dans un but de profit. L’investissement se veut rentable, une rentabilité qui peut s’apprécier sous le prisme financier, socio-économique et environnemental.
L’Union européenne doit investir, mais avec quels capitaux ? En cette période de restriction budgétaire – conséquence d’une crise des dettes souveraines – dans la plupart des États membres et tant que l’UE restera un « nain » budgétaire (à peine 1 % du PIB européen) dépendant des contributions nationales (plus des trois quarts de son budget), l’objectif de l’Europe doit être d’attirer les liquidités privées abondantes sur les marchés (19 000 milliards en Europe)(2). Il serait préférable, en effet, de voir l’excès d’épargne des ménages placé dans l’investissement productif plutôt que dans les actifs à bulle ou l’immobilier. La pierre représente ainsi 70 % des patrimoines de la zone euro(3). Les investisseurs institutionnels qui gèrent ces capitaux privés sont confrontés à un casse-tête chinois : conjuguer des taux ultra-bas, voire négatifs (dettes publiques) à la nécessité de générer des rendements à long terme. Ils sont donc demandeurs d’opportunités d’investissement dans d’autres actifs.
Attirer les investisseurs institutionnels Comment attirer cette manne de liquidités privées ? En œuvrant via deux leviers : l’optimisation des capacités budgétaires européennes et la constitution d’un environnement favorable à l’investissement. Tout d’abord, le budget communautaire. Les travaux au sein de notre inter- groupe sur l’investissement de long terme et la réindustrialisation l’attestent : l’action publique se doit de couvrir certains risques (de première perte) afin de rendre le projet d’investissement acceptable aux conditions du marché et ainsi d’attirer les investisseurs institutionnels (qui placent l’épargne des Européens). À ce titre, l’UE s’est dotée de mécanismes (malheureusement trop limités – merci le Conseil !) pour optimiser ses capacités d’investissement : soit en subventionnant (comme le mécanisme pour l’inter- connexion en Europe ou le programme H2020), soit en garantissant. C’est tout le sens du Plan Juncker et de son mécanisme de garantie, le Fonds européen pour les investissements stratégiques (FEIS). Il est avéré que la plupart des projets visés ayant une réelle plus-value socioéconomique, souvent plus risqués, nécessitent le couplage de l’intervention publique directe (subvention) et indirecte (garantie) pour attirer le capital privé.
S’agissant de la mise en place d’un écosystème favorable ensuite, dans une économie de marché mondialisée mais régulée, les pouvoirs exécutif et législatif doivent comprendre qu’une norme, peu importe sa forme (décret, loi, règlement) ou son échelle (nationale ou européenne), ne génère pas de la croissance, ni ne crée des emplois marchands. Tout dépend des agents économiques et de leur niveau de confiance. La confiance, terme lui aussi galvaudé, résulte d’une alchimie entre de multiples facteurs, alchimie difficile à atteindre à l’ère des crises en série et de l’interdépendance globale. Nous, régulateurs, ne pouvons, avec une nécessaire humilité, que contribuer à instaurer ce climat de confiance. Comment ? En levant les freins à l’investissement : instabilité chronique, manque de prévisibilité, inflation normative, fragmentations du marché unique, discriminations déguisées, inégalités de traitement de différents acteurs d’un même marché… Malgré les instabilités inhérentes aux alternances politiques, nous devons fixer (et nous y tenir) un cap réglementaire et fiscal constant menant à l’investissement. Les investisseurs et porteurs de projets nous le demandent. À cet égard, il faut saluer le projet d’Union des marchés de capitaux(4) ainsi que la création des fonds européens d’investissement à long terme(5) qui s’inscrivent dans cette logique du financement de l’économie réelle autrement que par le crédit bancaire, c’est-à-dire en mobilisant les liquidités des marchés.
Retrouver des gains de productivité
La responsabilité de la constitution de cet environnement favorable à l’investissement n’in- combe pas uniquement à l’UE : elle est surtout le fruit de l’action combinée des États membres qui ont le monopole des réformes structurelles. L’opportunité unique offerte par la politique monétaire très accommodante de la Banque centrale européenne (BCE) qui permet de rendre les endettements nationaux excessifs indolores (pour le moment) devrait être saisie pour tendre vers cet objectif. Or certains États membres ont oublié qu’une politique monétaire expansionniste sans une politique économique de compétitivité, c’est le Yin sans le Yang. La morphine ne guérit pas, elle soulage. « Super Mario », le président de la BCE, le répète depuis des mois : si les États membres ne font pas les réformes structurelles qui permettraient de retrouver des gains de productivité – et donc de la croissance potentielle (les emplois de demain) – l’action de la BCE sera vaine. Les entreprises n’investissent plus car elles n’ont confiance ni dans les responsables politiques, ni dans leur capacité à entreprendre les réformes structurelles indispensables. Les problèmes de la zone euro, qui causent cette faible croissance actuelle et potentielle, sont pourtant connus : faiblesse des gains de productivité pour cause d’efforts insuffisants de modernisation du capital et d’innovation dans les entreprises, faiblesse de la qualification de la population active dans de nombreux pays, rigidité de certains marchés du travail, pression fiscale trop élevée…
Cap pour l’emploi
Or, les besoins en investissement sont immenses : environ 2 000 milliards d’euros d’ici 2020 uniquement pour l’énergie, le transport et les télécoms. Voilà des opportunités qui devraient attirer les investisseurs ! Favoriser l’investissement dans les infrastructures permettrait de moderniser l’existant et de développer les nouveaux réseaux des Technologies de l’information et des communications (TIC) en faisant de l’Europe un continent connecté d’un point de vue énergétique (Union de l’énergie) et numérique (Marché unique du numérique avec le très haut débit, la 5G).
Si l’UE souhaite conserver son tissu indus- triel et ne pas se contenter d’être une économie de services (avec tous les défis sociaux et sociétaux d’un marché du travail polarisé qu’implique la révolution des communications), elle doit investir ou faire investir dans son appareil productif(6). Les États membres seraient avisés de renforcer les moyens consacrés par la Banque de l’UE (BEI) et le Fonds européen d’investissement (FEI) à cette tâche. Les efforts doivent en outre porter sur le développement de « l’industrie du futur » : investir dans la R&D en robotique industrielle pour imposer des normes et des standards en matière de numérisation des systèmes de production, moderniser son appareil productif pour monter en gamme, investir davantage dans le capital humain européen (formation professionnelle et éducation de haut niveau).
Le cap pour l’investissement est un cap pour l’emploi. Même si l’instabilité naturelle de la politique rend cette tâche ardue, il faut faire du long terme un investissement plus rentable que le court terme. Réformes structurelles et constance des politiques publiques nationales et européennes nous sont demandées. Œuvrons de concert en Europe afin de mobiliser les capitaux privés au bénéfice des entreprises et des projets d’infrastructures. La finance doit être un outil au service de l’économie réelle, pas son ennemi.
- Source Commission européenne.
- Source EFAMA.
- Source Banque de France.
- Source Commission européenne.
- Règlement UE « ELTIF ».
- N’oublions pas que la demande de services est alimentée essentiellement par l’industrie : un emploi secondaire générerait un demi à deux emplois dans les autres secteurs, selon la Commission européenne