Vu de Roumanie, le déficit démocratique

Daniel DAIANU

Ancien député européen roumain, ancien ministre des Finances et actuel membre du conseil de la Banque nationale roumaine

De nombreux Roumains travaillent au Royaume-Uni. Un « accord spécial » entre Londres et l’UE leur est vital.

Punir la Grande-Bretagne, comme certains le souhaitent, ne serait pas sage. Une forme de jubilation malveillante (Schadenfreude) serait tout aussi déplacée car le Brexit met en lumière un profond rejet de l’Union, nourri par le nombre grandissant de ceux qui s’estiment les perdants de la globalisation, et dénoncent son tropisme libéral. Au contraire, il est essentiel que le Royaume-Uni et l’Union européenne continuent à travailler étroitement ensemble pour limiter les risques de toutes sortes. Pour un pays comme la Roumanie, dont de nombreux citoyens travaillent au Royaume-Uni, un « accord spécial » entre Londres et l’UE est vital.
L’Europe fait face à une double menace existentielle. Sa structure économique et sociale est mise en danger par la crise de l’eurozone, qui se double des conséquences de la crise financière de 2008, des crises de l’endettement, de la démographie, de la gouvernance. Sa sécurité est minée par les troubles que connaissent les pays du voisinage, les risques géopolitiques, y compris les défis posés à la suite de l’annexion de la Crimée, et, non des moindres, le terrorisme, la cyber-sécurité et la criminalité.

Il n’y a pas de réponses faciles. Le « Rapport des cinq présidents » fixe des orientations ambitieuses sur l’intégration financière et politique de l’eurozone mais il est contradictoire. Par exemple, il fait allusion à un degré d’intégration fiscale au sein de l’eurozone mais ne l’envisage qu’après qu’un certain niveau de convergence entre les systèmes juridiques et les économies en Europe a été atteint. Et ce alors même que la fracture Nord-Sud peut se creuser dans un contexte de faible croissance.
S’agissant des migrants, l’UE doit trouver le bon équilibre entre solidarité et considérations humanitaires, et pragmatisme. L’UE devrait également davantage collaborer avec les pays de la région qui accueillent le plus grand nombre de migrants. Compte tenu du budget contraint de l’UE, une taxe temporaire « Sécurité UE » fait sens, qu’elle soit collectée au niveau national est une autre question.

Repenser le marché intérieur
L’Europe doit retenir les leçons des dernières années, les marchés financiers doivent être mieux régulés et supervisés. Ceci passe par plus d’exigences en termes de capital et de liquidité, la mise sous contrôle des activités de type casino et l’introduction d’une législation sur le modèle de l’ancien Glass-Steagall Act(1) aux États-Unis, qui séparait activités de banques d’investissement et de banques commerciales.
Il est irréaliste de penser que les économies européennes atteindront les taux de croissance moyens des décennies précédentes. Mais il est possible de rendre les économies moins fragiles. Il faut investir davantage (le plan Juncker est insuffisant), améliorer la qualité des biens publics (en particulier l’éducation), intensifier la R&D, mettre l’Union en phase avec le monde numérique et combattre le biais déflationniste de l’eurozone qui résulte des orientations budgétaires très diverses.

L’ancien vice-président de la Commission européenne Étienne Davignon le faisait observer : « Nous avons perdu les citoyens ». Peu de politiciens ont le courage de parler vrai à propos de l’environnement économique et social. Ce qui crée un climat de méfiance et empoisonne les relations des citoyens avec l’Union, que beaucoup voient comme la cause de leurs souffrances. Les dirigeants devraient au contraire souligner l’importance de l’Union, modérer les attentes des citoyens dans le contexte mondial et combattre le racisme, la xénophobie et le chauvinisme. Pour regagner la confiance des citoyens, il faut leur rappeler ce que signifie le projet européen, mieux le leur expliquer et mettre en valeur ses grandes réalisations qui ont été oubliées.
Les leaders européens devraient aussi veiller à la justice sociale. La démocratie est affaiblie quand la cohésion sociale est mise à mal, quand les personnes ont le sentiment de ne pas bénéficier des politiques qui leur sont imposées, quand les coûts de l’austérité sont injustement répartis. La globalisation sans frein, couplée à la baisse de compétitivité des États membres, est le terrain propice au repli national, à la fois des citoyens et des États membres. C’est le déficit démocratique auquel doivent s’atteler les responsables politiques à Bruxelles et dans les capitales nationales. Faute de quoi, la question de la légitimité des décisions prises continuera à saper l’Union.

1) Promulgué par Roosevelt en 1933, connu aussi sous le nom de Banking Act, il permettait de protéger l’épargne des ménages en éloignant les risques d’effondrement des marchés.

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