Philippe Wahl, Président-directeur général du Groupe La Poste
Le 24 mars 2022, les 27 États membres de l’Union européenne sont parvenus à un accord historique qui contribuera à instaurer une certaine équité sur les marchés de l’économie numérique. En encadrant les pratiques des très grandes plateformes numériques identifiées comme des « contrôleurs d’accès » ou « gatekeepers » via un certain nombre d’obligations et d’interdictions, le « Digital Markets Act » (DMA) favorisera l’émergence d’une concurrence fondée sur les mérites entre acteurs opérant sur un même marché ou sur des marchés connexes. Toutefois, il faut aller plus loin et poursuivre nos efforts communs pour voir émerger des champions européens du numérique.
Les plateformes numériques au centre de l’économie
Ceux que l’on nomme communément les GAFAM (Google, Apple, Facebook – devenu Meta –, Amazon et Microsoft), les BATX (Baidu, Alibaba, Tencent et Xiaomi) et NATU (Netflix, Airbnb, Tesla et Uber) dominent aujourd’hui l’économie mondiale. Ces entreprises, créées il y a moins de 30 ans, sont devenues quasi incontournables pour les consommateurs et pour les entreprises, en raison des services qu’elles offrent, des infrastructures qu’elles détiennent, de l’accès aux marchés et aux données qu’elles contrôlent. Les parts de marché et la capitalisation boursière de ces sociétés reflètent bien leur position hégémonique. Si les services proposés par ces géants du numérique apportent un certain nombre de bénéfices à leurs utilisateurs, leur mainmise sur la société soulève légitimement un certain nombre de préoccupations auxquelles les pouvoirs publics à travers le monde tentent de répondre, que ce soit en Europe, aux États-Unis ou en Chine.
Dans ce contexte, qu’apporte le DMA ?
À travers les obligations et les restrictions que les fournisseurs de services de plateforme essentiels tels que les réseaux sociaux, les moteurs de recherche désignés comme « contrôleurs d’accès » devront respecter, le règlement instaurera un « level playing field » au bénéfice des consommateurs et des citoyens. Il rééquilibrera le rapport de force entre les géants du numérique d’une part, leurs utilisateurs et leurs concurrents, d’autre part. Un certain nombre de pratiques restreignant la liberté de choix des utilisateurs et/ou ayant pour effet d’ériger des barrières à l’entrée des marchés sera interdit. Les entreprises pourront se livrer une concurrence à armes égales, basée sur les mérites, sur un terrain de jeu délimité, avec des règles claires et des sanctions en cas d’infraction à ces règles.
Est-ce suffisant pour voir émerger des champions européens ?
En premier lieu, un environnement concurrentiel sain est une condition sine qua non pour que puissent émerger les futurs champions de l’économie numérique, quel que soit leur pays d’origine. À ce titre, les dispositions du DMA relatives aux acquisitions prédatrices (« killer acquisitions ») ou à l’interopérabilité des services sont essentielles. Toutefois, ce texte ne résout pas à lui seul tous les problèmes concurrentiels qui peuvent nuire à l’émergence de nouveaux champions européens sur la scène internationale. À titre d’exemple, nous pouvons mentionner les mesures protectionnistes que peuvent prendre certains États pour bloquer l’accès à leurs marchés ou les mesures de soutien (aides d’État) à leurs propres opérateurs qui faussent le jeu de la concurrence internationale. Les questions autour de la souveraineté numérique des États-nations sont également cruciales. Le DMA tout comme le « Digital Services Act », le « Data Governance Act », le « Data Act » ou le règlement sur l’intelligence artificielle ont en commun cette volonté de renforcer la souveraineté numérique européenne.
En second lieu, après avoir établi une plus grande équité sur le plan concurrentiel, il est impératif d’instaurer une plus grande justice fiscale. L’accord ratifié par 136 pays le 8 octobre dernier dans le cadre des négociations internationales sur l’imposition des multinationales menées par l’OCDE, va dans la bonne direction. Reste à le mettre en œuvre dès que possible.
Enfin, pour que cette décennie soit effectivement la « décennie numérique » que l’Europe appelle de ses vœux, une véritable politique industrielle doit être impulsée au niveau européen. Il s’agit plus largement de promouvoir l’entreprenariat, la recherche, l’innovation, de développer les compétences et de mobiliser les talents de demain grâce à des programmes éducatifs pertinents et adéquats. Les entreprises doivent pouvoir accéder à des financements adaptés à tous les stades de leur développement.
Le Groupe La Poste est pleinement engagé dans cette voie. En effet, de nombreux dispositifs et programmes de soutien à l’innovation sont mis en place dans ses différentes branches (French IoT, Platform 58, La Fabrique, etc.). Son off re de services numériques souverains de confiance ne cesse de se développer (en particulier via sa filiale Docaposte). On peut encore citer ses offres de financement de l’économie numérique (via La Banque Postale, La Poste Ventures, etc.) et ses actions de formation et sensibilisation au numérique, internes et externes.
Ainsi, le Groupe La Poste veut contribuer à la protection de l’intimité numérique du plus grand nombre et à la souveraineté numérique européenne.