Pour un renforcement du rôle du haut représentant pour les affaires étrangères

Auteurs : Ignacio Molina  et Luis Simón

Ignacio Molina, analyste européen senior au Real Instituto Elcano et Luis Simón, directeur du bureau du Real Instituto Elcano à Bruxelles et analyste senior au Real Instituto Elcano

Quels défis, voire quelles opportunités, le poste de Haut Représentant de l’UE pour les Affaires étrangères et la politique de sécurité (qui est aussi vice-président de la Commission européenne) offre-t-il pour le développement de l’Europe en tant qu’acteur international ?

 

Dix années se sont écoulées depuis la création du poste de Haut Représentant de l’UE pour les Affaires étrangères et la politique de sécurité – dont le titulaire est également vice-président de la Commission – par le Traité de Lisbonne. Cette fonction aux grandes potentialités vise à renforcer la cohésion de l’Europe, son efficacité et son influence, à la fois auprès de ses voisins et sur la scène internationale. En dépit de quelques accomplissements majeurs au cours de la dernière décennie, les trois objectifs définis au moment de la création du poste sont loin d’avoir été atteints. La coordination entre les différentes dimensions de la politique étrangère de l’UE en tant qu’organisation laisse à désirer.

 Limites d’un modèle de politique étrangère commune

La fragmentation entre les initiatives diplomatiques communautaires et celles des États membres contrecarre la capacité des Européens à parler d’une seule voix. En conséquence de quoi, l’UE échoue à s’insérer efficacement dans un contexte international de plus en plus compétitif et tendu, révélant ainsi les limites d’un modèle de politique étrangère commune toujours axé sur le multilatéralisme et le soft power. Pour aider l’Europe à relever ces défis, il ne serait pas inutile de repenser et renforcer le poste de Haut Représentant. Le contenu et l’importance de cette fonction ne sont en rien prédéterminés, puisqu’ils dépendent de deux facteurs : les attributs spécifiques à cette fonction au regard des autres portefeuilles de la Commission et l’influence personnelle de son détenteur. Il semble globalement admis qu’aucun des deux premiers titulaires(1) n’a donné entière satisfaction sur ces deux plans, affaiblissant en conséquence l’action externe de l’UE.

Josep Borrell a été désigné Haut Représentant de l’Union pour les Affaires étrangères et la Politique de Sécurité.

Notre proposition consiste à profiter de la stature politique de Josep Borrell, qui vient d’être nommé Haut Représentant pour la législature 2019-2024, et du cadre élargi de ses responsabilités étant également vice-président de la Commission (tout en suggérant possibles améliorations dans les domaines de politiques étrangère et de sécurité communes). Pour y parvenir, il est temps de sceller une sorte de contrat ambitieux par lequel le Haut Représentant s’engagera à abandonner au futur président de la Commission les initiatives en termes de politique internationale commune, obtenant en échange de nouvelles prérogatives dans l’action extérieure de l’UE, et les ressources qui vont avec. Dans les domaines clés où les commissaires et le Haut Représentant agissent pour l’instant de manière totalement déconnectée, il faudra donc accepter que les premiers jouent le rôle de coordinateurs. Le Haut Représentant pourrait en contrepartie superviser directement d’autres questions telles le développement, l’aide humanitaire, ou la défense. Dans un monde où les grandes puissances mènent ces activités dans une logique stratégique, l’UE ne peut prétendre au statut d’acteur global sans présenter une certaine cohérence en matière diplomatique, de politique commerciale, de coopération, de sécurité (avec, en point d’orgue, le lancement du récent Fonds européen de la Défense), sans oublier les aspects extérieurs liés à l’innovation et à la politique migratoire.

En pratique, cependant, le Haut Représentant/vice-président est perçu comme cantonné à un rôle représentatif et diplomatique dépourvu de réel pouvoir. Et ce pour deux raisons. La première est le manque d’efficacité de la Politique étrangère et de sécurité commune (PESC), attribuable à des problèmes de fond : la complexité des structures de décision, la nécessité (et la culture) de l’unanimité au sein du Conseil, les différences de stratégie entre les États membres, et leur tendance persistante à donner la priorité à leurs actions plutôt qu’à celle de l’UE dans de nombreux domaines. La seconde est le recours insuffisant à la vice-présidence au sein de la Commission Européenne. Depuis la création du poste en 2010, nombre des principes basiques mentionnés plus haut ont été négligés.

Quelles peuvent être les solutions ? L’Agenda Stratégique pour 2019-2024, approuvé par le Conseil européen, entend, en priorité, « promouvoir les intérêts et valeurs de l’Europe sur une scène mondiale », afin, au final, d’exercer « une influence plus déterminée et efficace… en donnant une priorité plus claire aux intérêts européens économiques, politiques et sécuritaires, toutes les politiques étant optimisées à ces fins ». Voilà qui constitue le premier cadre politique du nouveau cycle institutionnel censé conduire à de vastes réformes de fonds. Il est bâti sur une fondation à deux piliers.

Premier pilier : renforcer le statut du Haut Représentant en tant que vice-président de la Commission. La priorité doit être de maximiser le potentiel du rôle du Haut Repré­sentant en tant que vice-président de la Commission. Pour ce faire, il est nécessaire de parvenir à un accord initial entre le Haut Représentant et le président de la Commission, qui a toute latitude pour organiser la structure et les méthodes de travail de l’institution. Cet accord devrait être basé sur une sorte de grand troc : le Haut Représentant bénéficierait d’une place stratégique mieux assignée au sein des initiatives stratégiques et se serait amené à être quotidiennement sous l’autorité hiérarchique de son supérieur, y compris au sein du Service européen pour l’action extérieure (SEAE). En échange de quoi, le Président accepterait plus explicitement de confier des responsabilités de coordination au Haut Représentant dans le domaine des compétences extérieures de la Commission et des aspects extérieurs des politiques intérieures de l’UE, lui fournissant les services et structures nécessaires pour assumer de telles prérogatives, notamment l’accès au secrétaire général de la Commission européenne.

 Améliorer la PESC

Le deuxième pilier constituerait en une amélioration du fonctionnement de la Politique extérieure et de sécurité commune (PESC). Le Haut Représentant devra renforcer son rôle de coordination dans le cadre des actions externes de la Commission, tout en maintenant son autonomie au sein de la PESC – comme le Traité le suggère. Il est néanmoins nécessaire d’entreprendre d’améliorer la PESC. Trouver une solution à des problèmes très profonds est un défi d’une énorme complexité, qui requiert une réflexion détaillée et approfondie, et peut-être même une réforme des traités eux-mêmes. Le Haut Représentant pourrait cependant franchir d’emblée certaines étapes, dans le cadre des prérogatives qui lui sont allouées par le traité, telles que la constitution d’un Conseil des Affaires étrangères plus fonctionnel et la réforme du Service européen pour l’action extérieure (SEAE), qui compte à ce jour 140 délégations et 5 600 bureaucrates. Last but not least, la coordination avec les ambassades des États membres à travers les délégations de l’UE dans les pays tiers doit être encouragée.

En conclusion, le poste de Haut Représentant et vice-président de la Commission contient tous les éléments pour que se mette en place une action européenne extérieure plus cohérente, plus visible, plus influente. Pourtant, dans les dix premières années d’existence du poste, ses titulaires n’ont guère su profiter de ce potentiel. Les attentes ont été déçues, en partie du fait de problèmes inhérents à la PESC, mais surtout parce que les deux premiers Hauts Représentants n’ont pas été capables de tirer profit du statut du poste en assurant les fonctions de coordination implicitement allouées au vice-président de la Commission. Le futur Haut Représentant devra avoir la capacité de diriger les politiques communautaires dans toute leur dimension internationale et d’avoir accès aux instruments financiers de la Commission, ainsi qu’aux services et domaines clé ayant un impact direct sur ses compétences et ses pouvoirs. Les traités et les structures organisationnels de l’UE sont suffisamment flexibles pour permettre au Haut Représentant de bénéficier d’un accès direct aux instruments de la Commission. Au final, tout dépendra de la teneur de l’accord politique avec la nouvelle Présidente, qui devra être conclu sans attendre, avant qu’elle ne prenne des décisions concernant la structure des différents portefeuilles. Il ne faut pas que se crée une série de faits accomplis, sinon le Haut Représentant sera condamné à adopter une position défensive et réactive. Si un accord adapté est passé concernant ces différentes fonctions, la législature 2019-2024 permettra une augmentation exponentielle de l’influence du Haut Représentant, avec un impact positif simultané sur les trois buts stratégiques de l’action externe européenne évoqués au début de cette analyse.

Une utilisation effective (et pas simplement théorique) de la double casquette de vice-président de la Commission et de président du Conseil permettrait presque automatiquement d’atteindre le premier de ses trois buts c’est-à-dire une meilleure coordination. Une cohésion plus grande entre le travail extérieur mené par ces deux institutions et une amélioration des opérations entreprises par les services externes où cohabitent bureaucrates de l’UE et diplomates nationaux générerait une dynamique en termes de continuité et de confiance avec les États membres, qui, à moyen terme, réduirait la fragmentation de presque trente politiques étrangères nationales. En retour, cette cohésion renforcée améliorerait l’efficacité et la visibilité de l’UE en tant qu’acteur international.

1) La Britannique Catherine Ashton a occupé ce poste entre 2009 et 2014 et l’Italienne Federica Mogherini de 2014 à 2019.

POUR ALLER PLUS LOIN
Lire le rapport intégral « A strategic look at the position of High Representative and Commission Vice-President » publié en août par le Real Instituto Elcano et en ligne sur le site www.realinstitutoelcano.org.

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