Carole ULMER
Directrice des études de Confrontations Europe
L’heure des choix a sonné pour tous les pays européens, et notamment ceux qui partagent l’euro. Après l’électrochoc britannique, relancer l’intégration en dépassant les lignes rouges et en traitant enfin des sujets clés doit être la priorité.
L’équilibre politique européen a changé : le Royaume-Uni a fait son choix, les autres pays européens doivent faire le leur. Les citoyens ont besoin d’une raison d’espérer et les marchés vont rapidement tester la solidité de l’Union. Transformons cet électrochoc en opportunité, celle de mettre l’ensemble de notre édifice commun sur la table, et de se reposer clairement la question de ce que nous voulons et ne voulons pas faire ensemble.
Les voies d’intégrations – et donc les futurs possibles – pour la zone euro et l’Union européenne dans son ensemble sont multiples.
Si en 2012, il existait un relatif consensus politique sur la nécessité de pousser plus loin l’intégration de la zone euro, les « polycrises » auxquelles est confrontée l’Europe depuis quelques mois changent la donne. Prenons la crise des réfugiés : de grands pas de mutualisation, dans ce domaine qui concerne les 28, sont proches. Le Brexit repose, avec une acuité renforcée, la question du marché unique. Ce dernier est au moins aussi essentiel que l’euro aux yeux des Allemands et de bien d’autres pays membres : ils prendront grand soin de ne pas le passer par perte et fracas. En somme, l’Europe des Cercles est à redessiner.
C’est dans ce contexte complexe que la question de la relance de l’intégration de la zone euro se pose. Depuis la feuille de route établie par le Rapport des 5 Présidents, peu de choses ont avancé. Certains voient dans le Brexit le momentum pour débloquer la situation. Pour cela, il faut avant toute chose partager un diagnostic. Pourquoi en sommes-nous arrivés là ? Quels ont été nos erreurs dans la mise en œuvre de l’euro et dans la gestion de la crise ? Nous avons indûment fait porter toute la charge des efforts de rétablissement de la zone euro sur des ajustements de dettes publiques – donc par une politique déflationniste dans les pays du sud – sans avoir suffisamment traité des problèmes d’excès de dettes dans le privé. Au cœur des tensions intra-européennes, se trouvent en réalité des divergences de productivité entre pays membres de la zone euro.
Faire des compromis
L’autre biais a consisté à rester figé derrière des « lignes rouges » qui nous enferment. Comment résoudre les chocs asymétriques et les divergences massives de compétitivité entre États sans transferts, sans budget fédéral et sans défaut souverain ? Prise au piège de ce dogme, la zone euro se retrouve asphyxiée. Et la gouvernance mise en œuvre pendant la crise n’a fait qu’accentuer ces tendances, faisant prévaloir les règles au détriment de la solidarité et les postures nationales au lieu de l’expression d’un intérêt commun.
Pour sortir du statu quo, chacun va devoir faire des compromis. Et cela commence par mieux comprendre les angoisses de l’autre pour rebâtir une confiance. Pour parvenir à un deal, quels sont les éléments qu’on peut imaginer mettre ensemble dans un compromis avec des lectures nationales différentes ?
Où en est-on aujourd’hui ? L’Union bancaire n’est pas finalisée, seule la supervision unique et le système de résolution harmonisé ont été mis en place. La solidité même de ce second pilier soulève des interrogations, il est probable que les marchés en testent la résistance. Et il manque toujours la mise en place d’une garantie des dépôts uniformisée au sein de l’Union européenne et un actif sûr. Mais l’Allemagne est réticente sur ces points et exige une discipline suffisante sur le traitement prudentiel du risque souverain.
Concernant l’Union budgétaire, les débats sont également figés. Construire une capacité budgétaire commune et un Conseil budgétaire européen fait débat tant sur les objectifs de telles instances (stabilisation, transferts, investissements communs) que sur les modalités de leur construction. Faire évoluer la coordination des politiques budgétaires est pourtant indéniablement nécessaire. Comment peut-on effectivement piloter le cycle économique à partir de soldes nationaux ? Comment mener une politique budgétaire agrégée de la zone ?
Si la recherche de compromis techniques et politiques est indispensable, le cœur de l’Union bat ailleurs. Si l’on continue de discuter de manière technico-bureaucratique de ces questions, on ne fera que nourrir davantage de Brexit ! C’est avant tout d’un débat avec les citoyens dont l’Europe a besoin. Ils attendent une union monétaire plus résiliente, capable de déployer un projet politique de croissance soutenable et de lutte contre le chômage, animé notamment par des investissements d’avenir. Et ils attendent une Europe qui réponde en commun aux problématiques de sécurité.
Rien de tout cela n’est possible sans puissance publique européenne forte, où souveraineté nationale et souveraineté européenne seront « enchevêtrées* » sur une base refondée.
* Selon l’expression de Michel Aglietta