Jean-Paul GAUZES
Président de l’EFRAG
Le traitement comptable des investissements long terme suscite des interrogations, voire des inquiétudes dans la perspective de la mise en application de la norme IFRS 9 chez les investisseurs institutionnels. Cette norme, conçue selon l’IASB* pour contrer les risques bancaires, risque de poser de sérieux soucis aux investisseurs non bancaires, notamment en raison de certaines interprétations. Ce standard prévoit que les investissements en instruments de capitaux propres soient valorisés à la juste valeur avec les variations en compte de résultat.
Il en résulterait ainsi une volatilité non directement corrélée à la stratégie économique. Ces variations latentes pourraient être constatées dans un compte assimilé à une réserve dénommée OCI (other compréhensive income) sans toutefois pouvoir enregistrer en résultat les plus ou moins -values réalisées in fine du fait de l’interdiction ou du recyclage des plus-values réalisées. –
De plus, IFRS9 accroît la divergence de traitement comptable selon la nature de l’investissement (actions ou obligations). Cette divergence rend plus difficile la comptabilisation des véhicules détenant un mix d’investissements actions, obligations, immobilier. Or, pour les investisseurs dotés d’importants portefeuilles, la diversification des actifs est une nécessité afin de diminuer le risque et d’améliorer le rendement.
Le Parlement européen, dans le rapport de Theodor Dumitru Stolojan (PPE) sur l’évaluation des normes comptables internationales, a également exprimé ses craintes.
Les incertitudes sur les éventuels effets négatifs d’IFRS 9 sur les investissements à long terme n’ont pas fait obstacle à l’adoption de ce standard. Toutefois, à la demande du Parlement européen, un suivi renforcé de l’application et une étude d’impact seront réalisés pour évaluer l’effet de la norme sur les décisions d’investissements.
Il convient toutefois de souligner la difficulté de mesurer cet impact distinctement d’autres facteurs qui jouent un rôle dans les décisions d’investissement telles que les conditions de marché, la taxation ou encore les contraintes prudentielles.
L’EFRAG, European Financial Reporting Advisory Group, Groupe consultatif pour l’information financière en Europe**) a engagé un projet de recherche pour essayer d’identifier un modèle de calcul de perte de valeur adapté aux investissements en instruments de capitaux propres. A cette fin, il sera certainement nécessaire de parvenir à une définition opérationnelle de l’investissement stratégique. Or, la définition même de l’investissement long terme n’est pas univoque, car la réalité économique est difficile à représenter comptablement. En effet, il est fait référence à certains concepts qui ne sont pas comptables (distinction entre un investisseur à court et à long terme) et à des équilibres que les traitements comptables ne suivent pas (actifs/passifs, diversification d’actifs aux traitements comptables différents, volatilité à court terme et évolution à long terme de la valeur d’un portefeuille).
L’Efrag estime pouvoir publier ces propositions au cours du premier semestre 2018. Il reste que l’investissement long terme, au -delà des aspects comptables, requiert un environnement contraint: restrictions à la distribution de résultats, règles prudentielles adaptées, une gouvernance stricte et passifs longs et règlementés.
*L’International Accounting Standards Board est un organisme privé , basé à Londres, qui élabore les normes comptables. La Commission européenne assure un contrôle a posteriori en s’appuyant sur les avis de l’Efrag
**Comité technique de droit privé, créé en 2001, chargé de conseiller la Commission sur l’adoption des normes comptables internationales dites IFRS