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L’initiative est exceptionnelle. Une vingtaine de politologues, économistes et juristes, membres des groupes Eiffel (français) et Gliniecker (allemand) tirent ensemble la sonnette d’alarme face à la tragédie grecque et proposent des pistes concrètes pour sortir le pays de l’ornière. Une démarche qui montre que le moteur franco-allemand a encore du souffle !
Il faut arrêter la tragédie. Le découragement croissant de l’Europe vis-à-vis du nouveau gouvernement grec pousse désormais certains à plaider pour un « Grexit » – une sortie de la Grèce de la zone euro. Nous pensons que ce serait une erreur : un échec politique collectif et une catastrophe économique et sociale pour le peuple grec.
Cependant, ce serait aussi une erreur collective que de garder la Grèce dans la zone euro sans engagement sérieux et crédible de la part du gouvernement grec pour réformer en profondeur son économie et ses institutions. Cela éroderait la crédibilité des institutions européennes et déstabiliserait leur fondement même qui est le respect du droit et des engagements réciproques. La souveraineté de chaque État membre doit certes être respectée. Mais dans une Europe intégrée, il faut accepter que la souveraineté soit de plus en plus partagée.
Le gouvernement grec a reçu pour mandat de redémarrer l’économie sur de nouvelles bases. Il a l’avantage de ne rien devoir à l’ancienne élite qui a ruiné le pays. Mais ses promesses électorales étaient contradictoires et irréalistes. Le référendum envisagé serait une opportunité pour le gouvernement de récupérer un mandat clair de transformation économique et institutionnelle, seule compatible avec un maintien de la Grèce dans la zone euro. Cependant, un référendum n’exonérera pas l’Europe de ses responsabilités. Il faut reconnaître qu’à travers les deux programmes consécutifs de soutien, les Européens et le FMI ont aidé la Grèce à rembourser des créanciers privés – dont beaucoup d’Allemands et de Français – aux frais du contribuable européen. L’optimisme affiché à l’époque sur la capacité de la Grèce à se reformer et à rétablir ses finances publiques fut une erreur. Cependant nous devons aujourd’hui honorer notre responsabilité historique d’union pour la paix. Nous devons aussi accepter qu’un pays européen en crise profonde mérite notre solidarité et notre soutien.
Échouer à résoudre la crise grecque serait coûteux pour les Européens. Certes, le risque de contagion à d’autres pays a été réduit par la mise en place de divers pare-feux financiers. Toutefois, il ne faut pas sous- estimer le risque d’un changement de paradigme sur les marchés, l’appartenance à la zone euro n’étant désormais plus considérée comme un engagement irrévocable.
L’exposition combinée de la France et de l’Allemagne au risque grec est de l’ordre de 160 milliards d’euros, soit 4 350 euros pour une famille de quatre – un montant qui serait largement perdu en cas de
« Grexit » et doit être mis en regard du coût et des risques liés à un troisième plan d’aide à la Grèce. Surtout, la zone euro aurait à supporter le coût géopolitique lié à une instabilité accrue à ses frontières, sans parler de son affaiblissement sur la scène internationale.
Résoudre la crise grecque est un test de la capacité et de la volonté de l’Europe à coopérer : un test pour les nouvelles institutions et un révélateur du chemin qui reste à parcourir pour consolider la zone euro. Les leçons de la crise devront tôt ou tard trouver une traduction dans les traités.
Dans l’immédiat, il nous faut un engagement crédible de la Grèce pour réformer, en échange d’une solidarité de la part des Européens sous la forme de dons ciblés sur les urgences sociales et éventuellement d’un troisième programme de soutien. Les réformes devraient porter en priorité sur l’administration fiscale, un programme de privatisation beaucoup plus ambitieux, une réforme des retraites pour rétablir la soutenabilité du système à long terme, un excédent budgétaire raisonnable hors intérêts de la dette et une concurrence accrue sur les marchés de biens et services.
Pour ramener les investisseurs en Grèce et reconstruire l’économie, il est urgent de rétablir la confiance. Ceci suppose que le gouvernement grec envoie un signal clair sur sa volonté de coopérer avec ses créanciers et d’accélérer les réformes. Mais aussi que les partenaires européens s’engagent à soutenir ses efforts à travers leur aide financière et technique, et à faire tout leur possible pour garder la Grèce dans la zone euro. Enfin, les Européens devraient encourager la mise en place de zones économiques pilotes où les entreprises seraient soumises à moins de bureaucratie et à des règles plus claires : une manière de concentrer les efforts à court terme et d’expérimenter de nouvelles institutions avant de les généraliser.
Résoudre la crise grecque est un test particulièrement rude pour l’intégration européenne. L’idée d’un referendum en Grèce sur les réformes et l’appartenance à la zone euro doit être considérée comme une solution de dernier recours si c’est la seule manière pour le pays de se choisir rapidement un destin. L’Europe doit à la Grèce sa solidarité et une perspective de développement au sein de la zone euro. Mais elle doit aussi se préparer à toute éventualité, même celle d’un « Grexit » qui de notre point de vue serait un échec coûteux pour la Grèce et pour l’Europe.
Les signataires de cette tribune sont tous membres du groupe Eiffel-Europe ou du groupe Glienicke :
Agnès Bénassy-Quéré, Yves Bertoncini, Jean-Louis Bianco, Armin von Bogdand, Christian Callies, Henrik Enderlein, Marcel Fratzscher, Clemens Fuest, Sylvie Goulard, Andre Loesekrug-Pietri, Franz Mayer, Rostane Mehdi, Denis Simonneau, Maximilian Steinbeis, Daniela Schwarzer, Constanze Stelzenmüller, Carole Ulmer, Shahin Vallée, Jakob von Weizsäcker, Guntram Wolff.
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