Renouveler les relations entre l’Europe et l’Afrique de l’Ouest

Claude FISCHER HERZOG

Présidente d’honneur de Confrontations Europe, directrice d’ASCPE – Les Entretiens Européens & Eurafricains

Dans son discours sur l’état de l’Union, Jean-Claude Juncker a appelé l’Union européenne à nouer un « nouveau partenariat » avec l’Afrique qui ne soit pas basé sur la charité. De fait, c’est à l’Afrique d’inventer son modèle de développement, fondé sur une politique économique et monétaire plus autonome et une véritable participation de la société civile.

En 2018, l’Afrique de l’Ouest connaîtra la plus forte croissance du continent. Évaluée à 5 %, celle-ci est marquée par de fortes inégalités territoriales et l’existence de poches de très grande pauvreté. Pour qu’elle soit inclusive et durable, la nouvelle croissance devra être fon­dée sur la production et l’emploi. Son moteur doit être l’investissement, un choix de société que nous avons mis au cœur des Entretiens Eurafricains(1).

L’Europe a un arriéré et de grosses responsabilités dans le faible développement de l’Afrique qui ne représente encore que 3 % de l’économie mondiale. Les relations commerciales UE-Afrique restent très déséquilibrées et basées sur la prédation de ses ressources. La conscience qu’on ne peut plus faire comme avant progresse : Jean-Claude Juncker a ­proposé, dans son discours sur l’état de l’Union de « nouer un nouveau partenariat avec l’Afrique, un continent cousin qui n’a pas besoin de la charité » mais d’investissements durables, de création d’emplois massive et de nouvelles relations commerciales(2). Mais entre conscience et réalités, le fossé est grand : les investissements européens, qui représentaient 4 % des ­in­­ves­­tissements mon­diaux, diminuent et des pays d’Europe comme la France se désengagent au moment même où les autres régions du monde comme la Chine, l’Inde ou la ­Turquie, arrivent.

Quant aux aides au dévelop­pe­ment – 31 milliards d’euros pour la période 2014-2020 – elles n’ont pas créé d’effets de levier pour le secteur privé et de partenariats public-privé sur des projets concrets. L’Europe doit changer, mais c’est à l’Afrique d’inventer son propre modèle de développement. Les Africains en sont conscients et les jeunes élites bien déterminées à prendre leurs affaires en main.

Construire une base industrielle et des infrastructures

Lors des Entretiens Eurafricains de Dakar, les questions complexes de la nouvelle croissance en Afrique ont été abordées avec la volonté de clarifier si l’union régionale pourrait en être le moteur. Comment dépasser les obstacles, venant des États ou des sociétés, à la ­réalisation d’un espace intégré ? Insécurités, bar­rières tarifaires et non tarifaires, problèmes aux frontières, corruption constituent de véritables handicaps. Les administrations sont nationales et les systèmes éducatifs ne forment pas aux métiers industriels et à la mobilité. Les infrastructures d’éducation, de transport et d’énergie sont beaucoup trop faibles pour une croissance inclusive et solidaire. Or, les États, trop souvent rivaux, rechignent à mutualiser leurs ressources et, pour les plus riches comme la Côte d’Ivoire, à jouer le rôle de locomotive. Comment construire un espace régional plus solidaire en interne et capable de développer ses ­coopérations avec les autres régions d’Afrique ? L’Occident a imposé à l’Afrique une activité de rentes, la privant de valeur ajoutée liée à la transformation de ses ressources et à la diversification de son économie. Contrairement à l’Europe, l’Afrique n’a pas accumulé de capital productif. Elle doit compter sur la formation de classes ­d’entrepreneurs-producteurs capables d’innover en veillant à consolider les solidarités sur les territoires, ruraux et urbains. Comment attirer les capitaux et mobiliser l’épargne pour la construction d’infrastructures et notamment dans l’électricité, sans laquelle elle ne pourra s’industrialiser ? L’Afrique devra bâtir son marché et une union douanière favorisant les échanges, développer des écoles professionnelles panafricaines adaptées aux besoins des entreprises. Des projets-transfrontières comme la mise en valeur du fleuve Sénégal, ou la Grande Muraille Verte, se mettent en place ; des acteurs financiers émergent pour favoriser le développement des PME. Une société civile s’organise, interpellant les institutions régionales et les États, conscients qu’ils devront se réformer et construire des politiques publiques plus incitatives au développement.

Vers une monnaie unique

La CEDEAO (Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest) a engagé une réflexion pour aller vers une monnaie unique, impliquant la BCEAO (Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest), et des acteurs comme la BRVM, la Bourse des valeurs mobilières, sont mobilisés pour le financement des PME. Faut-il déconnecter le franc CFA de l’euro et l’adosser à un panier de monnaies ? Le débat est ouvert, mais le processus sera long, et la création de monnaies locales (qui pourront être rattachées à la monnaie régionale) permettrait aux collectivités défavorisées de pouvoir vendre et acheter. Par ailleurs les propositions des collectivités rurales de guichets « pilotes » pour lever l’épargne, et celles de la diaspora de devenir un nouvel actionnaire pour l’investissement, méritent d’être creusées. Quant aux élus locaux des villes et des campagnes, ils réclament une fiscalité qui leur donne des moyens, sans toutefois détruire l’économie informelle, véritable vivier des futurs entrepreneurs.

Développer les coopérations Sud/Sud

Sans développement intégré et sans mobilité, l’Afrique de l’Ouest connaîtra encore plus d’inégalités, qui, face aux défis démographiques et climatiques, généreront encore plus de tensions et de conflits dans la sous-région où les forces djihadistes sévissent. Les opérations militaires comme Barkhane ou le G5 Sahel ne peuvent pas remplacer la mobilisation sociétale contre l’insécurité qui ne se résume pas au terrorisme. Certes, il n’est pas question de faiblir devant les menaces ni de baisser la garde. Mais parallèlement à ces opérations (le coût de l’opération Barkhane est dix fois supérieur à l’aide au ­développement), les États et les institutions ­régionales doivent coopérer et l’Afrique s’interconnecter avec elle-même. Je ne suis pas sûre que « la grande verticale »(3) Afrique-Méditerranée-Europe soit la solution, d’autant que les Africains ne veulent pas rester en face-à-face avec l’Europe, pas plus qu’avec la Chine d’ailleurs. L’Afrique doit développer ses coopérations Sud/Sud et on pourrait imaginer des coopérations triangulaires sur des projets de long terme et d’intérêt mutuel où l’on accepterait de basculer des foyers de croissance vers les Africains. Ces questions pourraient être au cœur des consultations que Jean-Claude Juncker a annoncées après sa rencontre avec Paul Kagamé, président actuel de l’Union africaine. Celle-ci doit pouvoir trouver sa place dans les institutions de gouvernance mondiale. Quel sens a un G7 sur le Climat si l’Afrique en est absente, alors que c’est elle qui subit le plus les dérèglements climatiques ?

Mobiliser la société civile

La compréhension des réalités complexes des sociétés ouest-africaines, et la mobilisation des populations, les jeunes en particulier, seront déterminantes. Celles-ci ne relèvent pas essentiellement de la responsabilité des États mais des sociétés civiles, et c’est une chance. Des forces existent en Afrique et en Europe qui doivent multiplier les rencontres, animer l’éducation populaire et créer, comme nous venons de le faire à Dakar, des espaces publics de débat entre les citoyens, les acteurs d’entreprises et de territoires, et les institutions, permettant de se poser les bonnes questions, tirer profit des expériences et faire des propositions pour un développement partagé. Comment repenser nos coopérations et une nouvelle organisation du monde ? L’économie politique ne peut pas s’appréhender sans son soubassement culturel et historique, c’est pourquoi nous proposons d’animer un séminaire sur le défi des peuplements et des migrations que les hommes devront organiser s’ils veulent pouvoir vivre ensemble sur la planète(4). Les défis qui les attendent sont inédits : sociaux, économiques, démographiques et climatiques… Ils concernent le monde entier et plus encore l’Europe qui a des responsabilités historiques.

1) Créés après le Sommet de la Société civile organisé à Bruxelles en mars 2014 en marge du Sommet des chefs d’État d’Europe et d’Afrique, Les Entretiens Eurafricains ont été marqués par les étapes de Ouagadougou en février 2016, de Paris en mars 2017, et de Dakar en février 2018 sur « L’Union régionale, moteur d’une croissance inclusive en Afrique de l’Ouest ». Voir les débats dans La Lettre et Les Cahiers des Entretiens Eurafricains disponibles sur le site www.entretiens-europeens.org.

2) Discours sur l’état de l’Union européenne (UE) prononcé le 12 septembre dernier devant le Parlement de Strasbourg.

3) Afrique-Méditerranée-Europe La verticale de l’avenir, Jean-Louis Guigou et Jean-Pierre Beckouche, Éditions Nevicata, Collection l’Âme des Peuples, 2017.

4) Le festival Une semaine Eurafricaine au cinéma produit par EURAFRICLAP que j’ai le plaisir de présider organisera sa cinquième édition sur le thème : « Regards croisés sur les migrations », après l’édition de 2018 sur « Le droit à la mémoire » (Paris en juin 2018 ; Bamako en décembre 2018).

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