Christophe DESTAIS
Directeur adjoint du CEPII (Centre d’études prospectives et d’informations internationales)
Au mois de mai, la Grèce et ses créanciers européens sont parvenus à un accord alors que la Grèce est appelée à débourser plus de 2 milliards d’euros en ce début d’été. Même si des annulations « furtives » ont bien lieu, la dette grecque reste colossale. Est-elle viable pour ce pays de l’UE fortement traumatisé par l’austérité budgétaire qui lui est imposée ?
Sans psychodrame. La Grèce et ses créanciers ont réussi, en mai, à trouver un accord technique sur le déboursement d’une deuxième tranche de crédits du Mécanisme Européen de Stabilité (MES), le fonds dont les pays membres de la zone euro détiennent le capital et qui est, désormais, le canal unique de la participation de ces derniers au financement des pays de l’union monétaire en crise. Ce résultat, atteint sans crise majeure, contraste avec le psychodrame de l’été 2015 qui avait vu le gouvernement grec organiser un référendum de refus des exigences des créanciers, pour finalement se soumettre à ces dernières.
Les ministres des Finances de la zone euro, réunis au sein de l’Eurogroupe, s’en sont félicités dans un long communiqué, le 25 mai 2016, tout en rappelant que la Grèce devait poursuivre une politique budgétaire très restrictive afin de dégager un excédent (hors intérêts payés sur la dette) de 3,5 % du PIB et les réformes qui sont exigées d’elle.
Le communiqué de l’Eurogroupe énumère également, de manière, il est vrai, assez alambiquée, une longue liste de mesures qui pourraient être prises dans le futur pour alléger la dette publique grecque. Si toute réduction du montant nominal est exclue, un très grand nombre d’autres solutions sont envisagées : l’allongement des maturités des prêts existants, le remboursement anticipé de certaines lignes de crédit au moyen de nouveaux financements à des conditions plus favorables, la suppression d’un mécanisme d’augmentation automatique des taux d’intérêt… La solution qui consisterait à conditionner une partie des remboursements de la Grèce à sa croissance future n’est pas évoquée.
Cette expression publique des ministres des Finances de la zone euro a surpris dans la mesure où toute idée de réduction de la dette grecque semblait exclue par les autorités allemandes, au moins jusqu’aux élections au Bundestag qui se tiendront en octobre 2017.
Elle consacre le fait que la gestion de la dette grecque est désormais essentiellement une question traitée entre le débiteur et ses créanciers européens. De fait, l’enjeu essentiel de l’épisode paroxystique du début de l’été 2015 était la mise en place de nouveaux financements du Mécanisme européen de stabilité pour permettre à la Grèce de rembourser les dernières sommes dues au FMI et à la BCE qui courraient sur la période 2015-2020. L’essentiel des remboursements dus aux pays européens ayant déjà été, en 2012, reportés à une échéance postérieure à 2019.
Cette expression publique constitue aussi, pour la première fois, la reconnaissance, quoiqu’en catimini, du caractère insoutenable de la dette grecque.
L’ambivalence du FMI
La question d’une nouvelle – et plus modeste – implication du FMI n’a, par ailleurs, pas été tranchée. Dans un premier temps, l’Allemagne en avait fait une condition à son acceptation de l’accord technique du mois de mai. Elle y a – de facto – renoncé et le communiqué de l’Eurogroupe se contente de se réjouir de l’intention de la direction du FMI de recommander à ses instances décisionnaires un nouveau financement. Si ce dernier est accordé, il sera certainement beaucoup plus modeste que le précédent qui s’était élevé à plus de 35 milliards d’euros, de très loin le montant le plus élevé jamais accordé à un seul pays par le Fonds.
Le FMI fait au demeurant preuve d’une certaine schizophrénie. D’un côté, il a publiquement exprimé son regret de ne pas avoir conditionné ses premières lignes de crédit, à partir de 2010, à une acceptation par les créanciers de la Grèce (alors presque exclusivement privés) d’une annulation d’une partie de la dette. Il se rallie, ce faisant, à l’idée que les politiques économiques très restrictives imposées à des débiteurs en récession ont pour inéluctable effet de détériorer leur situation économique et, in fine, leur capacité à rembourser leur dette. Mais, d’un autre côté, si l’on en croit ce qu’en a rapporté la presse, les représentants du Fonds dans les négociations ont été les plus exigeants sur la réduction des dépenses publiques grecques…
Annulations de dette limitées
Au final, il y a bien un allégement de la dette grecque mais celui-ci est très limité et, surtout, furtif.
En 2012, après que de précieux mois ont été perdus, l’idée que des abandons de créances étaient incontournables s’était imposée. Cependant, les annulations de dette qui ont été exigées des créanciers privés sont intervenues alors que ces derniers s’étaient déjà délestés d’une part significative de leurs créances. Ils ont donc été trop tardifs pour rendre la dette soutenable. La fiction selon laquelle toutes les créances officielles seraient intégralement remboursées a ensuite continué à être entretenue.
Dans la pratique des annulations de créances officielles ont bel et bien eu lieu mais leur ampleur et leur portée sont limitées par trois facteurs. Tout d’abord, la BCE et le FMI arguent d’un statut de créanciers privilégiés pour s’y soustraire, ce qui conduit à les cantonner à la seule dette détenue par les pays européens, soit directement, soit au travers du MES ou de son prédécesseur, le Fonds Européen de Stabilité Financière (FESF). Deuxième facteur, il n’est question que d’alléger les conditions des prêts (périodes de grâce, maturité, taux d’intérêt) et non le montant lui-même. Enfin, et peut-être surtout, ces annulations de créances ne sont ni reconnues, ni comptabilisées. Cette situation n’est rendue possible que parce que les pays d’Europe continentale et le MES n’appliquent pas les règles comptables standards.
Si les créanciers officiels de la Grèce y étaient soumis, ils devraient reconnaître publiquement et assumer un manque à gagner qui se justifie par la nécessité de sortir le pays de sa dépression économique et d’éviter un défaut de plus grande ampleur.
Pour douloureux qu’ils aient été, ces allégements n’ont donc pas entraîné une réévaluation d’ensemble de la stratégie financière à l’égard de la Grèce qui permettrait d’ajuster la charge de sa dette à un niveau réaliste et raisonnable. La nouvelle péripétie d’avril-mai 2016 poursuit dans cette voie même si elle marque une inflexion avec la reconnaissance quasi officielle mais pas encore solennelle du caractère inéluctable des annulations.
Tout se passe comme si cette reconnaissance était très progressive. Il s’agit sans doute d’en réduire l’impact politique, notamment pour les autorités allemandes. Mais cette stratégie a un coût financier et économique élevé puisqu’elle empêche que l’horizon se dégage pour la Grèce et les investisseurs. Une telle attitude est préjudiciable à la croissance et donc à la capacité de remboursement future de la Grèce.
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