En France, compter sur l’œuvre de l’hospitalité

Jérôme VIGNON

Président de l’Observatoire national de la pauvreté et de l’exclusion sociale

Depuis le début de la crise migratoire en 2015, la France n’est pas parvenue à accueillir dignement les migrants. Pourtant, une frange de la société civile s’avère prête à recevoir ces nouveaux arrivants fuyant des pays marqués par la pauvreté et les conflits.

Depuis 2013 et plus fortement depuis 2015, année au cours de laquelle le terme de « crise des réfugiés » est apparu, l’Union européenne est aux prises avec une augmentation sans précédent par son ampleur et sa durée de l’afflux des migrants. Tout porte à croire que ce phénomène est durable. Ce défi est sans doute parmi les plus décisifs aujourd’hui pour l’UE. Comment prévenir le raidissement généralisé et le repli des États membres sur des politiques migratoires nationales, mettant en risque l’Union elle-même ?

Il n’est pas question d’aborder ici cette question dans son ensemble. Ce que l’on voudrait souligner en prenant l’exemple de la France, c’est la révélation dans l’espace public, sur fond d’inquiétude ou d’hostilité, d’une disponibilité à l’hospitalité largement répandue sur le territoire.

Cette disponibilité s’est observée notamment depuis 2015 au travers du succès des 310 « Centres d’accueil et d’orientation » (CAO) : répartis dès le début 2017 dans 84 départements, ils permettent d’héberger temporairement des migrants. De taille réduite, installés en ville moyenne ou en milieu rural, ces centres sont souvent parvenus à susciter un courant d’empathie mutuelle avec les habitants. Lorsque la fermeture de certains d’entre eux a été annoncée, les préfets ont enregistré les regrets des élus et de la population. L’expérience positive des CAO conçus dans l’urgence du drame de Calais conduit aujourd’hui à systématiser l’établissement de centres pérennes dits « d’accueil et d’évaluation des situations »(1). Situés dans chaque région ils devraient permettre une pré-orientation des nouveaux arrivants avant le dépôt de leur demande d’asile, et fonctionneront grâce à des bénévoles(2).

Mouvement national de solidarité

Mais au-delà de ces engagements volontaires qui s’inscrivent dans l’accueil public, de nouvelles initiatives apparaissent proposant une expérience directe de rencontre entre la population et primo-arrivants. En septembre 2016, un groupe de jeunes de Sarcelles, appuyé par leur municipalité, lance le « Grand Défi » à l’origine d’un mouvement national de solidarité tourné d’abord vers les migrants en situation d’extrême précarité aux alentours des gares du nord et de l’est à Paris(3). Autre initiative remarquée, celle de l’association SINGA qui propose au travers du programme CALM (Comme à la maison) de mettre en relation des migrants en situation régulière et des citoyens prêts à signer avec eux un contrat d’hébergement pouvant durer plus d’un an, assorti de règles de convivialité. Plus ancienne – elle date de 2009, l’initiative « Welcome », rattachée au réseau mondial des Jésuites JRS, propose un accueil à la carte, d’une durée limitée (4 à 6 semaines), adapté tant aux besoins des migrants qu’aux pos­sibilités des familles, dans près de 40 villes en France.

L’éthique d’hospitalité qui anime ces réseaux est beaucoup plus ancrée dans l’imaginaire de nos compatriotes que les commentateurs autorisés de la presse, des médias et des réseaux sociaux ne semblent le penser. Selon un sondage mené par l’IFOP en octobre 2016(4), exclusivement consacré aux attitudes des Français face à l’immigration un quart des Français déclarait avoir déjà, au cours des douze derniers mois, mené une action pour venir en aide aux réfugiés (sous forme de dons d’argent, de nourriture ou de vêtements) et 30 % souhaitaient mener plus d’actions plus à l’avenir. Pourtant, selon le même sondage, les Français étaient dans leur grande majorité défavorables à la poursuite de l’immigration : 17 % se déclaraient franchement hostiles et 57 % exprimaient leur inquiétude.

Crédits photo : Jérôme Tubiana

Comment comprendre cette ambivalence entre la peur et l’aspiration à la capacité d’accueillir ? L’hospitalité (vertu individuelle) et l’accueil (valeur politique) relèvent certes de la générosité. Ils engendrent aussi une expérience puis une culture de la rencontre authentique dont le besoin est en vérité fortement ressenti. La rencontre est de nature à transformer celui qui accueille autant que celui qui est accueilli. Elle ouvre des horizons nouveaux lorsque tout semble dans l’impasse. Marcella Villa-Lobos, coordonnatrice de Welcome en France, évoque ainsi cette « œuvre » relationnelle accomplie par la rencontre : « C’est parce que nous passons du temps ensemble que nous pouvons dépasser nos préjugés. C’est parce que nous partageons des moments ensemble que nous construisons une mémoire collective et que nous découvrons une commune humanité. »

Pour faire face au défi à long terme des sociétés européennes dans les courants migratoires mondiaux, nous avons besoin en premier lieu de politiques qui prévoient, régulent, organisent. Mais elles seront d’autant plus efficaces qu’elles s’inscriront dans l’œuvre de l’hospitalité.

1) CAES. Cf. Note d’information du ministère de l’Intérieur du 4/12/2017.

2) Au Centre Paris Nord installé Boulevard Ney, plusieurs centaines de bénévoles mobilisés par la Mairie du 19e s’activent aux côtés d’Emmaüs Solidarité.

3) Exemples cités par Jean-François Corty, directeur des opérations internationales de Médecins du monde dans La France qui accueille, ouvrage coécrit avec Dominique Chivot, éditions de l’Atelier, 2018.

4) Sondage réalisé pour le think tank Moreincommon : www.ifop.fr/media/poll/ 3814-1-study_file.pdf

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