Un nouveau récit pour l’Europe

Philippe HERZOG

Président fondateur de Confrontations Europe

Marcel GRIGNARD

Président de Confrontations Europe

Philippe Herzog, président-fondateur de Confrontations Europe, vient de publier ses mémoires intitulées D’une révolution à l’autre. Il revient dans cet ouvrage sur son expérience d’économiste, de militant au Parti Communiste, sur son action en tant que député européen et fondateur de Confrontations Europe et trace des perspectives pour l’Europe. Récit d’un dialogue convivial et dense avec Marcel Grignard, président de Confrontations Europe et ancien responsable syndical animé par « une conflictualité ouverte, viable et constructive ».

Confrontations Europe : Le livre a pour sous-titre Mémoires. Pourquoi ?

Philippe Herzog : En adoptant la forme de mémoires personnelles, je propose en même temps au lecteur une réflexion sur 50 ans d’histoire commune. Chacun a une histoire singulière avec ses convictions et ses préjugés, mais c’est ensemble qu’il faut comprendre pourquoi nous sommes arrivés à la situation de crise actuelle si nous voulons en sortir avec une vision d’avenir. Mes engagements m’ont conduit du communisme français à l’Europe. Cette diversité n’est pas un handicap, au contraire elle donne du prix à mon témoignage et à mon appel au dialogue. S’il est un but qui traverse toute ma vie intellectuelle et politique, c’est la participation de chacune et chacun aux choix collectifs de notre pays et de l’Europe.

C. E. : Le titre D’une révolution à l’autre intrigue. Quelle en est sa signification ?

P. H. : L’Europe a été le foyer de révolutions et de violences autant que de lumières. Après deux guerres mondiales, elle a connu une renaissance pendant trois décennies, notamment grâce à la création d’une communauté européenne. Mais des mutations considérables ont eu lieu, la chute du communisme et la division du monde en blocs, la mondialisation de l’économie et le commencement d’une formidable révolution informationnelle. Beaucoup de peuples font face à ce bouleversement en renouvelant leurs modèles de vie et d’institutions. Mais à l’Occident en particulier, cette révolution est subie : le retour des peurs, l’insécurité et la perte de confiance dans l’avenir sont sources de divisions et de replis. Notre Union est en danger, une refondation est nécessaire. Ceux qui l’ont créée il y a bientôt 70 ans n’y ont pas seulement vu un projet politique mais aussi une œuvre de civilisation. C’est bien notre civilisation qui a failli, nous avons tendance à l’oublier, et nous sommes tous responsables. Nous devons redéfinir le projet politique européen et entreprendre de civiliser la mondialisation en synergie avec les autres peuples de la planète. C’est ça « l’autre révolution ».

Marcel Grignard : Les mutations profondes et rapides notamment technologiques transforment nos manières de produire, consommer, être en société… C’est là une véritable révolution et on oscille entre les opportunités qu’elles génèrent et les craintes qu’elles suscitent dans une mondialisation dont on a su tirer des bénéfices et dont on mesure bien les limites. Comme le dit Philippe, nous sommes dans une crise de civilisation. Elle ne peut pas être vécue de la même manière en Occident, chez les émergents ou les pays en développement parce que les composantes de cette crise percutent des régions du monde qui ne sont pas sur les mêmes trajectoires. L’obligation de changer rapidement nos modes de développement conjuguée à la crise de nos démocraties donne le blues au monde occidental. Nous devons déployer notre énergie à nous projeter dans un avenir possible et désirable, un projet partagé à construire dans une Union européenne dont le fonctionnement et les politiques ne semblent pas avoir été pensés pour affronter le monde qui arrive. Pour qualifier cette refondation indispensable de l’Union, je n’emploierais pas le mot « révolution » qui, dans notre imaginaire collectif national, ne colle pas vraiment à la nécessité de construire des coopérations fructueuses passant par des compromis successifs.

P. H. : Pour moi, le sentiment d’accélération de l’Histoire traduit une sorte d’impuissance politique dont beaucoup d’entre nous souffrent, consciemment ou non. Aujourd’hui en Europe il n’y a pas de véritable projet politique alors que beaucoup d’entre nous aspirent à une grande transformation.

C. E. : Plongeons-nous d’abord dans le passé : quel regard portes-tu sur la façon dont la France et ­l’Europe ont fait face aux grandes mutations ?

P. H. : Je suis très marqué par mon expérience des grandes heures de la planification française. À l’époque des Trente glorieuses, la société savait se projeter vers l’avenir. La planification mobilisait la société civile, il s’agissait de « programmer l’espérance ». Elle a été liquidée ensuite.

Avec mes camarades de la section économique du parti communiste, nous nous sommes battus contre la désindustrialisation et la financiarisation mais nos efforts pour préserver une maîtrise publique de l’économie n’ont pas abouti. Nous avons pourtant appelé les travailleurs à intervenir dans la gestion des entreprises avec de nouveaux critères d’efficacité et proposé des politiques macro-économiques susceptibles de déconnecter la France et l’Europe des impacts de la stratégie américaine. Les dirigeants socialistes ne l’ont pas fait, cherchant seulement à amortir le choc par des correctifs sociaux.

M. G. : N’oublions pas que pendant les Trente glorieuses et les années qui ont suivi, on pensait l’avenir comme un prolongement du passé considérant les ressources comme infinies. Nous devons nous mouvoir et penser l’avenir dans une grande incertitude et, pour la première fois dans notre histoire, en ayant connaissance du devenir de l’humanité si nous ne parvenons pas à maîtriser l’ensemble du champ environnemental. Quant à la participation des travailleurs, tes efforts Philippe se sont heurtés à l’approche étatique des forces politiques de gauche dans un pays qui ne reconnaît pas le rôle des corps intermédiaires. Pour des raisons similaires, les lois Auroux(1) inspirées d’une volonté de permettre aux travailleurs de se saisir de ce qui fait leur vie au travail n’ont pas eu l’impact espéré.

P. H. : Le souci du bien commun a été longtemps partagé entre les libéraux et les socialistes. Aujourd’hui les libéraux lucides constatent les dégâts du système néolibéral et la rébellion populaire qui s’en suit : le capitalisme contemporain provoque de plus en plus d’inégalités, les couches moyennes sont menacées de paupérisation, le nombre des laissés-pour-compte et les rentes de situation sont absolument intolérables. Du côté des porteurs des options socialistes, la chute de l’Union soviétique a provoqué l’implosion du communisme et chacun peut constater maintenant la chute générale de la social-démocratie. Les Nordiques résistent mieux parce que leur société assume une codétermination, une cogestion. Mais les sociaux-libéraux sont en difficulté partout.

C. E. : Mais l’Europe n’a-t-elle pas commencé à réguler le système économique et financier ?

P. H. : L’effort accompli pour corriger le modèle de marché néolibéral en Europe n’est entrepris que depuis 2008. L’Union a réussi à stabiliser le système bancaire, la politique monétaire a évité le pire, mais les déséquilibres internes à l’Union liés aux asymétries de puissance industrielle et de compétitivité se sont accentués. Sur notre marché intérieur, la compétition règne sans coopération ni division intracommunautaire du travail.

Il faut cesser de confondre régulation et réglementation. On ne change pas simplement les comportements à coups de règles. Il faut changer les mentalités et les structures, créer des solidarités humaines et productives par des investissements d’intérêt public. Le plan Juncker est un début mais bien trop rares sont les investissements qui visent le développement des capacités humaines et qui soient à caractère transnational. Nous avons besoin d’une véritable communauté économique où une multiplicité de porteurs de projets européens apparaîtra sur les territoires, dans les entreprises et qui seront financés. Pour cela il faut des méso-projets : un marché européen pour des mobilités de formation et d’emploi, un réseau européen d’universités technologiques, des infrastructures publiques européennes pour le traitement des données, des coopérations interrégionales et entre les banques publiques de développement.

M. G. : Il a fallu la crise financière de 2008 pour que les voix, comme celle de Michel Aglietta, qui mettaient en évidence les dérives de la financiarisation soient entendues. Des progrès ont été réalisés et en matière d’investissements de long terme, le travail effectué par Confrontations est vraiment à souligner. Mais il suffit de faire le constat que le salaire moyen au Portugal, par exemple, a reculé de 8 % entre 2010 et 2017 pour mesurer l’accroissement des divergences entre les pays de l’Union et en leur sein. L’Europe n’a pas encore établi le diagnostic solide des conséquences d’une Union qui place ses membres en concurrence là où ils devraient coopérer et qui ne parvient pas vraiment à articuler l’économique et le social.

C. E. : Il est question d’entreprendre un nouveau mode de développement et tu désignes, dans ton livre, les contradictions à résoudre. Comment le bâtir ?

P. H. : Je n’ai pas besoin d’exposer ici l’ampleur de l’impératif écologique. Le temps nous est compté. Le type de croissance actuelle va se heurter à un mur mais nous sommes embarqués dans un système qui y conduit. Cela étant, contrairement à beaucoup, je crois qu’il est très difficile de répondre en même temps à l’impératif écologique et aux besoins sociaux. Il est indéniable que le chômage et la paupérisation se creusent s’il n’y a pas de croissance. Il faut inventer un nouveau type de croissance. Les Occidentaux devront apprendre la frugalité mais en aucun cas ils ne voudront sacrifier l’emploi et le niveau de vie. D’autre part, les Africains par exemple ont besoin d’une forte croissance matérielle, d’autant plus que leur démographie progresse à vive allure.

On ne peut pas résoudre ces dilemmes sans transformer les façons de travailler et de produire. Ainsi la productivité du travail ne doit plus reposer principalement sur la substitution des machines aux hommes mais sur leur complémentarité : il faut développer à fond les capacités humaines pour mieux utiliser notre patrimoine humain et productif. L’investissement d’intérêt commun ne peut pas rester assujetti aux exigences de rentabilité financière, des infrastructures publiques doivent être créées et il faut promouvoir des partenariats public/privé. En même temps les foyers de croissance doivent basculer massivement vers l’Afrique et le Sud où nous devons consentir des investissements massifs en nous engageant aux côtés des populations concernées.

M. G. : L’impératif d’un nouveau mode de développement est devenu une évidence. Je doute d’une solution qui partirait d’un paramètre puisqu’il s’agit de trouver un équilibre difficile entre économie, social et environnemental. D’autant que je crains que le social soit broyé entre l’économique et l’environnemental : des citoyens sont vigilants à raison sur l’air qu’ils respirent mais indifférents aux conditions de vie d’une partie importante de la population. Et que deviennent les référentiels de rentabilité si on prend en compte les conséquences des activités économiques renvoyées sur la collectivité, voire sur les générations futures, ce qu’il va bien falloir faire ? Je pense qu’il faut que, dès la conception des projets, on prenne en compte les enjeux sociaux et sociétaux au sens large et la seule manière de le faire sérieusement c’est d’y associer les parties prenantes. Territoires et entreprises me semblent de ce point de vue et dans la perspective de faire communauté une voie à privilégier. En ce sens il faudrait que nous avancions vers une conception partagée en Europe de l’entreprise, de la place de ses parties constituantes et ses parties prenantes, de l’articulation avec la puissance publique dans la préservation des biens communs.

C. E. : Venons-en à la « révolution démocratique » qui, si je reprends les termes de ton ouvrage, doit être fondée sur une réelle participation des citoyens au système politique. Celle-ci est-elle compatible avec la démocratie représentative en place en France et en Europe ?

P. H. : La démocratie représentative n’est pas la fin de l’histoire. Elle repose en effet sur une délégation de pouvoir qui ne va pas sans subordination : les citoyens élisent leurs représentants lesquels élaborent et décident des choix collectifs. En France, la société renvoie ses demandes vers les partis et l’État qui y répondent par les dépenses publiques, la loi et l’administration. Aujourd’hui le dégagisme et la critique de l’énarchie s’expriment, les corps intermédiaires, certes des médiateurs nécessaires, sont souvent corporatisés, et l’État providence déresponsabilise les individus. Mais en même temps les gens sont plus éduqués que jadis et ils disposent de moyens d’information sans précédent – ce qui ne veut pas dire de grande qualité ! Ils peuvent et veulent dire leur mot sur tout. Ils protestent et créent des contre-pouvoirs. Ce n’est pas forcément positif. Une participation constructive signifierait qu’en formant une société civile pleinement responsable, les gens puissent participer eux-mêmes à la formation des choix collectifs et cogérer leur mise en œuvre. Or, en France, la structure de l’État reste napoléonienne.

M. G. : La crise de la démocratie représentative et la crise des institutions touchent à des degrés divers tous les pays européens. La reconnaissance des droits individuels a progressé, c’est un progrès important traduisant nos valeurs humanistes mais, dans le même temps, nous n’avons pas su repenser les dimensions collectives ce qui fait que nos sociétés se défont. Chez nous, État centralisé et refus des corps intermédiaires aggravent nos difficultés parce qu’elles éloignent la construction des solutions de là où se posent les problèmes et, au nom de l’égalité, créent de l’iniquité. Participation et responsabilité sont des clés pour desserrer la crise de la démocratie représentative.

C. E. : Comment faire en sorte qu’une véritable participation se mette en place dans le contexte européen actuel ?

P. H. : Établir une « démocratie européenne » et régénérer la démocratie nationale sont des enjeux indissociables. Actuellement, ce sont nos dirigeants et élus nationaux qui décident à notre place « à Bruxelles ». C’est une délégation au carré. Ainsi la Commission et la gouvernance de l’Union sont devenues technocratiques. Le Parlement européen n’y a rien changé.

Au niveau national, en France, il faut établir la participation par la mise en place d’un espace public d’information digne de ce nom, une véritable décentralisation, la rotation des rôles dirigeants et l’accès direct des gens à une Union européenne refondée en Communauté politique. Les gens doivent pouvoir participer à la préparation des projets européens et à leur mise en place dans leur vie quotidienne et pour cela pouvoir s’éduquer, s’organiser dans des réseaux et investir des solidarités transfrontières. Corrélativement, les institutions européennes devront assumer des fonctions de puissance publique avec de mandats et des responsabilités afin de promouvoir des politiques communes sans veto au Conseil.

M. G. : C’est illusoire d’imaginer des progrès sérieux au niveau européen si au niveau des États nations nous ne parvenons pas à régler nos problèmes et ça vaut pour la question de la démocratie. L’enjeu national et européen est un peu le même : comment articuler des délibérations, décisions, actions… qui s’opèrent au plus près des citoyens (et là je reviens aux rôles clés des territoires, entreprises, élus locaux) avec ce qui doit se faire au niveau national et (ou) communautaire ? On peut le dire autrement : il s’agit de conjuguer des formes de démocratie participative montantes avec une démocratie représentative descendante.

C’est un chemin qui vise à faire d’une démocratie participative responsable un moyen de revivifier une démocratie représentative à bout de souffle. Je crois en une dynamique possible fondée sur des acteurs d’une société civile organisée, d’une réinvention de la démocratie sociale. Et si cette dynamique existe, les bonnes réponses institutionnelles suivront.

C. E. : Le mot d’ordre lancé par Confrontations Europe dès 2000 de « former société en Europe » est-il toujours d’actualité ?

P. H. : Plus que jamais ! L’Europe ne peut réussir à se bâtir que sur la participation. Mais depuis que nous avons lancé ce mot d’ordre, la situation s’est aggravée. Le référendum constitutionnel était une caricature de démocratie directe et les organisations de la société civile européenne qui avaient émergé dans les années 1990 ont terriblement vieilli ou se sont repliées dans l’espace national.

M. G. : Je reprends totalement à mon compte le slogan « former société en Europe » porté par Confrontations. Nous Européens, savons que nous sommes dans des interdépendances accrues. Vouloir décider de ce que doit être notre destin commun, construire de nouvelles solidarités, faire ensemble, c’est faire communauté humaine. Mais c’est là une démarche exigeante. C’est faire l’effort de reconnaître nos différences, construire des compromis et s’en porter garant en se considérant responsable du devenir commun. Plus le cercle concerné est large, plus cela est compliqué et difficile. Cela nécessite qu’existe une société civile organisée et responsable capable d’aborder les enjeux dans une approche globale et non dans la seule défense d’une cause.

P. H. : Les compromis sont biaisés quand les structures et les modes de gestion déconnectent le social de l’économie. Il y a besoin d’établir une maîtrise sociale et publique des choix économiques et financiers. L’Europe doit pour cela repenser son marché intérieur, se doter d’un budget et faire rentrer la finance en société, alors que la financiarisation a nourri l’ultralibéralisme à l’échelle globale avec la formation de monopoles privés surpuissants.

C. E. : Est-ce que ce ne sont pas les populistes qui mettent en cause la démocratie ?

P. H. : Opposer le camp des progressistes aux populistes est une facilité à visée électorale quand des élites occidentales se dispensent d’autocritique et ne veulent pas voir les signaux que leur adressent des populations vivant dans l’insécurité et le déclassement, et qui observent l’ampleur des rentes et des inégalités du capitalisme. Pour autant, je déplore le fait que des politiciens manipulateurs et corrompus les détournent vers la recherche de boucs émissaires. Aujourd’hui, à l’Est, au Sud, mais aussi à l’Ouest, on voit monter une rébellion partisane et populaire parfois virulente contre les instances communautaires. Fort heureusement, et ceci prouve que la bataille n’est pas perdue, ces populations veulent rester dans l’Union européenne. Ce n’est qu’en réengageant la refondation de celle-ci que nous pourrons vaincre les dirigeants qualifiés de populistes.

M. G. : Il faut distinguer le désarroi d’une partie de nos concitoyens qui vivent durement les conséquences des bouleversements et regardent l’avenir avec inquiétude du comportement des leaders populistes à qui ils donnent leurs voix. Il faut entendre les premiers et interroger les causes des situations qu’ils vivent ou des peurs qui les habitent : l’Europe a sa part de responsabilité. C’est la condition pour donner crédit à un refus de laisser prospérer des démarches populistes dont l’histoire nous dit où elles nous mènent.

C. E. : Tu proposes de créer une Union différenciée et solidaire, pourquoi ?

P. H. : Aujourd’hui l’Union se fragmente dangereusement et le Royaume-Uni va sortir. Or bâtir l’Europe, c’est bâtir une unité pour la paix et le bien-être de toutes ses nations. On menace de sanctions les États hongrois et polonais, mais partout dans le monde les victimes des sanctions risquent d’être les populations et non pas les gouvernements corrompus. Victor Orban fabrique l’idéologie d’une « démocratie illibérale » opposée à notre démocratie libérale dont l’ultralibéralisme fait problème. Ne tombons pas dans le piège, sinon nous contribuerons à pousser les Hongrois et d’autres peuples hors de l’Union.

L’Union a voulu homogénéiser les peuples en abusant de règles de marché qui ne tiennent pas compte des déséquilibres profonds entre les nations. Il faut faire richesse de leurs diversités avec des politiques communes qui créent des infrastructures d’intérêt mutuel pour l’accès aux biens essentiels comme l’éducation, les transports, l’énergie… Dans une Union refondée, la cohésion deviendrait l’une des principales priorités politiques et passerait par des réponses authentiques aux problèmes des populations délaissées et des peuples des périphéries de l’Est et du Sud.

D’autre part, à l’extérieur, l’Europe ne pourra prétendre à un multilatéralisme fondé sur la solidarité sans agir pour briser les situations de monopole des grands groupes privés et faire place à des interventions publiques d’intérêt mutuel. La question des migrants est un test fondamental. Le rejet actuel et les hypocrisies à ce sujet traduisent des problèmes plus profonds de délitement des valeurs humanistes, il faut les renouveler et les incarner. Et il est crucial de renouer des liens de dialogue et de coopération avec nos voisins – Russie, Turquie, Afrique du Nord – ainsi que d’intégrer les peuples des Balkans.

C. E. : Tu proposes dans ton livre un manifeste…

P. H. : Je ne l’écris pas, il s’écrira à plusieurs mains venant de plusieurs pays. Mais j’en donne des principes. Il s’agit de faire mûrir une nouvelle vision de long terme qui éclaire la nécessaire transformation de l’Union en communauté politique. Il s’agira d’une fédération de peuples et non d’États. L’Union deviendra une puissance publique avec les attributs que cela suppose et une Commission devenant un collège politique, pour inventer un nouveau type de développement et jouer le rôle d’un acteur global à même de créer des liens de solidarité avec les différentes régions du monde.

M. G. : Je partage tout à fait l’objet politique que recouvre ta pro­position de Manifeste. Je vois celui-ci comme une démarche qui pourrait amener une grande diversité d’acteurs partout en Europe à travailler à une feuille de route qui pourrait prendre place dans le prochain mandat des instances européennes. D’ici là il faut faire émerger une sorte de communauté d’intérêts des Européens à travailler à une vision de long terme et à la transformation de l’Union. Il va falloir partir de structures organisées, associer les citoyens. Si, in fine, les peuples trancheront, il faut faire en sorte qu’ils soient le plus possible acteurs en amont de la décision. La question de comment la société se structure et est partie prenante du processus qui sera délibératif et progressif est loin d’être ­résolue. Ce n’est pas étranger à tout ce que nous venons de dire à propos de la revivification de la démocratie.

P. H. : Quand on voit la grande faiblesse des sociétés civiles actuelles et des consultations soi-disant démocratiques, il faut dans l’immédiat agir pour que soit établi un programme digne de ce nom. En revanche, un manifeste transeuropéen pour une refondation d’envergure ne pourra pas être établi en quelques mois. Sa nécessité apparaîtra d’autant plus après les élections européennes. Les défis culturels que je souligne constamment dans mon livre ne peuvent être saisis qu’en faisant appel à des changements de mentalités et de pratiques dans l’esprit d’un combat de civilisation.

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