Anne Macey
Déléguée générale
de Confrontations Europe
Le chômage touche l’ensemble des pays de l’Union européenne : dans la moitié des États membres, le chômage atteint 10 % de la population active. Cette situation devrait conduire les acteurs sociaux de chaque pays à définir, malgré la diversité des situations nationales, un projet social convergent.
L’emploi, une préoccupation d’intérêt commun entre Européens ? Il devrait l’être ; il ne l’est pas. Les pays sont dans des situations différentes qui ne tiennent pas qu’à leur compétitivité : la démographie, leur situation géographique expliquent aussi ces différences. Ceux qui se portent mal économiquement et socialement ne le doivent pas au fait qu’ils seraient moins vertueux que les autres. Un niveau de chômage élevé mine la cohésion sociale du pays et a des incidences pour toute l’Union européenne. Mais que de divergences entre États membres et au sein des États membres : de croissance, de compétitivité industrielle, de taux de chômage… Quelques chiffres l’illustrent plus particulièrement au sein de la zone euro : dans la moitié des pays, le chômage atteint 10 % de la population active. Il est autour de 5 % en Allemagne en 2015, contre 11 % en France, et 25 % en Grèce. Pour les jeunes, il atteint 7 % en Allemagne mais 40 % en Italie et 48 % en Grèce. De telles divergences ne sont pas tenables au sein d’une même zone monétaire, ni dans l’Union européenne, où les liens de solidarité sont alors mis à rude épreuve. Elles sont même explosives. D’où un besoin de reconvergence sociale, et surtout de reconvergence par le haut, histoire de contrer le dumping fiscal et social à l’œuvre actuellement en Europe. Le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, l’a bien perçu, lui qui vise un « Triple A social pour l’Europe »(1) et un « pilier européen de droits sociaux ».
Définir des objectifs partagés
Mais de quelle convergence s’agit-il ? Tous les Européens n’ont pas la même vision de ce que devrait être une « Europe sociale ». Aux yeux des Danois, pour ne prendre qu’un exemple, l’Europe sociale doit être de taille réduite justement pour ne pas amoindrir les garanties issues de la négociation entre partenaires sociaux qu’ils jugent, à juste titre, plus protectrices, comme le rappelle Pascal Lamy. Les Allemands craignent que sous couvert de « solidarité », ce soient eux qui payent la facture pour des pays qui n’auraient pas su se réformer et réaliser les efforts qu’eux ont consentis depuis plus d’une décennie.
De fait, les problèmes économiques et de chômage tiennent souvent à la difficulté de nombre d’États membres de la zone euro à trouver leur place dans une économie mondiale ouverte et à se réformer. Dans cette recherche de convergence, nous devons donc à tout prix éviter l’écueil d’Européens autocentrés occultant les défis plus larges de l’intégration de l’Europe dans l’économie mondiale. Converger implique donc des réformes de structures, mais aussi et avant tout de se mettre d’accord sur des objectifs partagés pour définir ensuite des trajectoires pour y parvenir, ce qui donne sens aux réformes de structures.
Cela étant dit, s’il ne peut y avoir, en Europe, d’approche uniforme alors que les réalités nationales sont si diverses, les défis que les États membres doivent relever sont souvent similaires : créer les incitations à embaucher et à travailler, trouver le bon équilibre entre des contrats à la fois flexibles et sécurisés, combattre la dualisation entre ceux qui ont un haut niveau de protection et de salaires parce qu’ils sont sur le marché du travail et ceux qui sont précaires, ou en sont exclus, déplacer le poids de l’imposition du travail, améliorer l’éducation et l’apprentissage tout au long de la vie. Une étape supplémentaire doit donc être franchie pour une intégration plus poussée des marchés du travail nationaux.
Impliquer les acteurs les plus concernés
Des incitations à converger pourraient être créées à l’aide de standards sociaux dans l’objectif de favoriser l’émergence d’un marché du travail européen permettant les transitions professionnelles et géographiques. Pour les sécuriser, un socle de droits sociaux devrait être élaboré, avec pleine portabilité des droits à indemnisation chômage (attachée aux personnes plus qu’aux statuts) pour retrouver un emploi dans de bonnes conditions, des droits à la santé et à la retraite, mais aussi à la formation professionnelle tout au long de la vie et/ou à la qualification, pour équiper les travailleurs des compétences nécessaires pour s’adapter aux mutations.
Si rien n’est fait, les divergences s’accroissent, les replis nationaux se renforcent et le projet européen avorte. Reste que la convergence ne peut être imposée du haut, soit par des mesures unilatérales des États, soit par un renforcement du pouvoir exécutif de la Commission européenne, sous peine de susciter des réactions de rejet et surtout de ne pas prendre en compte la diversité des réalités. En tout état de cause, une législation européenne ne paraît pas la voie à suivre. La clé est l’implication des acteurs les plus directement concernés en partant des réalités au niveau national. À côté des pouvoirs publics européens et nationaux, une large place doit être laissée à la négociation collective décentralisée, à condition naturellement qu’un cadre soit défini aux échelons supérieurs et que des incitations à la négociation soient prévues. Une voie pourrait être de rechercher des coopérations, voire des rapprochements entre partenaires sociaux nationaux de différents pays, à l’instar de l’initiative des partenaires sociaux allemands et français sur l’assurance chômage européenne, alors qu’on ne les y attendait pas. Ils sont a priori plus à même de trouver des solutions sur l’emploi que les fonctionnaires étatiques ou la Commission européenne. Pourquoi alors ne pas laisser place à l’expérimentation et à l’innovation sociale, en les incitant à négocier eux-mêmes de tels standards sociaux ? Ce dernier scénario paraît le plus souhaitable, car il pourrait offrir un moyen de progresser vers des solutions concernant tous les européens, sans rester nécessairement cantonné à quelques États membres.
Dès lors, renforcer la place du dialogue et sa capacité à délivrer des résultats apparaît, à la fois, comme l’un des objectifs et l’une des conditions permettant d’atténuer les disparités entre États membres et d’assurer une réelle convergence.
1) Discours sur l’État de l’Union, 09/09/15.