Par Sam Williams, Spécialiste de la politique européenne en matière d’énergie et de climat à EPICO
L’hydrogène vert n’est pas commercialement compétitif aujourd’hui. L’hydrogène représente moins de 2 % de la consommation énergétique actuelle de l’Europe, et il est principalement utilisé pour produire des produits chimiques, tels que les plastiques et les engrais. 96 % de la production actuelle d’hydrogène se fait à partir de gaz naturel (c’est-à-dire de l’hydrogène gris), ce qui entraîne d’importantes émissions de CO2. L’hydrogène vert (c’est-à-dire produit par électrolyse) ne couvrira qu’une petite partie du bouquet énergétique européen. Même si les objectifs ambitieux en matière d’hydrogène sont atteints, 20 millions de tonnes (Mt) d’hydrogène couvriront environ 5 % de la demande d’énergie finale de l’UE en 2030. Compte tenu de l’objectif de REPowerEU de 45 % d’énergies renouvelables dans le bouquet énergétique de l’UE d’ici 2030, l’hydrogène est presque sans intérêt pour la plupart des cas d’utilisation au cours de la décennie à venir.
Cependant, l’hydrogène vert représente un élément essentiel de la décarbonisation des industries difficiles à verdir. Au cours des dernières décennies, l’UE s’est concentrée sur le déploiement de sources d’électricité renouvelables et sur l’électrification des secteurs à forte consommation d’énergie. Cependant, toutes les industries ne peuvent pas facilement recourir à l’électrification complète. Par conséquent, l’électrification seule n’est pas suffisante pour atteindre la neutralité climatique d’ici 2050. L’hydrogène renouvelable peut donc contribuer à la décarbonisation de certaines industries, par exemple via l’utilisation directe d’ammoniac vert, de moteurs à combustion interne, y compris de turbines à gaz et de piles à combustible, ainsi que le secteur des transports, en particulier les transports lourds, aériens et maritimes.
Néanmoins, l’absence d’un marché de l’hydrogène renouvelable, l’insuffisance des infrastructures et le risque d’investissement élevé empêchent actuellement l’adoption rapide de l’hydrogène vert là où il est le plus nécessaire. Pour y remédier, la Commission a publié le 16 mars une communication détaillant l’instrument censé y répondre, mais il reste encore beaucoup à définir et le temps presse.
La Banque européenne de l’hydrogène (BEH)
Les Directions générales de l’énergie et du climat conçoivent respectivement le pilier international et le pilier national de l’EHB. Le rôle principal est de soutenir la réalisation des objectifs de REPowerEU, à savoir 10 millions de tonnes de production nationale d’hydrogène électrolytique et 10 millions de tonnes d’hydrogène vert importé. L’instrument sera financé par un montant initial de 3 milliards d’euros, et l’opérationnalisation du volet national progresse à un rythme soutenu.
Le pilier domestique de l’EHB consiste principalement à fournir des primes à l’offre basées sur des ventes aux enchères. La Commission européenne a récemment lancé une consultation publique sur les conditions d’une telle procédure d’appel d’offres. Bien que le premier appel d’offres soit prévu pour décembre 2023, il est très probable que le processus se déroule comme suit. Tous les producteurs d’hydrogène électrolytique basés dans l’UE auront le droit de participer aux cycles d’enchères, à condition de respecter des critères techniques et financiers clés, notamment la faisabilité des projets et la preuve du respect des normes de production d’hydrogène renouvelable établies par les actes délégués de la directive sur les énergies renouvelables (REDII).
Importations d’hydrogène vert
La capacité et les coûts de production d’hydrogène électrolytique dépendent de la géographie. Les régions dotées d’un important potentiel de production d’énergie solaire et éolienne bénéficieront manifestement de coûts de production d’hydrogène électrolytique moins élevés. Par exemple, Aurora Energy Research prévoit que le coût de la production d’hydrogène renouvelable en Allemagne équivaudra à 4,4 €/Kg d’hydrogène vert d’ici 2030. En revanche, le coût de production de l’hydrogène au Chili atteindra 3,1 €/Kg d’ici à 2030, pour tomber à 1,6 €/Kg d’ici à 2050. Au fur et à mesure du développement des infrastructures connexes, l’importation d’hydrogène en provenance de pays tiers sera économiquement beaucoup plus compétitive que la production nationale, et constituera un élément clé d’une décarbonisation rapide de l’industrie.
Cependant, l’importation d’hydrogène en provenance de pays tiers ne peut pas se concentrer uniquement sur la décarbonisation de l’UE tout en entravant la transition verte au niveau mondial. L’EHB offre une occasion parfaite d’assurer une transition mondiale vers des sources d’énergie plus propres, tout en stimulant la décarbonisation de l’industrie nationale. Cela doit couvrir au moins trois aspects.
La durabilité : La disponibilité et le potentiel de l’électricité produite par les SER, le risque de pauvreté en eau, les coûts de transport et les émissions connexes. Sécurité de l’approvisionnement : les pays tiers qui exporteront vers l’UE doivent bénéficier d’avantages clairs et d’accords substantiels garantissant la propriété locale, afin d’éviter d’éventuelles coupures soudaines de l’approvisionnement. La diversification de l’approvisionnement jouera donc un rôle important.
Utilisation stratégique : La conception de l’EHB doit suivre une orientation précise orientée vers le marché, garantissant une réduction significative des risques d’investissement et un système intelligent pour donner la priorité aux utilisateurs qui ne peuvent pas être alimentés par une électrification directe.
Une étude récente menée par EPICO et Guidehouse a analysé plusieurs options susceptibles de répondre à ces critères. Parmi les options de soutien analysées, des mesures spécifiques sur les enchères du côté de l’offre et des options de conception pour les garanties par défaut peuvent fournir une solution rentable pour lancer un marché international de l’hydrogène vert.
Primes du côté de l’offre
Les ventes aux enchères du côté de l’offre pour le pilier international ressembleraient à celles qui ont lieu au niveau national. Les électrolyseurs des pays tiers bénéficieraient d’un soutien opérationnel pour chaque unité d’hydrogène produite. Le volet international de l’EHB se différencierait du volet national dans la mesure où les projets devraient remplir un contrat bilatéral de fourniture d’hydrogène vert avec un fournisseur choisi au sein de l’UE, tout en garantissant les coûts de production les plus bas dans le cadre de la procédure d’appel d’offres.
Garanties en cas de défaillance
Les garanties contre les défaillances couvrent les risques liés aux défaillances potentielles dans les contrats « take-or-pay » pour l’hydrogène qui échappent au contrôle du producteur d’hydrogène. Il s’agit notamment ici de défis liés à aux questions suivantes :
L’achèvement de l’infrastructure d’importation ou de transport (par exemple, les pipelines et/ou les terminaux),
Les modes de transport (par exemple, par bateau ou par pipeline),
La défaillance du fournisseur d’hydrogène, comme une installation industrielle (par exemple, en raison d’une faillite, d’un retard dans la mise en service de l’installation industrielle, de l’arrêt du projet).
Les garanties en cas de défaillance pour les producteurs d’hydrogène dans les pays exportateurs peuvent couvrir des risques de défaillance et de retard pour les contrats d’achat privés, ceux-ci demeurant toutefois difficile à estimer. Les producteurs d’hydrogène des pays tiers qui bénéficient ainsi d’une certaine réduction des risques seront incités à exporter de l’hydrogène vers l’UE, ce qui renforcera la sécurité de la planification et contribuera à garantir les quantités d’importation requises pour les États membres. D’une manière générale, les garanties en cas de défaillance offrent donc une sécurité d’investissement pour les infrastructures de production et d’importation nécessaires à l’étranger et peuvent donc contribuer à accélérer l’activation du marché et à en tirer parti.
Perspectives d’amélioration du dispositif
Combinaison des garanties par défaut avec des ventes aux enchères du côté de l’offre.
La combinaison d’un système d’enchères pour importer l’hydrogène le moins cher disponible et d’un ensemble de garanties pour les producteurs peut apporter une certitude suffisante pour débloquer les investissements sectoriels et donner un coup de fouet au marché international de l’hydrogène. Les garanties par défaut devraient s’attacher à remédier au manque de développement des infrastructures au niveau mondial. Étant donné que les garanties par défaut ne fourniraient pas directement des subventions ou ne couvriraient pas les risques de prix, une orientation vers le marché serait conservée. De même, étant donné que ni la Commission ni les États membres n’achèteraient et ne vendraient directement de l’hydrogène, l’opérationnalisation du marché de l’hydrogène resterait entre les mains des fournisseurs et des acheteurs. Afin de maximiser les ressources investies dans l’instrument et de garantir la sécurité des approvisionnements, la Commission devrait donner la priorité aux projets des pays tiers visant à approvisionner les fournisseurs de l’UE dans les secteurs difficiles à stabiliser.
Mise en relation entre les usines de l’industrie et les fournisseurs des pays tiers.
Il est essentiel de mettre en place des garanties pour assurer l’utilisation la plus stratégique possible de l’hydrogène importé. Plutôt que de procéder à des achats conjoints d’hydrogène, la Commission, ou un organisme désigné, pourrait servir de plateforme pour mettre en relation l’hydrogène renouvelable le moins cher provenant de pays tiers et l’installation industrielle la plus nécessiteuse et la plus difficile à stabiliser. En pratique, les producteurs d’hydrogène vert des pays tiers soumettraient leur capacité de production prévue à la plateforme. En fonction de l’origine, du prix et des critères juridiques et bureaucratiques, la plateforme mettrait en relation les fournisseurs et les acheteurs par le biais d’accords bilatéraux et jouerait le rôle de garant des achats. Les producteurs pourraient ainsi recevoir des primes lors de la livraison d’hydrogène vert au(x) preneur(s) d’achat. Les cycles d’enchères pourraient être divisés par région afin de tenir compte de la rareté des infrastructures d’hydrogène, de diversifier l’offre et de faire de l’UE un acheteur attrayant.
Élaboration de critères de priorisation
Les critères de durabilité, en tant que normes essentielles pour que les pays tiers puissent participer aux enchères afin d’obtenir des primes vertes, devraient définir des critères de priorité spécifiques au bouquet énergétique du pays tiers et au transport de l’hydrogène vert. Deux aspects principaux sont à prendre en compte : la disponibilité et l’utilisation de l’électricité et de l’eau. L’exportation d’hydrogène renouvelable vers l’UE ne doit pas entraver l’utilisation de l’électricité à des fins domestiques dans les régions particulièrement touchées par la pauvreté énergétique. De même, la production d’hydrogène vert destiné à l’exportation ne doit pas entraîner des coûts élevés en termes d’utilisation de l’eau, en particulier dans les régions touchées par la pauvreté hydrique. Enfin, le transport entraîne des pertes de 5 à 35 % de l’hydrogène exporté, ce qui nuit directement à l’environnement. Les critères de référence pour les importations d’hydrogène devraient donc encourager un transport de l’hydrogène plus sûr, moins coûteux et plus respectueux du climat.
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