Union des marchés de capitaux : une nouvelle ambition pour l’Europe

Marie-France BAUD

Responsable du groupe Financement de l’économie, Confrontations Europe

Dans un Livre vert publié en février dernier, la Commission européenne explore les moyens de revivifier le marché européen des capitaux dans le financement de l’économie, en complément des banques, dont le rôle pivot restera essentiel pour nombre de PME.

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Avec la Capital Markets Union (CMU), la Commission veut libérer les capitaux endormis pour revivifier l’économie dans l’Union à 28, selon la formule de Lord Hill, commissaire à la stabilité financière, aux services financiers et à l’union des marchés de capitaux (DG FISMA). Comment ? En facilitant le cheminement de l’épargne disponible vers l’économie productive, en diversifiant les sources de financement pour les PME, en brisant les obstacles aux investissements transfrontaliers. Les défis économiques auxquels est confrontée l’Europe, face à la menace de stagnation séculaire, en font une initiative majeure qui s’inscrit dans la priorité de la Commission d’encourager la croissance et l’emploi. La CMU se trouve au confluent des enjeux de croissance, de financement de l’investissement, d’allocation de l’épargne et de la fiscalité. Construire un marché unique des capitaux n’est pas un objectif en soi, il s’agit de faciliter les flux de capitaux à travers pays et secteurs pour, au bout du compte, améliorer le partage de risques entre pays et contribuer à la résilience des économies sans laquelle il ne peut y avoir de stabilité en Europe. Le fonds européen d’investissement stratégique (EFSI) du plan Juncker a donné une première impulsion, mais l’Union a besoin d’une intégration renforcée à long terme pour répondre aux besoins de financement des entreprises.
Comment relier stabilité et croissance à des objectifs concrets ?
La Lettre du Centre d’Études Prospectives et d’Information (CEPII) de février 2015 montre, à partir de l’analyse de 93 épisodes de récession dans 25 pays, que la sortie de crise s’opère quand les entreprises recourent  davantage  au financement obligataire qu’au financement bancaire, les banques ayant du mal à satisfaire les demandes de crédit. La reprise est plus vigoureuse dans les économies où la part du financement obligataire est plus élevée, la sortie de crise étant plus longue pour les économies  reposant  quasi exclusivement sur le financement bancaire. Le CEPII signale aussi que la « relation positive entre la dynamique de reprise et la part obligataire initiale est renforcée quand les grandes entreprises représentent une part importante de la valeur ajoutée  ».
L’objectif est de compléter le financement des banques, et non pas de s’y substituer, en diversifiant les sources de financement des entreprises. Le débat n’est pas nouveau : depuis les années 1990, l’Union s’est efforcée de créer un marché des capitaux profond et liquide à travers de nombreuses réglementations (dont l’emblématique Mifid) sans cependant changer le fonctionnement des marchés qui reste fragmenté selon les lignes nationales et entrave un financement fluide de l’économie. Comment mieux intégrer les marchés de capitaux afin d’améliorer l’allocation du crédit ? Dans la zone euro, le lieu d’établissement des emprunteurs prévaut sur leur solvabilité et l’accès aux marchés des capitaux est très inégal : l’émission d’obligations d’entreprises est concentrée dans les pays non soumis à tensions. L’évaluation du risque de crédit est influencée par la santé des emprunteurs souverains plutôt que par la seule caractéristique des entreprises locales. En outre, reste entière la question de la taille moyenne des PME qui, en Europe, n’atteint souvent pas le seuil  critique permettant d’aborder le marché des capitaux. La Commission préconise le développement des marchés obligataires en adoptant une approche pas à pas, fondée sur une analyse prudente et transverse qui implique de travailler sur plusieurs fronts. Il ne s’agit pas de dupliquer le système américain où le marché assure 80 % du financement de l’économie réelle mais de mettre en place un projet multidimensionnel, de long terme, qui  s’attaque à plusieurs fronts : droit des valeurs mobilières, règlement prudentiel pour les assureurs et les fonds de pension, droit des faillites des sociétés, information financière et transparence, cadre des infrastructures dans l’Union, divergence de la fiscalité. Tous sujets potentiellement pertinents pour construire un projet très ambitieux et structurant pour le marché intérieur. Ils constituent autant de défis complexes et politiquement délicats à relever face à l’épouvantail du « monstre régulatoire » qu’agitent certains États membres. Ce d’autant que le marché étant loin d’être sans failles ni sans risques (cf. interview de David Wright), recueillir les fruits de marchés de capitaux intégrés sans compromettre la stabilité financière demandera une supervision macroprudentielle renforcée, insiste Vitor Constâncio, vice-président de la Banque centrale européenne pour le secteur non bancaire.
Le Livre vert pose une première étape qui s’articule en trois volets : revitalisation de la technique de titrisation qui pourrait dégager   20 milliards € de flux supplémentaires de financement, développer un régime harmonisé du placement privé (voir pages suivantes), réviser la directive prospectus qui impose de lourdes charges administratives aux PME. La Commission travaille aussi à d’autres mesures : identifier les obstacles aux mouvements de capitaux État-membre par État- membre, améliorer les données de crédit normalisées sur les PME, dynamiser l’écosystème pour les business angels et le capital-risque, trouver un meilleur équilibre entre épargne stable et épargne volatile en redonnant le goût du risque et celui de saisir les fruits du placement de long terme. Il faudrait aussi que l’Union adopte un régime unique encadrant les normes comptables pour permettre aux investisseurs  de prendre des décisions éclairées en fonction de données comparables et transparentes(1).
Comment mobiliser l’épargne pour la croissance et pour l’économie productive en Europe ?
Les épargnants, les investisseurs individuels, les ménages, sont au cœur de la réussite du projet, souligne Guillaume Prache, directeur général de Better Finance. À cet égard, la comparaison avec les États-Unis est instructive : selon les statistiques de la BCE, 42 % de la richesse financière des ménages de la zone euro (17 trillions €) est investie dans des produits monétaires et en dépôts bancaires quand les ménages américains n’y consacrent que 15 % de leur richesse financière totale (39 trillions €), préférant actions et fonds communs de placement – essentiellement pour des raisons liées à la retraite et au financement de l’éducation –, qui ont alimenté les marchés de capitaux et leur ont fourni  une  certaine profondeur.
En Europe l’épargne est abondante, mais elle n’est mobilisée ni pour la croissance ni pour l’économie productive au sein de l’Union. Il faut agir sur l’accès à des produits d’épargne long terme. Or, le Livre vert aborde très brièvement cette question, se contentant d’évoquer deux pistes. D’abord le nouveau règlement ELTIF, European long term investment fund, présenté comme un fer de lance. Il n’est pas certain qu’il attire ménages et investisseurs institutionnels, compte tenu des règles auxquelles il est soumis. L’épargne retraite individuelle, ensuite. L’Eiopa – Autorité européenne des assurances et des pensions – travaille à un produit standardisé d’épargne retraite individuelle, simple et transparent, qui amènerait davantage de ménages à investir dans une perspective de long terme, voire à nourrir la demande pour les Eltifs. Il ne s’agit pas d’harmoniser les régimes de retraite mais d’apporter un produit complémentaire, pan européen (29e   régime).
Finalement, avec cette initiative, s’offre une opportunité de repenser collectivement le fonctionnement des marchés et de restaurer la confiance. S’ouvre aussi la porte à la révision de quelques aspects du cadre réglementaire qui peuvent s’avérer contradictoires avec l’objectif général : financer la croissance.

1. En effet, les IFRS (International Financial Reporting Standards) ne s’appliquent qu’aux entreprises cotées, à un niveau consolidé. La grande majorité sont dans l’UE en GAAP locales (Generally  Accepted  Accounting Principles).

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