Édito : Se confronter, pour l’Europe, aujourd’hui et demain

Michel Derdevet, Président de Confrontations Europe

« Confrontations Europe » a trente ans, anniversaire important pour une association qui a su traverser avec conviction et détermination ces trois dernières décennies. Moment opportun, aussi, pour revenir sur cette « innovation politique », comme la qualifie plus loin son fondateur, Philippe Herzog, qui revêt encore aujourd’hui un intérêt évident, dans une Europe où le débat politique doit plus que jamais être mis en société et voir proposées des voies possibles à sa reconfiguration.

Digne héritière des cercles et des sociétés savantes du XVIIIe et du XIXe siècle, qui réunissaient des Européens éclairés qui forgèrent l’idéal des Lumières et la société nouvelle, « Confrontations Europe » s’est incontestablement affirmé depuis 1992 comme un vrai lieu de débats et d’échanges, où l’on se « confronte » sur le fond des idées et des propositions.

En cela, notre association n’est pas qu’un cercle ou un club européen comme les autres ; c’est un vrai laboratoire d’idées, un « réservoir à penser » – pour reprendre la juste formule de Jacques Amalric – qui fonctionne autour de groupes de travail, et qui s’est toujours voulu force de propositions, bénéficiant de la diversité de ses contributeurs. La richesse de ce numéro spécial consacré à nos trente ans, tant par la diversité des thèmes abordés que par la qualité de ses signataires, en atteste. Comme Philippe Herzog, Claude Fischer et Marcel Grignard, mes prédécesseurs, le rappellent infra, la vocation première de Confrontations fut de fournir de façon ouverte et indépendante des analyses et des solutions innovantes en matière de politiques publiques, au service de l’intérêt général.

Cette « feuille de route » reste d’une ardente actualité. Plus que jamais, notre pays et les grandes démocraties européennes au-delà, doivent encourager l’existence d’organes de pensée indépendants et pragmatiques, éloignés tout autant des idéologies que des intérêts particuliers, mais favorisant une pensée européenne en réseaux, plurielle et multiforme, loin de l’unanimisme et de la verticalité politique.

C’est un formidable défi démocratique, à l’heure des réseaux sociaux et des « manipulations » caricaturales en 280 caractères maximum, que de continuer en 2022 à jouer ce rôle, en faisant le lien entre les citoyens, les savoirs et les pouvoirs. Quel plus beau projet en effet que de matérialiser une idée en force agissante, de produire un savoir« opérationnalisable », et de se concevoir comme un acteur utile à la compréhension du monde !

Comme Bertrand de Jouvenel l’observait déjà il y a plus de cinquante ans, il est aujourd’hui devenu vain, face à l’accélération des transformations du monde, de tenter de construire l’avenir en extrapolant les solutions passées. Et il est plus que jamais nécessaire pour les femmes et les hommes politiques européens d’encourager ce que Gaston Berger qualifiait de « puits d’idées »,ces laboratoires de pensées uniquement dévoués à l’élaboration d’un horizon commun déterminé par l’intérêt général.

Dans cette perspective, en France, à l’instar d’autres grandes démocraties européennes, ils doivent plus que jamais changer d’échelle. Notre pays doit les encourager et favoriser la richesse des opinions qui s’y expriment, car elles participent de son rayonnement culturel, économique et politique. Malheureusement, comme l’Ambassadeur Yves Saint-Geours l’observait déjà avec justesse en 20161, les think tanks français sont encore pour la plupart des « structures fragiles »,qu’il convient d’aider et d’encourager.

À l’image d’autres États membres, tels l’Allemagne, nous devons donc réfléchir collectivement, à l’aune du nouveau quinquennat qui s’ouvre, aux modalités d’un soutien public accru, transparent et contrôlé, qui irait de pair avec le renforcement du concours des entreprises françaises, publiques comme privées.

L’influence de la France ne peut pas se passer de celle de ses think tanks. Et si la réflexion stratégique sur ce sujet n’était pas rapidement engagée, nous risquerions collectivement de perdre la bataille de l’intelligence et des idées, et pire, de placer nos acteurs en la matière sous la dépendance financière d’opérateurs extra-européens.

Le deuxième défi, majeur, qu’une association comme « Confrontations Europe » a devant elle est le défi générationnel. Face aux replis souverainistes et aux nationalismes qui montent partout sur notre continent, la parole doit plus que jamais être donnée aux générations qui vivront l’Europe face aux urgences conjuguées de demain (climatiques, économiques, sociales… ». C’est une priorité que je me suis fixée, dès 2020, en tant que Président de « Confrontations Europe », qui s’est traduite par le rajeunissement des équipes, et qui demain devra toujours nous inspirer. Organiser le relais entre la génération – dont je fais partie – de celles et ceux qui pensèrent l’« Europe autrement »dans les années 90 et les jeunes qui mettront en œuvre l’Europe décarbonée des années 2050 est pour moi un défi majeur, engageant et stimulant pour ces prochaines années.

Le troisième et dernier défi pour «Confrontations Europe», afin d’aborder les trente prochaines années avec le même enthousiasme et la même ardeur qui nous ont guidés depuis 1992, c’est de continuer à construire une Europe nouvelle, en pariant sur la motivation des peuples pour bâtir des solidarités concrètes, généreuses et fraternelles. Philippe Herzog rappelle plus loin, fort justement, notre attachement à la méthode Monnet ; elle doit continuer à nous inspirer, par-delà les oppositions entre États et le « narcissisme des petites différences » (Freud). N’oublions pas en ce sens qu’aujourd’hui, les peuples d’Europe appellent massivement de leurs vœux plus de solidarités et d’échanges, et que face aux puissances illibérales et à la guerre qui est réapparue sur notre continent, la seule voie envisageable n’est pas le repli sur soi ou l’individualisme exacerbé, mais bien l’action collective autour des valeurs culturelles et civilisationnelles qui sont les fondements du projet européen.

Ainsi, à l’horizon 2052, on voit bien que« se confronter » restera un formidable projet, politique et démocratique, afin d’éviter notamment que la conflictualité – interne à nos pays, mais aussi externe – ne devienne violence, en lieu et place d’être, comme elle fut rêvée en 1992,« ouverte, viable et créatrice ». Je suis sûr qu’autour de ce projet, nous serons toutes et tous, nombreuses et nombreux, à nous engager et à agir pour cet horizon commun !

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