À l’approche de la COP28 devant se tenir du 30 novembre au 12 décembre 2023, Alexandre Denis, Lucas Gigli, Elise Retailleau et Jean-Baptiste Vaujour, auteurs de l’ouvrage Entreprise : objectif zéro carbone publient pour Confrontations Europe une tribune sur le rôle structurant de la diplomatie et des entreprises dans la transition écologique.
La COP 28 se tiendra début décembre à Dubaï et, en coulisse, les tractations ont déjà commencé entre les différentes parties prenantes. Dans un jeu de rôle malheureusement bien huilé, les Etats fourbissent leurs arguments sur le fonctionnement et le financement du Fonds sur les Pertes et Dommages créé lors de la précédente COP ainsi que sur le phrasé exact de la déclaration finale relative à la sortie à terme des énergies fossiles. De leur côté, les associations, think tanks, représentants académiques et autres membres de la société civile préparent leur participation parallèle, dans l’espoir que leur message rencontre un écho. Fondamentalement, les points d’achoppement entre les objectifs contradictoires des parties prenantes couplés à la complexité des enjeux rendent toute convergence majeure illusoire. C’est ce que montrent les difficultés à obtenir un compromis fragile sur la mise en place du Fonds lors des dernières réunions du comité de transition et qui ont mis au jour le “gouffre” entre pays riches et pays pauvres. Enfin, les négociations sont rendues encore plus complexes par le regain des tensions géopolitiques; il semble peu probable que l’îlot de la COP reste immunisé des crises actuelles.
Il ne s’agit pourtant pas là d’un effort vain, tant les cycles de négociation internationale précédents, notamment la COP21 à Paris, ont permis de faire émerger une chronologie de transition cohérente à l’échelle planétaire et d’ancrer l’idée d’une indispensable transformation commune. A défaut d’accord contraignant, 195 contributions nationales ont été déposées à ce jour auprès du Secrétariat de la Convention des Nations Unies sur le Changement Climatique (CCNUCC) auxquelles viennent s’ajouter 68 stratégies nationales de long terme pour la transition. Prises individuellement et collectivement, ces stratégies définissent une feuille de route transnationale pour l’adaptation de nos économies aux changements climatiques. En France, c’est l’objet de la Stratégie Nationale Bas Carbone (SNBC). La difficulté réside néanmoins dans la transformation de cette ambition en une réalité économique tangible, alors que d’autres préoccupations stratégiques monopolisent l’attention et les ressources publiques. La Planification Écologique et ses 22 chantiers d’action entendent justement apporter des éléments pour décliner cette stratégie sur le terrain.
Et urgence il y a! Même en se concentrant seulement sur l’enjeu économique, plus les décisions d’investissement tarderont, plus celles-ci devront être importantes et cumulées sur une période de temps réduite si nous souhaitons collectivement éviter les pires conséquences climatiques. Nous avons collectivement raté l’occasion historique de profiter des taux d’intérêt quasi-nuls qui ont prévalu jusqu’à récemment pour financer la transition et les taux actuels ont significativement renchéri le coût économique de l’inaction. En matière économique, comme environnementale, le temps joue matériellement en notre défaveur.
Le terme de transition ne fait pas justice à la profonde et rapide transformation que notre économie et notre société doivent mettre en place si nous voulons respecter nos engagements. Faire peser sur la puissance publique la responsabilité de ce mouvement d’ampleur serait hypocrite et la laisser seule aux commandes mènerait à des solutions démocratiquement et économiquement suboptimales. Nous ne pouvons nous défausser de nos responsabilités citoyennes.
Partout, des mouvements, tels que la Fresque du Climat, ont saisi le flambeau et s’efforcent de former et d’informer. Les entreprises ne sont pas en reste non plus avec, par exemple, la Convention des Entreprises pour le Climat qui effectue depuis 2020 un travail de mobilisation, d’expertise et de transmission des savoirs et savoir-faire. Il appartient en effet aux acteurs économiques de se mobiliser pour faire de cette transformation une réalité. Prises dans les exigences du présent, les entreprises doivent trouver les moyens et les appuis nécessaires pour réinventer outils, processus et indicateurs de performances. Aux structures monolithiques opérant en silo héritées des théories de l’organisation rationnelle du travail doit succéder une approche fondée sur les parties prenantes internes et externes, sur les réseaux territoriaux et l’échange permanent de données. A l’échelle d’une organisation, aucune transformation d’ampleur ne pourra ainsi s’opérer sans embarquer l’ensemble de son écosystème.
L’émergence de cette nouvelle donne économique se fait déjà à bas bruit, dans une approche polycentrique, où de nombreuses organisations publiques et privées coopèrent de manière ad hoc avec des coalitions hybrides d’acteurs locaux et internationaux pour créer de nouveaux projets. La création d’écosystèmes autour des métiers de la batterie constitue un exemple frappant, tant pour les filières de production avec une intense coopération territoriale, que pour la formation des futurs employés, cadres et chercheurs.
Ces nouvelles organisations n’en sont pourtant qu’à leurs balbutiements et doivent encore démontrer leur efficacité sur le long terme. Au niveau des entreprises, si la prise de conscience semble désormais réelle et si un nombre croissant d’entre elles s’engagent progressivement sur la voie de la neutralité carbone, tout reste à faire et à inventer pour sortir concrètement les appareils productifs et les organisations de la logique extractiviste dans laquelle les émissions ne sont qu’une externalité.
La grande question est dès lors de savoir si ces nouveaux modes d’organisation pourront supplanter à temps les modes traditionnels et s’ils permettront d’inscrire nos économies dans une trajectoire compatible avec le respect des limites planétaires, dont le climat n’est qu’un aspect. Si le temps du débat sur les règles et les conséquences macro-économiques de cette grande transformation est loin d’être révolu, le temps de la traduction opérationnelle et du pragmatisme industriel est quant à lui bel et bien arrivé.