Espagne, en faveur d’un Plan Marshall pour l’Europe

William Chislett

Chercheur associé au Real Instituto Elcano

Avec plus de 270 000 Espagnols atteints du Covid-19, et plus de 27 000 décès, la crise liée au coronavirus a durement frappé l’Espagne. Son économie devrait être l’une des plus affectée de l’Union Européenne. En cause : sa structure et ses faiblesses, antérieures à la pandémie.

La croissance espagnole était déjà en berne, avec un taux de chômage de 14% (le double de la moyenne européenne), un déficit public proche de 100 % du PIB et un déficit fiscal bloqué en 2019 à 2,6 % du PIB – le pays ayant mis une décennie à descendre en-dessous des 3%, le taux imposé par les règles du Pacte de Stabilité, actuellement suspendu.

Selon les prévisions du FMI, l’économie espagnole devrait se comprimer de 8% cette année – à moins qu’une seconde vague épidémique ne se déclenche avant l’été – et le chômage atteindre 21%. La dette du pays devrait dès lors s’élever à 113% du PIB (le pire chiffre depuis 1902, et 35,5% plus élevé que celui de 2007) et le déficit fiscal à 9,5%. La perte de revenus sera grosso modo la même que celle enregistrée entre 2009 et 2013, à l’époque de la « Grande Dépression  » espagnole consécutive à la crise financière internationale et à l’éclatement de la bulle immobilière nationale. Près de 900 000 emplois ont disparu en Espagne, depuis l’entrée en vigueur du confinement, le 14 mars – soit à peu près autant qu’entre le 2 octobre 2008 et le 27 février 2009.

Ce qui rend l’économie espagnole si vulnérable, c’est notamment l’importance de son secteur touristique qui représente 12% du PIB et 13% des emplois (beaucoup plus si l’on prend en compte les emplois indirects). Le pays reçoit 83,7 millions de touristes par an – ce qui le situe au deuxième rang mondial, derrière la France – dont 58,5 lors de la saison haute, entre mars et septembre. Les hôtels et restaurants sont fermés depuis la mi-mars, et ne rouvriront certainement pas avant l’année prochaine. Sans compter les 41 millions de Français, Portugais et croisiéristes en escale passant chaque année une simple journée dans le pays.

Autre facteur de vulnérabilité : un quart des emplois espagnols sont temporaires – ce qui représente le plus haut niveau de l’UE. Et ces emplois sont en général les premiers supprimés. Les PME, qui représentent plus de 70% du marché du travail, n’ont guère les ressources et la solidité nécessaires pour supporter une crise majeure.

Au 16 avril, le budget de crise prévu par la coalition minoritaire au pouvoir – une alliance entre les Socialistes et les radicaux de Unidos Podemos (le premier gouvernement de ce genre depuis les années 30) – s’élevait à 13,9 milliards d’euros, soit 1,1% du PIB de 2019, contre 6,9% pour l’Allemagne et 2,4% pour la France. En plus de 3,8 milliards de fournitures médicales, cette enveloppe servira à financer l’ERTE, un dispositif de chômage partiel permettant à l’Etat de payer temporairement les salariés des entreprises affectées par le virus. À cette date, quatre millions de travailleurs en bénéficient, soit 16% de la masse salariale totale.

Parmi les autres mesures prises : un moratoire sur le paiement des charges sociales, des emprunts sur les résidences principales et des loyers pour les personnes vulnérables ou menacées d’exclusion sociale ainsi que la suspension des expulsions pendant six mois.

Le gouvernement tente de faire passer un « Pacte de reconstruction nationale » sur le modèle idéalisé des Pactes de la Moncloa de 1977. Ces accords entre partis politiques, patronat et syndicats avaient permis, après la mort de Franco, de sauver la démocratie embryonnaire, menacée par de graves difficultés économiques. Mais les circonstances sont aujourd’hui très différentes, et l’idée de consensus – le maître-mot de l’époque – a disparu d’un paysage politique où se déchirent les seize partis présents au Parlement.

Sans surprise, compte tenu de l’ampleur sans précédent de cette crise, le Premier Ministre Pedro Sánchez a lancé l’idée d’un Plan Marshall pour l’Europe – en référence au plan américain de 1948 pour reconstruire le continent détruit par la guerre. Et l’Espagne est aux avant-postes pour réclamer une solidarité accrue des pays de l’Europe du Nord avec ceux du Sud.

 

1 Ancien correspondant du Financial Times, William Chislett est aussi auteur de nombreux ouvrages notamment Spain: What Everyone Needs to Know, Oxford University Press, 2013 (ouvrage qui paraîtra en espagnol à l’automne 2020 dans une version actualisée). L’auteur dispose aussi d’un site : www.williamchislett.com

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