Construire l’Europe autrement : partir de la parole des jeunes

Marcel Grignard, Président de Confrontations Europe de 2014 à 2020

Avoir de l’ambition pour l’Europe oblige à une approche globale assurant sens, cohérence et perspectives, donnant de l’épaisseur à une Europe politique. On a souvent reproché à raison à la Commission européenne de traiter les sujets en silo, conduisant à une approche trop technocratique et déséquilibrée entre les enjeux économiques, sociaux, environnementaux… Des enjeux dont la place respective dans les politiques communautaires évolue en fonction du contexte, des rapports de force, des attentes des citoyens. Ainsi va de l’environnement, pendant longtemps ignoré au profit d’une approche productiviste de l’économie et qui, aujourd’hui, à travers l’objectif de neutralité carbone, du « Green Deal », de fiscalité environnementale, de taxe carbone aux frontières, s’affirme dans des pans importants des politiques européennes.

Toutefois, le social reste largement une prérogative des gouvernements nationaux, ce qui n’empêche pas les références fréquentes à l’Europe sociale, considérée comme composante essentielle du marché unique. La manière dont « Confrontations Europe » l’aborde est évidemment à mettre au regard du contexte. Au cours des dernières années, la capacité du dialogue social à être un levier des transitions numériques et environnementales, le cadre du « détachement des travailleurs », les politiques d’intégration des migrants dans les marchés du travail nationaux ont donné lieu à des travaux permettant d’articuler questions sociales et économiques.

Ce que nous avons fait à propos de la mise en œuvre de la « garantie jeunes » et du développement d’Erasmus+ (« Hear my voice » à partir de 2015) nous a permis de bâtir un pont entre exigences des politiques sociales et démocratie, entendue comme la participation des citoyens aux solutions les concernant. Il n’allait pas de soi d’aller à Sarcelles et à Bondy (puis dans les Hauts-de-France) rencontrer des jeunes parmi les moins bien servis pour aff ronter leur avenir et ignorant tout des politiques européennes qui leur étaient destinées. Ce fut possible grâce à l’appui des collectivités concernées et à l’aide des associations d’insertions locales. Pas davantage évident pour des représentants politiques, d’entreprises, de syndicats… de venir écouter ce que les jeunes avaient à dire sur ce qu’ils attendaient d’eux au regard de leurs envies et difficultés d’avenir professionnel. Et c’est sans doute la fierté de ces jeunes auditionnés à l’Assemblée nationale, tirant de leur expérience de la garantie jeunes ce qu’ils voyaient comme piste d’amélioration, qui traduit le mieux l’intérêt et l’utilité de cette démarche de « Confrontations Europe ».

C’est sur la base de ces premières expérimentations que nous avons réalisé « Solidarity Tours », en lui donnant une dimension plus large et plus européenne et en rassemblant dans la durée des jeunes en apprentissage issus de plusieurs pays de l’UE. Ils ont pu échanger sur les conditions respectives dans lesquelles se déroulait leur apprentissage et ce qu’ils attendaient en termes d’amélioration. Ils ont pu découvrir la diversité des pratiques, des cultures, mais aussi la grande similitude de leurs attentes. Ils ont fait le constat des histoires différentes de leurs territoires et de leurs trajectoires familiales. Certains, ne pouvant échanger dans leurs langues usuelles le faisaient dans celles de leurs parents venus d’un même territoire extra-européen.

Nos constats ont vérifié ce que nous disent les études et enquêtes : au-delà de traits culturels et de pratiques diverses, les Européens partagent des préoccupations et aspirations communes. Cette communauté de destin renforcée par les crises (sanitaires, climatiques, sécurité face au terrorisme et à la guerre…) contraste avec la difficulté du politique à bâtir des solutions collectives. C’est bien là une caractéristique de la crise du politique se traduisant par une distance croissante entre les institutions et les citoyens.

Les défis à relever obligent à construire des compromis inédits balisant nos modes de développement dans un avenir incertain. En dépit des discours rassurant sur une « économie verte » synonyme de progrès et de plein-emploi, personne ne peut prédire ce que sera l’Europe demain, pas davantage l’Europe sociale. Nous voyons cependant émerger les grandes tendances sociétales, technologiques, environnementales percutant les entreprises et les écosystèmes.

Et il est probable que le rôle futur des entreprises et des territoires, là où s’inventent les solutions et les moyens de les mettre en œuvre sera déterminant, alors que les décisions unilatérales venues d’en haut sont de moins en moins pertinentes, de moins en moins acceptées. L’idée portée par « Confrontations Europe » de penser « l’entreprise en Europe », sa capacité à assumer sa responsabilité sociale et sociétale, le développement en son sein d’une véritable démocratie sociale, et sa relation avec la puissance publique dans un nouveau partage d’un destin national et européen préservant les biens communs, pourrait être un fil rouge.

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